Des usagers et des travailleurs en difficulté
Avec la crise sanitaire, de nombreux services publics, comme les mutuelles, les syndicats, les services d’aide à l’emploi, les CPAS…, et privés, comme les banques, ont été et, pour certains, sont – encore, toujours ou faut-il dire désormais – uniquement accessibles par téléphone, sur rendez-vous, via mail ou Internet. La dématérialisation des services met à mal toute une catégorie de personnes pour lesquelles il n’est pas facile d’entrer en contact avec ces services selon ces modalités. Les plus précaires et les plus vulnérables sont largement démunis devant des démarches nécessitant d’utiliser le numérique ou à tout le moins des moyens de communication avec lesquels ils n’ont pas l’habitude de fonctionner.
Qui plus est, cette situation se répercute largement sur les travailleurs de première ligne, comme en fait état le Rapport du CBPS sur l’impact de la crise sanitaire sur les pratiques des services médico-sociaux de proximité à Bruxelles. La dématérialisation de services dont le rapport fait état, reprenant cette terminologie à la chercheuse Laurence Noël qu’elle utilise dans son article sur le non-recours aux droits[1], handicape non seulement les usagers, mais également les travailleurs de terrain dans leurs pratiques quotidiennes. Damien Favresse, chercheur au CBPS, précise : « L’accent a été mis sur l’importance d’avoir un contact avec une personne dans le service, ce qui n’a pas été et n’est pas toujours possible. L’accès ne se fait que par téléphone ou par mail ; s’il y a une prise de rendez-vous, c’est avec beaucoup de délais. La prise en charge est beaucoup plus segmentée qu’auparavant, plutôt que d’avoir une vision et une approche globales de la situation. Or pour toute une série de populations le contact direct est essentiel, notamment celles pour qui l’oralité est prépondérante. »
Pour exemple, cet éducateur de rue qui explique les démarches effectuées pour un usager auprès de son organisme bancaire : « Avant le Covid, ça aurait été simple, on aurait pris rendez-vous à la banque, on aurait été avec cette personne voir le bureau concerné. Pour le moment, tout se fait par mail, par téléphone et du coup, à chaque fois, tu as un interlocteur différent et en plus quelqu’un qui n’est pas directement concerné par le problème. On a à chaque fois une réponse différente par mail. Si tu dois rappeler, tu dois recommencer au départ car il n’y a pas de suivi. »[2]
Les témoignages issus du rapport sont accablants : appels sans réponse, messages laissés sur des répondeurs sans suite, obligation de réexpliquer la même histoire à plusieurs interlocuteurs, baisse de la qualité de la prise en charge, perte d’informations et de contact privilégié avec une personne qui suit le dossier. Pour l’usager, ce type d’expériences mène à ce que d’autres rapports avaient déjà dénoncés, soit le non-recours aux droits et la sous-protection sociale. Pour les travailleurs sollicités par ce public déboussolé, c’est un surcroît de travail que de tenter de joindre ces services à la place des usagers, avec un constat de déshumanisation dans le traitement des dossiers qui ne sont plus attribués à une personne en particulier. La familiarisation pour ces travailleurs à des outils informatiques utilisés par les services-relais représente aussi une charge de travail supplémentaire. La manipulation des données des usagers collectées en ligne ou par téléphone pour l’inscription des usagers sur des portails en ligne, le suivi de leurs démarches administratives est également dénoncée, étant donné l’accès à des informations personnelles sensibles.
Il y a parmi les usagers ceux qui perdent leur boîte mail, à qui il faut recréer des identifiants, des mots de passe, un espace client. Tu te retrouves à recevoir un tas d’infos que tu n’es pas censé traiter comme ça et faire des choses qui sont en contradiction avec la loi. (Un responsable d’équipe)