L’universalisme, pas toujours une bonne façon de faire
Comme l’expliquait Magali Bessone, professeure de philosophie politique à l’université Paris Panthéon-Sorbonne dans une émission radio en 2023 : « L’universalisme est une philosophie qui a un but, aussi simple que complexe, celui d’octroyer à tous les citoyens d’une même nation des règles, des valeurs, des principes communs et qu’ils s’appliquent, quelles que soient nos particularités culturelles, religieuses ou philosophiques »[10].
C’est de cette philosophie dont s’inspirent la plupart des politiques publiques d’accès à divers droits, notamment en Belgique. L’idée que tous aient accès aux mêmes droits est tout fait estimable et relève de la justice sociale. Cependant une des grandes questions actuelles est de savoir si tous les citoyens ont effectivement accès à ces droits. De nombreuses voix s’élèvent désormais pour dire que ce n’est pas le cas, parmi lesquelles celle de Martin Wagener, sociologue et professeur en analyse de politiques sociales à la FOPES[11]-UCL . « En Belgique, on ne se rend pas encore suffisamment compte que les mesures universalistes n’arrivent pas jusqu’aux familles monoparentales. L’inscription en crèche en est une assez bonne illustration. Tant en Wallonie qu’à Bruxelles, il est possible de s’inscrire dès le troisième mois de grossesse. Selon les pouvoirs publics, il n’y a pas de discrimination entre les familles où il y a deux parents et les familles où le parent est seul. Cependant, les parents solos, malgré le fait qu’ils savent déjà, au troisième mois de grossesse, qu’ils/elles élèveront seul·e·s leur enfant sont peu nombreux à effectuer ces démarches. Cela explique la faible présence de familles monoparentales dans les crèches. Il s’agit d’un bon exemple de mesure universaliste qui, parce qu’elle n’est pas bien adaptée à une situation de famille, profite surtout aux familles avec deux revenus qui savent planifier suffisamment longtemps. »
Dès lors comment améliorer l’accès aux crèches pour les parents solos ? Du côté francophone, il serait sans doute intéressant d’aller voir ce qui se passe en Flandre où le principe de « l’universalisme avec adaptation » a été mis en place. Le mode d’inscription en crèche a quelque peu été revu pour permettre également aux familles monos de s’inscrire. « Ce qu’on a observé, poursuit Martin Wagener, c’est que très vite après que la mesure a été instaurée, ces familles-là ont trouvé leur chemin. Et pas seulement les familles monoparentales, mais aussi celles avec des bas revenus, d’origine étrangère, etc. La mesure a été assez critiquée du côté francophone qui n’a pas aimé l’idée de travailler avec des quotas, avec des groupes spécifiques… Mais en trois ans, cela a permis d’ouvrir le droit à la crèche à toute une partie de la population qui n’y avait pas accès en Flandre. C’est ce qui intéressant avec l’universalisme avec adaptation. Il ne faut pas complètement rejeter l’universalisme parce qu’autrement on renforce les inégalités à long terme. Mais en appliquant un universalisme aveugle, celui-ci nie les spécificités des familles monoparentales. »
Autres aspect : celui de la santé. A ce propos, l’universitaire rappelle que le niveau de stress est quand même beaucoup plus important pour les parents solos. Et le stress, faut-il le rappeler, renforce d’autres problèmes de santé… « Il faut vraiment penser à une santé en termes de quartier, d’espace de vie, de ville. Il faut penser à la mobilité, aux écoles, à l’accès aux aides, etc., pour créer une vie qui soit possible. La santé n’est pas qu’une absence de maladie, comme on le dit en promotion de la santé, mais c’est aussi un environnement sain pour soi, les enfants, le voisinage, etc. Ce qui bien évidemment est beaucoup plus complexe ».
Quelles aides pour les familles monoparentales ?
Le projet Miriam, mené par le SPP Intégration sociale, est un autre bel exemple d’une mesure politique mise en place pour aider les mamans solos. Le projet se concentre sur les mères isolées vivant dans la pauvreté. Le projet utilise une approche globale qui se concentre sur dix domaines de vie différents. Les mères monos en situation de pauvreté bénéficient d’un suivi individuel intensif, mais aussi d’accompagnements collectifs prévus au moins une fois tous les quinze jours.[12] C’est un projet qui fonctionne, avec presque 1.000 à 1.200 familles monoparentales accompagnées à ce jour, mais cela reste très peu, selon Martin Wagener, au regard des 30.000 familles qui reçoivent l’aide du CPAS, voire bientôt plus de familles encore avec la réforme du chômage actuelle. « Pour un homme ou une femme politique, il est toujours beaucoup plus facile de créer une mesure spécifique, un projet Miriam, une Maison des Parents Solos, etc., au lieu de changer complètement le fonctionnement des politiques publiques pour attaquer le problème du non-recours aux droits sociaux. Car s’attaquer aux problèmes du non-recours et du non-accès aux droits est beaucoup plus complexe. Il est plus facile de financer un projet ou l’autre, bien visible, avec une évaluation scientifique ». Et comme l’ajoute l’universitaire – qui a évalué la plupart de ces projets –, tous sont de bons projets qui restent, cependant, peu nombreux.
Anoutcha Lualaba Lekede
[1] « Familles monoparentales invisibles : les politiques publiques auxquelles elles n’ont pas droit », La Ligue des Familles, Mars 2023, p. 6.
[2] Idem.
[3] Ibidem
[4] Plan bruxellois de soutien aux familles monoparentales (Juillet 2021), equals.brussels – Service public régional de Bruxelles, p. 3, sur : https://equal.brussels/wp-content/uploads/2024/08/FR_Plan_Monop_Anysurfer.pdf.
[5] L’accompagnement des familles monoparentales par les CPAS – Diagnostic et défis, p. 4 : présentation de Simon Hurd, conseiller à l’Union des Villes et Communes de Wallonie asbl, lors du colloque qui s’est déroulé au Sénat le 11 mars dernier.
[6] Plan bruxellois de soutien aux familles monoparentales (Juillet 2021), equals.brussels – Service public régional de Bruxelles, op. cit, p. 5,
[7] Ibidem, p. 3.
[8] Ibidem, p. 6.
[9] Ibidem, p.6.
[10] Podcast de radio France Inter : L’universalisme, tous égaux ? (02/02.23), sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/zoom-zoom-zen/zoom-zoom-zen-du-jeudi-02-fevrier-2023-9007388.
[11] Faculté ouverte de politique économique et sociale.
[12] https://www.mi-is.be/fr/miriam.