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12.10.2022
Numero: 12

Des jeunes bien malmenés en période du Covid

La pandémie et les confinements successifs ont été difficiles à vivre pour tous, mais plus encore pour les jeunes. L’absence des contacts sociaux a particulièrement été mal vécue et s’est souvent traduite par une grande anxiété, de la fatigue, de la démotivation. Dans un des quartiers populaires de Molenbeek, les mêmes maux ont par exemple ainsi été observés chez les jeunes qui fréquentent la maison de quartier Heyvaert (asbl Move). A la souffrance sont également venues s’ajouter de la méfiance et de la défiance.

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Les jeunes usagers de la maison de quartier Heyvaert (association Molenbeek Vivre Ensemble (MOVE)) ont entre 13 ans et 17 ans, sont issus de milieux socio-économiques (dits)défavorisés et, pour la plupart d’entre eux, habitent dans les quartiers alentours qu’ils fréquentent pour diverses raisons. Certains, en difficulté scolaire ou décrochage scolaire, viennent là pour bénéficier d’un soutien scolaire. Ils sont aidés par des étudiants dans le cadre d’un partenariat avec l’asbl « Schola ULB ». Beaucoup viennent aussi en raison des diverses activités proposées par la maison de quartier les mercredis après-midi, les week-ends et pendant les congés scolaires. L’objectif poursuivi est de leur offrir des espace-temps où ils peuvent s’épanouir, se responsabiliser, s’autonomiser. La structure travaille sur base de projets qui sont menés avec eux et reste attentive à co-construire avec eux les programmes d’activités. Ces activités représentent une véritable bouffée d’air pour ces enfants dont les familles logent trop souvent dans des habitations qui sont trop petites et/ou insalubres.

Avec l’arrivée du Covid en mars 2020, les activités ont été suspendues, les contacts sociaux (amis, école, activités sportives et culturelles, etc.) se sont réduits à peau de chagrin. Les confinements successifs n’ont pas aidé à reprendre une vie normale et, au fil du temps, la situation est devenue de plus en plus pesante pour les jeunes. Il y a certes eu de l’anxiété, de la colère, mais l’impact des réseaux sociaux aura aussi été grand chez ces jeunes esprits. A Heyvaert, l’influence que peuvent avoir ces médias est très clairement apparue à l’occasion du projet « Fake News et santé : agir avec les jeunes en faveur de l’esprit critique », mené en partenariat avec l’asbl Question Santé. Si les premiers contacts ont eu lieu dans le courant de l’automne 2020, les rencontres avec les jeunes n’ont pu débuter qu’une année plus tard.

Les idées autour de la théorie du complot étaient liées à l’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux. Il n’a pas du tout été facile de travailler avec les jeunes durant cette période Wahiba Mestoui, animatrice socio-culturelle

« Il circulait alors beaucoup d’idées tournant autour de la théorie du complot. ‘Le Covid-19 est quelque chose d’inventé’, ‘on nous ment’. Ils disaient alors ‘on ne les croit plus’, ‘on ne fait plus confiance à personne’, confie Wahiba Mestoui, animatrice socio-culturelle pour l’asbl Atout Projet, mais détachée à la Maison de quartier Heyvaert. Tout cela était lié à l’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux. Il n’a pas du tout été facile de travailler avec les jeunes durant cette période. » Son collègue, Mohamed Zekhnini, travailleur social en soutien de l’axe Jeunesse à Heyvaert, rappelle qu’avec les décisions du Comité de Concertation (Codeco), des activités ont dû être annulées, ce qui a entraîné énormément de frustration et de souffrance. Pour certaines activités, il fallait le Covid Safe Ticket, mais beaucoup d’adolescents de plus de 16 ans rencontraient des difficultés à aller se faire tester. Soit parce qu’ils ne le voulaient pas, soit parce que le prix des tests PCR demeurait élevé. Le contexte de la pandémie et une croyance plus ou moins forte à des théories du complot ont retardé le démarrage du projet « Fake News ».

 

Mal dans leur peau et dans leur tête

Au cours de cette période, ce ne sont pas uniquement les autorités publiques, les professionnels de la santé, les policiers qui n’ont plus bénéficié de la confiance de ces jeunes. Les travailleurs sociaux de la maison de quartier en ont également fait les frais. Wahiba Mestoui raconte une anecdote survenue en décembre 2021. Le Codeco avait édicté de nouvelles mesures concernant les contacts sociaux. Parallèlement à ça, un membre de l’équipe de la maison de quartier a été testé positif et, peu de temps après, c’est la moitié des travailleurs qui se sont retrouvés au lit à cause du Covid. La maison de quartier a dû fermer ses portes environ dix jours. « Je me souviens avoir reçu des coups de fil de jeunes qui avaient vu de la lumière dans les locaux de l’association. ‘Vous êtes à l’intérieur et vous ne voulez pas nous ouvrir ? Vous ne voulez pas vous occuper de nous et vous préférez rester entre vous ?’ me demandaient-ils. Alors que j’étais au lit avec 40°C de fièvre comme beaucoup de mes collègues. Ils ont eu du mal à accepter qu’il y avait eu de la lumière parce qu’une personne était venue entretenir les locaux. On peut le raconter en rigolant aujourd’hui, mais cela montre bien comment, eux, percevaient alors les choses. »

Les mesures prises l’on été maladroitement et ont finalement causé beaucoup de souffrance chez les jeunes Soufyan Laouti, travailleur social en soutien de l’axe Jeunesse

Le mal-être des jeunes du quartier s’est aussi exprimé par une certaine agressivité, une certaine violence, mais aussi, parfois, par de la vulgarité, un comportement moins respectueux. « Je pense que c’étaient peut-être des échappatoires, explique Soufyan Laouti, également travailleur social en soutien de l’axe Jeunesse à Heyvaert. Sans vouloir entrer dans des théories du complot, je pense toujours qu’on a saboté notre travail, on a saboté les jeunes. Les mesures prises l’ont été maladroitement et ont finalement causé beaucoup de souffrance chez les jeunes. Je suis convaincu que cela laissera des traces encore longtemps. Parce que nous en avons vu de toutes les couleurs avec les jeunes que nous avons récupérés après le relâchement des mesures sanitaires, etc. Pour des jeunes, en pleine période d’adolescence, qui souffrent en raison de problèmes scolaires, familiaux, économiques, etc., comment peuvent-ils être bien quand on leur interdit toutes les activités qui leur permettent de souffler, de s’évader, d’extérioriser leur mal-être ? Dans quel état les récupère-t-on par après ? » Pour son collègue Mohamed Zekhnini, on peut parler de « petites bombes à retardement ».

Restaurer la confiance par la parole

Pour Soufyan Laouti, le projet « Fake News » était particulièrement intéressant pour les jeunes car ces derniers ont ainsi pu parler de leurs ressentis. Et comme le Covid faisait pleinement partie de la question liée aux fake news, ils ont pu en parler en toute liberté avec les animatrices du projet.

A Heyvaert, les travailleurs mènent actuellement avec les jeunes un projet baptisé « Café philo 2.0 ». Le but est de donner ou redonner la parole aux jeunes. Non, parce que celle-ci ne leur était pas donnée auparavant ou avait été confisquée. A travers ce projet, l’ambition des travailleurs sociaux est de leur donner l’occasion de participer pleinement à la prise de parole pour s’exprimer. Il est important qu’ils puissent encore parler des frustrations vécues pendant la crise sanitaire et de celles qu’ils peuvent encore ressentir. Comme le souligne Soufyan Laouti : « Il est important de les laisser pleinement être acteurs d’eux-mêmes, de leur rôle, de la manière dont ils vivent les choses. »

Anoutcha Lualaba Lekede

Pour en savoir plus sur le projet « Fake News », vous pouvez consultez le site. Il s’agit d’une boîte à outils online, co-construite et expérimentée avec les jeunes et pour les jeunes.

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