DossierPrévention
04.06.2025
Numero: 22

Mieux aider les familles monoparentales, au-delà du seul critère de vulnérabilité

En Belgique, les familles monoparentales représentent 26,9% des familles avec enfant(s). 40,4% d’entre elles sont exposées au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale (Statbel, 2024). Ce pourcentage important explique sans doute pourquoi les termes « précarité », « pauvreté », « vulnérabilité », etc., sont ceux qui reviennent souvent quand il est question de ce groupe de population. Toutefois, si beaucoup de ces familles sont vulnérables, elles ne le sont pas toutes comme le souligne Martin Wagener, sociologue et professeur  en analyses sociales à la FOPES-UCL, interviewé dans le cadre de ce dossier. Le regard à poser sur ces familles doit être plus nuancé au vu de leurs réalités et ceci, dans le but de leur apporter des aides plus appropriées.

familles monoparentales, au-delà du seul critère de vulnérabilité

« Les familles monoparentales se composent d’un parent isolé avec un ou plusieurs enfants » : si cette définition succincte est claire, elle ne prend cependant pas en compte les diverses formes de familles “monos” qui existent. Ces facettes multiples expliquent pourquoi il est difficile de les définir. « L’entrée en monoparentalité est multiple, elle peut être choisie (désir de faire un enfant seul·e) ou subie (séparation, décès, non-reconnaissance de coparentalité, emprisonnement, hospitalisation…). Il n’y a pas non plus d’homogénéité socio-économique puisque les familles monoparentales se retrouvent dans toutes les tranches de la population. Les modalités d’hébergement des enfants varient également selon les familles ainsi que l’implication des parents dans l’éducation et le bien-être de leurs enfants. Il n’y a pas non plus d’homogénéité de genre, de classe, d’âge, d’origine, de nombre d’enfants ou encore de durée de la monoparentalité (quelque semaines, mois, années) qui permettrait de les caractériser. »[1] A ceci s’ajoute le fait que la monoparentalité n’est pas une configuration familiale stable, « mais plutôt un épisode plus ou moins long puisque les familles évoluent, se (re)mettent en ménage, se séparent, les enfants quittent le domicile…[2] ».

En résumé, les familles monoparentales renvoient à une configuration familiale plurielle puisqu’on y retrouve autant des foyers monoparentaux exerçant une forme de coparentalité avec un autre parent qui continue de participer à l’éducation et aux besoins de son(ses) enfant(s) que des parents qui assument, seuls, l’entièreté des fonctions éducatives et de bien-être de leur(s) enfant(s)[3].

Majoritairement des mamans solos…

La Région de Bruxelles-Capitale compte près de 65.000 ménages monoparentaux et à la tête de ces ménages se trouvent pour la toute grande majorité d’entre eux des femmes (86%). (voir Encadré) « La monoparentalité est donc un phénomène genré, qui demande à être appréhendé comme tel. En effet, non seulement la grande majorité des ménages monoparentaux sont constitués d’une femme élevant seule un ou plusieurs enfants, mais les problématiques vécues par ces familles sont imprégnées et renforcées par les inégalités de genre à l’œuvre dans notre société. »[4]

Le 11 mars dernier, au cours du colloque organisé par le Sénat, « Les familles monoparentales face à la précarité : comment renforcer l’accès au monde du travail pour permettre une sortie de la pauvreté », Simon Hurd, conseiller à l’Union des villes et Communes de Wallonie asbl, avait rappelé quelques-unes des difficultés rencontrées par ces familles, qu’elles soient à Bruxelles ou Wallonie : de faibles revenus et une capacité d’épargne limitée, une répartition inégale de la garde des enfants et des pensions alimentaires impayées, l’isolement social et une vulnérabilité psychologique, mais aussi des difficultés d’accès au logement, une offre restreinte de milieux d’accueil pour la petite enfance, des discriminations de genre et de la stigmatisation sociale, etc.[5]

Comme le précise le Plan bruxellois de soutien aux familles monoparentales : « Un parent solo doit ainsi faire face, seul, à ce qui incombe habituellement à deux parents, avec pour effet un tiraillement permanent entre ce qu’il y a lieu de faire et ce qu’il est possible de faire. En découle fréquemment un sentiment de culpabilité́ : d’être au travail pendant que son enfant passe près de 10 à 12 heures par jour à l’école et à la garderie, de s’absenter du travail pour s’occuper de son enfant, de ne pas passer du temps de qualité́ avec son enfant, de ne pas avoir de temps pour ses amis, de ne pouvoir donner un père à son enfant, etc. Cette situation a des répercussions dans tous les domaines de la vie.[6] »

Comme le précise également ce document, « L’approche de genre nous apprend qu’à même situation sociale, professsionnelle, financière, d’âge et de nombre d’enfants, la réalité monoparentale d’une mère ou celle d’un père sera différente du fait des enjeux dûs aux stéréotypes de genre qui imprègnent fortement la vie sociale [7] ». Ainsi dans notre société, l’image d’un père seul avec enfants est valorisée, autant par les femmes que par les hommes. Son statut est reconnu par tous et il fait généralement l’objet d’une bienveillance de la part de tous. Au sein de sa famille, sa mère et/ou sa nouvelle compagne donneront souvent ou volontiers un coup de main, voire l’épauleront réellement pour s’occuper des enfants. En revanche, les femmes « sont souvent isolées de leur propre famille et l’aide qui leur sera proposée sera plutôt financière. Les chiffres révèlent également que la situation des pères célibataires est souvent plus courte que celle des mères célibataires[8] ».

Quelques chiffres sur la précarité

Selon les statistiques, le groupe des familles monos à Bruxelles est plus à risque de pauvreté et d’exclusion sociale : en 2018, le risque concernait une famille sur deux, particulièrement celles qui ne percevaient pas de contributions alimentaires pour les enfants. Même quand ces contributions alimentaires sont versées, dans 40 % des cas, elles sont versées de manière irrégulière et, pour 63 % des parents, le montant reste très insuffisant.

Les femmes seules avec enfants cumulent les indicateurs socio-économiques défavorables qui expliquent le risque accru de pauvreté : elles présentent de faibles taux d’activité (44 %) et taux d’emploi (36%) et un taux de chômage élevé (17%) et elles sont plus exposées au risque de chômage de longue durée[9].

Familles monos à Bruxelles

En janvier 2020, la Région de Bruxelles-Capitale comptait 64.258 ménages monoparentaux sur un total de 555.967 ménages avec et sans enfants, ce qui représente près de 12% de l’ensemble des ménages bruxellois. Le nombre de ménages avec enfants, toutes situations confondues (mariés, cohabitants, monos), est de 197.490. Il y a donc 32,54% de foyers monoparentaux parmi l’ensemble des familles bruxelloises.

L’universalisme, pas toujours une bonne façon de faire

Comme l’expliquait Magali Bessone, professeure de philosophie politique à l’université Paris Panthéon-Sorbonne dans une émission radio en 2023 : « L’universalisme est une philosophie qui a un but, aussi simple que complexe, celui d’octroyer à tous les citoyens d’une même nation des règles, des valeurs, des principes communs et qu’ils s’appliquent, quelles que soient nos particularités culturelles, religieuses ou philosophiques »[10].

C’est de cette philosophie dont s’inspirent la plupart des politiques publiques d’accès à divers droits, notamment en Belgique. L’idée que tous aient accès aux mêmes droits est tout fait estimable et relève de la justice sociale. Cependant une des grandes questions actuelles est de savoir si tous les citoyens ont effectivement accès à ces droits. De nombreuses voix s’élèvent désormais pour dire que ce n’est pas le cas, parmi lesquelles celle de Martin Wagener, sociologue et professeur en analyse de politiques sociales à la FOPES[11]-UCL . « En Belgique, on ne se rend pas encore suffisamment compte que les mesures universalistes n’arrivent pas jusqu’aux familles monoparentales. L’inscription en crèche en est une assez bonne illustration. Tant en Wallonie qu’à Bruxelles, il est possible de s’inscrire dès le troisième mois de grossesse. Selon les pouvoirs publics, il n’y a pas de discrimination entre les familles où il y a deux parents et les familles où le parent est seul. Cependant, les parents solos, malgré le fait qu’ils savent déjà, au troisième mois de grossesse, qu’ils/elles élèveront seul·e·s leur enfant sont peu nombreux à effectuer ces démarches. Cela explique la faible présence de familles monoparentales dans les crèches. Il s’agit d’un bon exemple de mesure universaliste qui, parce qu’elle n’est pas bien adaptée à une situation de famille, profite surtout aux familles avec deux revenus qui savent planifier suffisamment longtemps. »

Dès lors comment améliorer l’accès aux crèches pour les parents solos ? Du côté francophone, il serait sans doute intéressant d’aller voir ce qui se passe en Flandre où le principe de « l’universalisme avec adaptation » a été mis en place. Le mode d’inscription en crèche a quelque peu été revu pour permettre également aux familles monos de s’inscrire. « Ce qu’on a observé, poursuit Martin Wagener, c’est que très vite après que la mesure a été instaurée, ces familles-là ont trouvé leur chemin. Et pas seulement les familles monoparentales, mais aussi celles avec des bas revenus, d’origine étrangère, etc. La mesure a été assez critiquée du côté francophone qui n’a pas aimé l’idée de travailler avec des quotas, avec des groupes spécifiques… Mais en trois ans, cela a permis d’ouvrir le droit à la crèche à toute une partie de la population qui n’y avait pas accès en Flandre. C’est ce qui intéressant avec l’universalisme avec adaptation. Il ne faut pas complètement rejeter l’universalisme parce qu’autrement on renforce les inégalités à long terme. Mais en appliquant un universalisme aveugle, celui-ci nie les spécificités des familles monoparentales. »

Autres aspect : celui de la santé. A ce propos, l’universitaire rappelle que le niveau de stress est quand même beaucoup plus important pour les parents solos. Et le stress, faut-il le rappeler, renforce d’autres problèmes de santé… « Il faut vraiment penser à une santé en termes de quartier, d’espace de vie, de ville. Il faut penser à la mobilité, aux écoles, à l’accès aux aides, etc., pour créer une vie qui soit possible. La santé n’est pas qu’une absence de maladie, comme on le dit en promotion de la santé, mais c’est aussi un environnement sain pour soi, les enfants, le voisinage, etc. Ce qui bien évidemment est beaucoup plus complexe ».

Quelles aides pour les familles monoparentales ?

Le projet Miriam, mené par le SPP Intégration sociale, est un autre bel exemple d’une mesure politique mise en place pour aider les mamans solos. Le projet se concentre sur les mères isolées vivant dans la pauvreté. Le projet utilise une approche globale qui se concentre sur dix domaines de vie différents. Les mères monos en situation de pauvreté bénéficient d’un suivi individuel intensif, mais aussi d’accompagnements collectifs prévus au moins une fois tous les quinze jours.[12] C’est un projet qui fonctionne, avec presque 1.000 à 1.200 familles monoparentales accompagnées à ce jour, mais cela reste très peu, selon Martin Wagener, au regard des 30.000 familles qui reçoivent l’aide du CPAS, voire bientôt plus de familles encore avec la réforme du chômage actuelle. « Pour un homme ou une femme politique, il est toujours beaucoup plus facile de créer une mesure spécifique, un projet Miriam, une Maison des Parents Solos, etc., au lieu de changer complètement le fonctionnement des politiques publiques pour attaquer le problème du non-recours aux droits sociaux. Car s’attaquer aux problèmes du non-recours et du non-accès aux droits est beaucoup plus complexe. Il est plus facile de financer un projet ou l’autre, bien visible, avec une évaluation scientifique ». Et comme l’ajoute l’universitaire – qui a évalué la plupart de ces projets –, tous sont de bons projets qui restent, cependant, peu nombreux.

Anoutcha Lualaba Lekede


[1] « Familles monoparentales invisibles : les politiques publiques auxquelles elles n’ont pas droit », La Ligue des Familles, Mars 2023, p. 6.
[2] Idem.
[3] Ibidem
[4] Plan bruxellois de soutien aux familles monoparentales (Juillet 2021), equals.brussels – Service public régional de Bruxelles, p. 3, sur : https://equal.brussels/wp-content/uploads/2024/08/FR_Plan_Monop_Anysurfer.pdf.
[5] L’accompagnement des familles monoparentales par les CPAS – Diagnostic et défis, p. 4 : présentation de Simon Hurd, conseiller à l’Union des Villes et Communes de Wallonie asbl, lors du colloque qui s’est déroulé au Sénat le 11 mars dernier.
[6] Plan bruxellois de soutien aux familles monoparentales (Juillet 2021), equals.brussels – Service public régional de Bruxelles, op. cit, p. 5,
[7] Ibidem, p. 3.
[8] Ibidem, p. 6.
[9] Ibidem, p.6.
[10] Podcast de radio France Inter : L’universalisme, tous égaux ? (02/02.23), sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/zoom-zoom-zen/zoom-zoom-zen-du-jeudi-02-fevrier-2023-9007388.
[11] Faculté ouverte de politique économique et sociale.
[12] https://www.mi-is.be/fr/miriam.

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