DossierPrécarité
09.09.2024
Numero: 19

Et dans la capitale, les Bruxellois s’en sortent-ils?

D’après le dernier Baromètre social de l’Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale (service d’études de Vivalis), la situation sociale et de santé des habitants de la Région bruxelloise serait très dégradée. Quant aux services de médiation de dettes, l’affluence du public est variable selon les services, le public ne trouve pas toujours son chemin jusqu’aux SMD et les équipes sont confrontées à beaucoup de turn-over et d’absences de personnel. Certains services expérimentent aussi de nouvelles manières de travailler.

Et dans la capitale, les Bruxellois s’en sortent-ils?

Comme le relève le dernier Baromètre social 2023 de l’Observatoire du Social et de la Santé de Bruxelles-Capitale (OSSB), « si le taux de risque de pauvreté est relativement stable depuis des années dans la Région (entre 25 et 33%), certains indicateurs montrent une dégradation de la situation sociale dans la capitale. A titre indicatif, le nombre de bénéficiaires d’un revenu d’intégration sociale a augmenté de 58% en 10 ans (pour atteindre plus de 45.000 personnes).»[1]

Selon ce Baromètre, le surendettement est un phénomène important en Région bruxelloise. Mais, « malheureusement, à l’exception des dettes de crédit, il n’existe pas de données officielles en Région bruxelloise et les données sont trop partielles pour estimer l’ampleur du surendettement, ce qui contribue à l’invisibilité du phénomène. »[2]

Pour autant, ce Baromètre fait notamment état de sources permettant de corroborer l’existence de ce problème. En effet l’enquête EU-SILC 2022 indique que 7% de la population bruxelloise n’a pas la possibilité de payer ses factures à temps et que 39% des Bruxellois ne sont pas en capacité financière de faire face à une dépense imprévue.

Autres données disponibles pour Bruxelles : celles contenues dans l’analyse effectuée par l’OSSB à partir des chiffres de quatre services de médiation de dettes utilisant un logiciel d’encodage des dossiers permettant une analyse statistique, mais qui reste très parcellaire et ne donne finalement que des informations sur le profil des personnes qui se présentent dans les services, la nature de leurs dettes ou encore les facteurs déclencheurs du surendettement. Il ressort de ce document que les difficultés financières des personnes qui s’adressent aux SMD sont généralement très avancées, avec 60% d’entre elles déjà en procédure judiciaire ou avec un huissier de justice qui a déjà été mandaté, avec en moyenne 11 créanciers en délicatesse et un montant moyen de dettes par personne de plus de 20.000 euros[3]. Pour autant cette analyse ne fournit pas des chiffres globaux sur l’évolution du nombre de dossiers.

7% de la population bruxelloise n’a pas la possibilité de payer ses factures à temps et que 39% des Bruxellois ne sont pas en capacité financière de faire face à une dépense imprévue.

Prise de pouls dans les services
de médiation de dettes (SMD)
 

Difficile donc d’évaluer l’ampleur du phénomène, si ce n’est peut-être en interrogeant les principaux intéressés, mais là-aussi les réponses sont diverses et parcellaires.

Au SMD du CPAS de Forest, on nous dit ceci : selon Sandra Lemaître, médiatrice de dettes, « Vu que la commune n’héberge pas un nombre important de commerces, on n’a pas vu trop de demandes émanant de ce secteur depuis le Covid. En revanche, l’augmentation du coût de la vie et des loyers pose de plus en plus de problèmes à la population. Avec l’augmentation des précomptes immobiliers, on a vu aussi arriver des propriétaires en difficulté. Le nombre de dossiers où il n’y a aucune possibilité de remboursement des dettes est en augmentation. On vit aussi une crise au sein du personnel qui s’essouffle car l’encadrement de ces situations est très lourd. » Au CPAS d’Auderghem, on note des difficultés plus grandes depuis l’an dernier, à la suite de la crise énergétique avec pas mal de nouvelles demandes à la cellule Energie et un accompagnement en médiation de dettes. La médiatrice de dettes, seule, gère pas moins de 110 dossiers. Pour autant, cela n’entraîne pas de liste d’attente car une permanence est organisée chaque semaine. A Boisfort, le SMD du CPAS semble épargné, mais la responsable explique cette situation par le fait que le service a plusieurs fois déménagé et donc serait moins bien connu et visible pour le public.

Autres services interrogés : le SMD de la Free Clinic, où les chiffres de nouveaux dossiers semblent stables, mais avec le sentiment que le travail s’est complexifié, que les gens arrivent souvent fort tard car ils ignorent l’existence des services ou sont dans un état de santé mentale précaire qui les empêche de s’occuper de leurs dettes. Du côté du SMD de l’asbl Bruxelles Laïque, Samuel Quaghebeur, responsable du service, note « une charge de travail assez lourde malgré une augmentation du personnel financée par la Commission communautaire commune (COCOF) durant la crise Covid, des cas toujours plus complexes à prendre en charge, aggravés par le business de la dette, mais aussi par la dématérialisation des factures.»

Mieux atteindre sa cible

Parmi les raisons invoquées pour expliquer qu’un certain nombre de personnes ne trouvent pas le chemin des SMD, on peut épingler le fait qu’elles ne connaissent pas leur existence ou qu’elles y arrivent aussi très tardivement.

Pour remédier à cet écueil, le Centre d’appui aux services de médiation de dettes bruxellois a mis sur pied et diffusé en 2022 une campagne de prévention du surendettement, avec le soutien financier de la COCOF. Comme l’explique le CAMD sur le site dédié www.tropdedettes.be, « L’objectif de la campagne est de faire connaître les SMD et d’inviter le public à y recourir plus rapidement. Elle s’inscrit dans un projet de prévention visant à lutter contre le non-recours et contre le surendettement. »

On y trouve les coordonnées des SMD en Région bruxelloise, mais aussi des onglets pour Eviter les dettes, avec des conseils pour éviter les frais de retard, en cas de difficultés de paiement, la gestion d’un budget, les risques liés au crédit, l’existence du Numéro vert d’Aide sociale, des bons plans et l’aide juridique à Bruxelles et Sortir des dettes, avec des informations sur les procédures de recouvrement, l’obtention d’un plan de paiement, les médiations amiable et judiciaire, les saisies et les permanences de soutien.

Des services qui expérimentent
une nouvelle dynamique
 

On peut aussi épingler de nouvelles dynamiques de travail, comme celle adoptée dans le cadre des Centres Social-Santé Intégrés (CSSI) dont l’objectif est de rassembler plusieurs services d’aide et de soins et de proposer aux bénéficiaires d’un quartier une prise en charge globale dans un même lieu[4]. C’est par exemple le cas de Ribaucare actif depuis 2022 et qui rassemble les activités de la maison médicale au forfait Canal Santé, le Centre d’action sociale globale Solidarité Savoir, une antenne du service d’accompagnement thérapeutique pour toxicomanes Lama, ainsi que le planning familial et le SMD Leman.

Ce dernier existe depuis 1970 sur la commune d’Etterbeek, mais, avec la création du CSSI, il a quitté ses locaux pour venir s’installer à Ribaucare. Comme le précise Laure Petit, médiatrice et coordinatrice du service, « Toutes les autres associations qui ont rejoint le CSSI venaient de Molenbeek ou y étaient déjà implantées. Nous étions la seule venue d’ailleurs. Mais, déjà à Etterbeek, on avait une majorité de dossiers molenbeekois car la densité et la pauvreté y sont plus importantes. »

Les avantages d’une telle collaboration ? Le fait d’être dans un même bâtiment fait gagner du temps aux usagers et il est plus facile de croiser les agendas. Certains publics habitués à leur assistant social sont accompagnés par ce dernier lors de la première visite avec le médiateur de dettes, cela permet de faire la jonction. « Quand il s’agit de petites dettes, chaque association gère la situation, mais elles peuvent venir poser des questions sur la bonne manière de faire. Quand le cas est plus conséquent et demande une médiation, les autres services orientent les personnes vers le SMD Leman. Les demandes de conseils vont d’ailleurs dans les deux sens : les médiatrices de dettes posent aussi des questions aux autres services. Cela permet de se donner des tuyaux sur le secteur ou des informations sur une évolution légale, de manière rapide. »

Si l’équipe avait quelques craintes de se voir imposer des modalités qui ne cadraient pas avec les missions du SMD, ou d’être trop sollicitée celles-ci se sont évanouies. Elle avait aussi peur d’une fusion. « En réalité chacun garde son autonomie et est respecté dans ses missions et dans son mode de fonctionnement. Chacun a son CA, sa commission paritaire, ses subsides et la réunion avec les coordinateurs de chaque service permet de s’informer et de communiquer. »

Une meilleure orientation des personnes surendettées,
grâce au CLSS

Autre dispositif mis en place dans le cadre du Plan Social-Santé Intégré, à l’échelle des quartiers : les Contrats Locaux Social-Santé (CLSS), avec des actions nées de la demande des habitants et des professionnels de première ligne. Parmi les 18 CLSS en activité, figure celui du bas de Forest, qui concerne les quartiers Charroi, Primeurs, Saint Antoine, Pont de Luttre et Monténegro.

Du consortium social-santé réunissant des associations de la commune, piloté par la coordination sociale du CPAS, et du diagnostic effectué par ses soins, a émergé l’idée du service Assap (Action Sociale Santé à Proximité), soit une équipe mobile constituée de cinq travailleurs, qui intervient là où se trouvent les usagers fragilisés du quartier. Ils accompagnent ces usagers vers un service d’aide et/ou de soins, mais répondent aussi à des questions d’ordre général, à celles relatives à des expulsions de logement qui sont une préoccupation de plus en plus présente ou encore liées à des dettes. Selon Nicolas Stinglhamber, coordinateur de l’équipe Assap, « l’accent a été mis sur le non-recours aux droits qui touche le public précarisé. Le projet a débuté en janvier 2023 avec une prise de contact de tous les acteurs de terrain susceptibles d’être impliqués dans cette nouvelle dynamique, afin de mieux connaître la manière de travailler de chacun et de relayer au mieux les besoins et demandes de la population vers ces services. La nécessité d’avoir en tête le tissu associatif du quartier et d’intégrer le maillage existant est essentielle pour permettre de jouer à plein le rôle de courroie de transmission. La volonté est vraiment d’aller vers les gens et de les accompagner dans leurs démarches, tout en les rendant au maximum autonomes.

La nécessité d’avoir en tête le tissu associatif du quartier et d’intégrer le maillage existant est essentielle pour permettre de jouer à plein le rôle de courroie de transmission.

Nicolas Stinglhamber, coordinateur Assap

Faire lien avec
les médiateurs de dettes

Parmi les travailleurs sociaux d’Assap, Olivia Troye, travailleuse sociale formée à la médiation de dettes, tout comme Nicolas Stinglhamber, sont amenés tous deux à intervenir auprès de personnes qui rencontrent des problèmes de surendettement. Mais il a fallu expliquer tant aux usagers qu’aux services de médiation de dettes déjà en charge des dossiers ainsi qu’aux avocats médiateurs judiciaires que leur rôle n’était pas de se substituer à eux, mais bien de faciliter la prise de contact ou la relation déjà établie pour une meilleure prise en charge. Comme l’explique Olivia Troye, « On voit par exemple beaucoup de personnes qui éprouvent une phobie administrative et qui traversent des périodes de dépression liées à l’existence de dettes. On est confrontés à des gens qui se sentent face à une montagne. »

Il s’agit dans certains cas de débloquer des situations où la personne éprouve des réticences, de l’angoisse à faire les démarches ad hoc ou voit les dettes comme une impossibilité d’agir sur d’autres domaines, comme la santé. « Je pense à cette personne qui avait des dettes et qui pensait ne pas pouvoir se soigner les dents, faute de moyens, explique Nicolas Stinglhamber. On essaye également de créer un réseau autour de la personne pour la gestion des papiers et de trouver le médiateur ou la médiatrice de dettes en adéquation avec les besoins de la personne. »

Malgré le fait que ce service semble répondre à un important besoin d’orientation et d’accompagnement des citoyens dans leurs démarches, le service Assap qui existe depuis janvier 2023 et le CLSS du bas de Forest qui portait sur la période 2021-2025 ont été mis en place sous la précédente législature. Depuis les élections ont eu lieu et ont sensiblement rebattu les cartes. C’est donc une interrogation que la pérennité de ce service, mais plus largement de toute la dynamique du PSSI. Les semaines et les mois à venir seront déterminants pour la reconduction de ce dispositif…

Nathalie Cobbaut


[1] https://www.vivalis.brussels/fr/actualites/barometre-social-2023
[2] Baromètre social, Rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté et des inégalités sociales et de santé 2023, p.56, https://www.vivalis.brussels/sites/default/files/2024-03/Barometre-2023-FR.pdf
[3] Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale, La problématique du surendettement en Région bruxelloise, conséquence et facteur aggravant de situations de pauvreté, mars 2021 – https://www.vivalis.brussels/fr/publication/la-problematique-du-surendettement-en-region-bruxelloise
[4] Voir le dossier sur le PSSI dans l’e-Mag Bxl santé n°17 de février 2024,
https://questionsante.org/articles-bxl-sante/le-social-sante-bruxellois-des-nouvelles-modalites-dorganisation/.

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