DossierTechnologies
03.12.2024
Numero: 20

Réfléchir ensemble à l’occasion d’une journée sur l’intelligence artificielle en santé et en société

Le 14 novembre dernier, les acteurs de la promotion de la santé, du social-santé, de l’éducation permanente et de la jeunesse se sont retrouvés au Pianofabriek pour participer à la journée de réflexion intitulée « Intelligence artificielle, santé et société » organisée par l’asbl Question Santé. Un « event » qui s’inscrit dans la lignée de deux publications précédentes sur la même thématique, réalisées par son service Education permanente. Figuraient au programme de cette journée riche : des interactions avec le public, des interventions d’experts et des ateliers participatifs.

Ateliers journée IA de QS

Après une brève introduction par Vinciane Hubrecht[1], modératrice, la journée sur l’IA a débuté avec une animation, une manière ludique et dynamique d’entrer dans la thématique afin de voir où en sont les participants par rapport à celle-ci, comment ils y ont réfléchi et comment ils s’en sont emparées. Dans la première partie de l’animation, les participants ont ainsi été invité à répondre par un « Oui » ou par un « Non » à ces trois interrogations lors de la première partie de l’animation : « Je crois savoir ce qu’est l’intelligence artificielle », « L’IA est partout présente dans notre quotidien » et « J’utilise ChatGPT ou un système d’IA générative similaire au moins une fois par semaine ». Et, dans la seconde partie de l’animation, ils ont été invités à s’exprimer, d’une part, sur les « Craintes/inquiétudes » et, d’autre part, sur les « Opportunités et les craintes ».

Il est apparu, au regard des réponses, que l’IA est une technologie qui est connue par une majorité des participants. Cependant ces derniers sont apparus divisés sur sa présence dans la vie quotidienne. Pour ce qui est de l’utilisation de ChatGPT ou d’un système d’IA générative similaire, une participante a indiqué s’en servir tous les jours « pas pour produire, mais plutôt pour confirmer ou reformuler ». Une autre, directrice d’une association, a confié que dans son équipe, certains employés l’utilisaient de temps en temps et que participer à une telle rencontre permettait de se renseigner sur le sujet et sur l’opportunité de s’en servir en complément du travail déjà effectué. Et si, personnellement, elle n’utilisait pas – parce qu’elle n’en avait pas eu besoin jusqu’ici -, elle pensait néanmoins que, dans le futur, certains logiciels d’IA pourraient simplifier ou raccourcir le temps pour certaines tâches inintéressantes à effectuer.

Il est également ressorti que l’IA était davantage perçue avec crainte que comme une source d’opportunités et d’espoirs. C’est du moins ce que l’on peut en dire au regard des interrogations soulevées :  « L’IA pourra-t-elle réduire la charge du travail administratif pour les soignants au profit de plus de soins et de relation avec les patients ? », « Quels espoirs pour soulager, accompagner et guérir l’Homme ? », « L’IA peut-elle rendre les gens plus paresseux d’un point de vue intellectuel ? », « Dans le cas d’une IA super intelligente, comment croire que dans nos sociétés ultra-libérales, nous pourrions avoir un contrôle et une utilisation responsable de l’IA ? », « L’IA est nourrie par des humains qui ont des objectifs spécifiques. N’y a-t-il pas un risque de standardisation des solutions apportées par ce type d’usage de l’IA ? », etc.

Des publications pour interroger et mettre en débat

Céline Téret, journaliste en Education permanente à Question Santé, a enchaîné sur une présentation synthétique des publications Intelligence artificielle, l’heureuse révolution ? et IA en santé, entre espoir et prudence. Deux publications parce qu’il existe des enjeux autour de l’IA au regard de tout ce qui est produit à ce sujet. Cela suscite des questions et en a soulevé auprès de l’équipe EP qui s’est penchée sur la thématique et a finalement produit deux publications tant le champ de l’IA est vaste. La première, Intelligence artificielle, l’heureuse révolution ?, vise à mieux comprendre ce qu’est l’IA et ses enjeux de société et, la deuxième, IA en santé, entre espoir et prudence, fait un focus sur la santé, invitant à voir dans quelle mesure l’IA vient bouleverser le monde de la médecine et plus globalement du secteur social-santé. Et aussi de voir les interrogations que cela peut soulever. Parfois, pour lever aussi certains fantasmes liés à l’IA.

L’IA fait partie de la grande famille des algorithmes. « Un algorithme, a rappelé Céline Téret, est une suite d’instructions, suivies dans un ordre précis, pour obtenir un résultat donné ou résoudre un problème ». Un algorithme est comparable à une recette de cuisine, c’est comme indiquer le chemin… Si l’IA fonctionne grâce aux algorithmes, tous les algorithmes ne sont cependant pas de l’IA. Bien que l’on en parle beaucoup de nos jours, l’IA est présente dans de multiples domaines de nos quotidiens (communication, recherche, commerce, moteurs de recherche, etc.). Et ce depuis plusieurs années déjà, même si nous ne nous en rendons pas compte. Dès lors, pourquoi en parle-t-on autant aujourd’hui ? Essentiellement parce que l’IA de dernière génération est capable de produire de nouvelles données, notamment ChatGPT.

Mais, ChatGPT n’est qu’un exemple parmi d’autres. Tous ces systèmes-là utilisent l’apprentissage automatique. C’est-à-dire que les machines sont entraînées grâce à une quantité massive de données et sont capables de prendre des décisions pour atteindre une tâche ou résoudre un problème. Dans cette grande famille, on retrouve l’IA générative qui génère des textes, des vidéos, des audios, etc., dont le célèbre ChatGPT. « Un changement majeur est intervenu quand des outils d’IA génératives ont pu nous aider à créer des contenus, à simuler une forme de création sur base de données qui sont assimilées, a continué Céline Téret.  A présent, ces outils sont accessibles à tout le monde. La version de base est gratuite, mais des versions plus performantes existent et sont payantes. »

L’IA est également présente dans le secteur de la santé : en médecine préventive, en imagerie médicale, en termes de traitements et de recherche. Mais aussi sur le plan administratif, dans la gestion des patients, etc. (Voir l’article précédent de ce dossier)

Présente dans de nombreux domaines de la société, l’IA n’en pose pas moins toute une série de questions éthiques reprises dans la publication IA en santé : la question des métiers (« L’IA remplacera-telle, dans un futur plus ou moins proche, des humains dans certains métiers ? »), la question de la créativité et du libre arbitre. Ou encore celle de la protection des données, du temps gagné si l’IA libère les professionnels de santé de certaines tâches administratives, etc.

Contribution de deux experts en IA                                                                                          

Valérie Tanghe et Giovanni Briganti sont les deux experts en IA qui ont été invités à l’occasion de la journée de réflexion. La première a un master en génie civile de la KUL Leuven et a occupé différents postes de direction technique dans des entreprises Télécom et informatique. Le second est médecin-chercheur, spécialisé en IA (Voir l’article précédent de ce dossier).

Comme l’a décrit, Vinciane Hubrecht, modératrice de la journée, en présentant l’experte : « Valérie Tanghe est une OVNI. Une femme évoluant dans un environnement professionnel majoritairement masculin qui estime que les solutions technologiques seront plus solides et résoudront davantage les problèmes du monde réel si elles peuvent tirer parti de la perspective féminine. Valérie Tanghe est une espèce en voie d’apparition. Après s’être fait un nom dans sa profession, nommée femme TIC de l’année en 2023, cette femme issue de la quatrième dimension entend faire rentrer plus de femmes dans ce milieu très prisé des hommes. Non parce qu’elle est une femme, mais parce que c’est une femme avec des ressources, des compétences et une expertise… »

Réagissant par rapport aux craintes qui avaient été exprimées en début de journée, Valérie Tanghe a tenu à souligner : « Je voudrais quand même vous rassurer parce que beaucoup de personnes s’occupent de ces craintes et sont aussi conscientes de tout ce que l’IA peut apporter. » Aussi s’est-elle attachée à donner quelques exemples d’opportunités et de perspectives qu’offre l’IA.

Il en est ainsi des IA génératives d’images, de sons et de textes actuels. Les IA génératives de textes par exemple arrivent à produire des textes très bien écrits, des meilleures traductions. Un autre exemple : l’application Google qui est un des systèmes d’IA utilisés au quotidien à travers le monde. Les voitures autonomes qui commencent à être mises en circulation en sont une autre illustration : des voitures qui peuvent circuler sur la voie publique sans intervention humaine aideraient certainement à réduire le nombre d’accidents sur les routes, ceux-ci étant souvent dus à des erreurs humaines. Mais cela demande de s’organiser autrement, de revoir les routes, etc.

Valérie Tanghe a longuement parlé des algorithmes, notamment des solutions IA développées pour les entreprises. Elle a ainsi cité le cas d’un outil développé pour le service des Ressources humaines d’une grande entreprise qui voulait opérer un tri plus efficace parmi les milliers de CV qu’il recevait : faire ressortir les CV qui correspondaient le mieux aux profils recherchés. Mais très vite, il s’est avéré que l’outil ne proposait jamais de CV de femmes pour les inviter à un premier entretien. Le service RH a dû abandonner cet outil car les programmeurs n’avaient pas réussi à résoudre cette difficulté. La raison principale de l’absence de CV féminins était, qu’au départ, le système avait été alimenté par des exemples masculins présents dans la base de données. Dans la référence data d’un système d’IA, il est important d’avoir un bon équilibre de toutes les diversités. Mais d’un point de vue technique, cela reste compliqué. Et comme l’a rappelé Valérie Tanghe, il faut veiller à ce que l’Humain reste toujours le dernier responsable à prendre une décision ; les systèmes d’IA doivent rester des outils d’aide à la décision.

Autre développement qui pourrait être intéressant pour les femmes dans le monde du travail par rapport à tout ce qui est harcèlement : des outils qui pourraient s’appliquer à tous les échanges, chats au sein d’une entreprise pour mettre en exergue les commentaires relevant du sexisme, de harcèlement, etc. On peut également imaginer des outils qui permettraient de réécrire des textes pour utiliser davantage l’écriture inclusive par exemple. Une entreprise aux Etats-Unis a testé un outil de ce type et cela fonctionne.

Pour terminer, Valérie Tanghe a insisté sur le fait qu’une technologie n’est ni bonne ni mauvaise, mais c’est plutôt ce que nous en faisons qui fait pencher la balance d’un côté ou de l’autre : « La technologie fera toujours ce qu’on lui demandera de faire. Mais, il faut vérifier que la machine intelligente ou complexe ne dévie pas de l’objectif initial pour lequel elle a été conçue. Il faudra donc toujours des hommes et des femmes pour vérifier que ces nouveaux outils restent un support à l’humain. »

La journée s’est terminée par des ateliers participatifs où les professionnels ont réfléchi autour des besoins identifiés en matière d’utilisation de l’IA : dans les pratiques professionnelles ainsi qu’au sein des équipes/structure ; au sein du public de sa structure et, de manière plus générale, au sein de la société.

Il est ressorti des ateliers qu’il existe énormément de besoins et de questionnements par rapport à l’IA. Des besoins au niveau du travail au sein des équipes par exemple, notamment en termes de formation. Beaucoup de travailleurs se sont demandés par exemple comment rendre ces nouveaux outils (plus) accessibles aux publics : comment réduire les inégalités par rapport à l’IA ? L’accessibilité est une chose, mais encore faudrait-il pouvoir accompagner le(s) publics(s) à une bonne utilisation de l’IA et au développement de leur esprit critique par rapport à celle-ci. Parmi les participants, certains ont insisté sur l’importance de ne pas oublier les jeunes dans ces formations et accompagnements. Beaucoup, selon un participant, utiliseraient l’IA de façon intuitive. Et il est sans doute utile, au niveau sociétal, de former les étudiants autrement, avec l’IA notamment : « L’utiliser comme un outil supplémentaire et non comme un moyen de plagiat, a souligné un participant ».

Dans les trois ateliers, les questions de « gain de temps », de « gestion administrative », d’aide à la planification et gestion de projets font l’objet de grands espoirs : l’IA pourrait-elle aider dans ces tâches administratives (un peu) rébarbatives ? La question, qui suit et qui a déjà été évoquée, est de savoir que faire du temps ainsi libéré : comment l’IA peut-elle rester au service de l’humain ? Que dire des agents conversationnels (robots) déjà utilisés dans certaines maisons de repos ?

Anoutcha Lualaba Lekede


[1] Thérapeute systémique.

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