DossierSeniors
01.09.2021
Numero: 7

Tubbe, pour humaniser et démocratiser les maisons de repos

Avec le Covid, les droits élémentaires des résidents en MR/MRS ont largement été battus en brèche. Au point de se demander si la désinstitutionnalisation des aînés ne serait pas souhaitable. Le modèle Tubbe, promu par la Fondation Roi Baudouin (FRB) et les entités fédérées dès avant la pandémie, a pour vocation de ramener l’humain dans ce qui constitue (ou devrait constituer) des lieux de vie pour nos aînés.

Emag07 Tubbe Humaniser démocratiser maisons repos

Il ressort de nombreux rapports que, malgré les efforts des équipes au sein des maisons de repos, la gestion de la crise n’y a pas été optimale. Celui de MSF1 a clairement mis en exergue l’impréparation du secteur à des situations de pandémie, ainsi que le manque de matériel et d’équipements ad hoc pour y faire face. Le désarroi du personnel face à un certain lâchage du secteur, notamment sur le plan des soins, y est également décrit de manière très concrète.

Le caractère exceptionnel des mesures de confinement appliquées à l’ensemble de la population a pris dans les maisons de repos une dimension que l’on pourrait qualifier de maltraitance, avec un confinement en chambre des résidents, des soins Covid prodigués par des équipes non formées, un manque de personnel encore plus criant que d’habitude, l’arrêt des activités, des visites…, très mal vécues par les personnes âgées et leurs familles, désorientées et profondément marquées par cette situation.

Changer de paradigme

Au-delà de cette crise sanitaire, c’est la prise en charge habituelle des aînés qui est mise en cause, avec des conditions d’accès et des normes d’encadrement du personnel soignant et para-médical insuffisants (voir l’autre article du dossier : « MR/MRS : un secteur qui a du grain à moudre »). D’autres aspects sont également à revoir, comme le caractère médicalisé de ces structures, très éloigné des besoins et souhaits des résidents. L’absence d’ouverture sur l’extérieur est également mise en question et la prise en compte des aspects psychologiques et de bien-être dans le chef des résidents, nettement insuffisante.

Dans leur rapport, les Fédérations des CPAS wallons et bruxellois relevaient en juin 2020 la nécessité d’envisager « une désinstitutionnalisation de l’intérieur »2 , rappelant notamment la nécessité pour toute maison de repos d’avoir un projet de vie et une politique de qualité, ce qui relève du cadre légal. La marchandisation de cette prise en charge pose également question dans ce contexte.

Ce changement de paradigme, des théories comme celle de Montessori appliquée aux personnes âgées ou encore le concept d’humanitude, une philosophie au service des personnes âgées mettant l’accent sur la communication, l’envisageaient déjà. Des alternatives comme les habitats groupés ou les maisons kangourous, existent également. Plus récemment, c’est le modèle Tubbe, promu par la Fondation Roi Baudouin (FRB) depuis quelques années, qui semble avoir la cote, avec un leitmotiv : « Des maisons où il fait bon vivre et travailler ».

Le modèle Tubbe chez nous

Cette méthode, venue du Danemark et développée par des Suédois, ne propose pas un processus cadenassé, mais bien un modèle d’organisation et de gestion qui s’adapte aux aspirations des parties prenantes, à savoir les résidents, le personnel qui y travaille, les familles et la direction qui est sans doute la clef de voûte pour implémenter cette philosophie basée sur une gouvernance participative.

Aussi longtemps qu’on est vivant, il faut vivre pleinement. Toute personne est unique et doit le rester jusqu’à son décès. Le devise du modèle Tubbe

Le modèle Tubbe repose sur un principe fondamental : le fait que les résidents soient impliqués dans les décisions relatives à leur vie quotidienne. La participation du personnel est également déterminante et les concepts de co-construction et d’organisation horizontale y sont encouragés. Chaque entité est censée appliquer le modèle selon des contours qui lui sont propres, mais en respectant les lignes directrices suivantes : un partage des décisions, un coaching de la part de la direction, une recherche d’autonomie dans le chef des résidents, l’accent mis sur le caractère unique et les compétences de chacun, l’organisation d’activités qui ont du sens, des soins axés sur la relation, une communication ouverte et un milieu de vie ouvert sur l’extérieur.

Depuis quelques années, la FRB soutient la diffusion du modèle Tubbe. En 2017, un appel à projets est lancé et six MRS sont sélectionnées pour tester le projet en Belgique. En 2020, ce sont quelque 80 MRS qui développent actuellement ce modèle. A Bruxelles, cinq MRS étaient sélectionnées cette même année et dix autres, en 2021, grâce à un budget de 50.000 euros dégagé par Iriscare et la FRB. Pour Alain Maron, ministre bruxellois des Affaires sociales et de la Santé, il est temps « de dépasser l’idée de ‘prendre en charge des résidents dans une institution de soins’, pour enfin ‘prendre soin des citoyens dans des lieux de vie ‘. ». Actuellement, un appel à projet de la FRB est toujours en cours pour sélectionner toujours plus de candidats à la transformation.3

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Et à Bruxelles ?

Nous avons rencontré deux directrices de MRS, engagées dans ce processus. Pascale De Coster, de la MRS Notre-Dame de Stockel (secteur privé associatif), explique que « contrairement à ce que l’on aurait pu croire, nous avons vraiment pu expérimenter la philosophie Tubbe dans le contexte de huit-clos qu’a généré la crise sanitaire. Une solidarité s’est créée entre les résidents, le personnel, la direction. Par exemple, l’accueil a été vite débordé avec la gestion des familles, désireuses d’entrer en contact avec leur proche et déposant des colis à amener aux résidents, devant d’abord rester en quarantaine avant d’être distribués. Une résidente a proposé la candidature de la fille d’un ami pour prêter main forte au personnel de l’accueil ; après un entretien, elle a été engagée. Cette résidente s’est sentie impliquée dans la gestion de son lieu de vie et est venue avec une solution. »

Autre sujet de négociation avec les résidents : les nouvelles entrées dans ce contexte délétère. Ils ont suggéré de créer un groupe d’accueillants pour les nouveaux venus, tout en respectant les quarantaines. Dans le même temps, ils ont proposé d’amender le livret d’accueil, avec des infos qui manquaient, selon eux. « On a aussi réfléchi aux aménagements des repas : puisque le restaurant était fermé, les résidents devaient a priori manger en chambre. Dans le cadre du confinement par étage, on a organisé des petits coins-repas. Les résidents se sont dits satisfaits, préférant cette solution à la grande salle à manger trop bruyante. » Avec les décès, les résidents ont également souhaité être associés aux hommages faits habituellement aux disparus qui étaient leur voisin.e, leur ami.e, parfois depuis des années.

Les familles se sont également impliquées dans l’entretien du jardin, dans des activités destinées à rééduquer à l’odorat des résidents ayant contracté le Covid ou encore dans la recherche de mobilier pour aménager un coin confort pour lequel les résidents ont reçu un petit budget. Le monde extérieur s’est même invité dans la maison de repos, par le biais d’une école qui a proposé aux résidents de la maison de repos de participer au Jerusalema Dance Challenge, une vidéo virale sur YouTube reprise par de nombreux internautes. Les kinés ont appris la danse aux résidents. Tout le personnel s’est pris au jeu et tout s’est passé par vidéo. Désormais, une activité danse a été lancée dans la maison. Pour Pascale De Coster, « le Covid a vraiment été l’occasion d’avancer sur cette co-gestion. Et avec les équipes, on a pu créer une dynamique très porteuse et une atmosphère différente. On a même été jusqu’à soumettre le choix d’un engagement de personnel aux résidents, parmi les candidats à une augmentation d’heures de prestation. »

A la Cerisaie, MRS du CPAS de Schaerbeek (secteur public), la crise Covid a été assez vive lors des deux vagues, avec pas mal de malades parmi les résidents, malgré des mesures de protection très strictes. Le personnel a eu peur d’être infecté et a été difficile à rassurer, au point de devoir faire appel à MSF pour suppléer les manques de personnel et d’équipements et organiser la gestion de la pandémie. Mais comme l’explique la directrice Emmanuelle Ghiste, « depuis trois ans, nous travaillons à la mise en place d’un management participatif, dans le cadre du programme de la commune de Schaerbeek « Culture 30 ». En 2019, nous avions travaillé sur le projet de vie institutionnel de la maison et grâce au coaching proposé dans le cadre du programme Tubbe, nous nous sommes réunis avec les résidents autour de six thématiques : l’accueil, le séjour, l’alimentation, les animations, la disponibilité du personnel et les soins. Le projet de vie est finalement quelque chose d’assez théorique, les ateliers de réflexion organisés sur ces six thématiques ont permis de mettre tout cela en pratique. Par exemple, l’accueil des nouveaux arrivants a été abordé, pour le séjour, une idée est venue de concevoir des affichettes à placer sur les portes pour respecter l’intimité, des lieux cocooning ont été créés. »

Réelle révolution ou aménagements cosmétiques : l’avenir dira s’il s’agit d’un réel changement de paradigme pour ces institutions, à l’instar du management de certaines entreprises fonctionnant selon des modalités plus horizontales, ou d’un ethical washing de l’image de ces institutions, sans réelles motivations profondes de transformation. Tout est une question d’intention.

Nathalie Cobbaut

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