InitiativesPrévention
10.03.2025
Numero: 21

Travailleurs et travailleuses du sexe : des violences à tous les niveaux

A l’occasion du 17 décembre, Journée mondiale pour l’élimination des violences faites aux travailleuses et travailleurs du sexe, Espace P, Utsopi et Alias, trois associations qui aident et accompagnent ce public, ont organisé une après-midi thématique pour dresser un état des lieux des violences qui ciblent les travailleuses et travailleurs du sexe, tant à Bruxelles qu’en Wallonie.

Travailleurs et travailleuses du sexe : des violences à tous les niveaux

Au programme de cet après-midi figuraient un monitoring des violences à l’encontre des HsH (hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes) et personnes trans concerné·e·s par le travail du sexe à Bruxelles, ainsi qu’une présentation des violences à l’encontre des femmes travailleuses du sexe, cisgenres et transgenres, à Bruxelles et en Wallonie. La question, de la persistance des violences et des discriminations qui continuent après la loi décriminisant le travail du sexe a également été abordée. Il en résulte une liste des violences impressionnante. Seules quelques-unes d’entre elles ont été reprises dans les lignes qui suivent.

Espace P, une association qui vient en aide aux travailleuses et travailleurs du sexe (TDS) depuis plus de 30 ans[1], a présenté brièvement l’enquête qu’elle a menée en 2021 auprès de 185 TDS[2], soulignant au passage que les violences recensées étaient toujours d’actualité fin 2024. Par rapport aux rencontres avec les clients, on relève ainsi : des cheveux tirés, le harcèlement, les menaces (de divulgation de l’activité, de diffusion du contenu à caractère sexuel au travers de différentes vidéos), le non-respect du contrat de départ, le non-paiement de la prestation avec aussi, parfois, la demande de remboursement. Ce dernier point est une réalité qui est souvent rencontrée par les TDS du quartier Nord, par exemple. Dans les carrées[3], ces lieux où se retrouvent les TDS et les clients, l’environnement de travail est extrêmement violent. Beaucoup de TDS se retrouvent dans des situations d’extrême vulnérabilité. Ainsi quand des clients demandent à être remboursés la plupart du temps, les TDS s’exécutent. Autres situations de violences rencontrées dans ces lieux : des vols[4], des menaces avec armes, des séquestrations, des viols et, parfois, des féminicides… Cependant, on peut également souligner : la violence des passants (insultes, menaces, crachats sur les vitrines par exemple), des proxénètes, des exploitants ; des violences intrafamiliales et conjugales ; la violence des réseaux liés à l’exploitation et la traite des êtres humains.

Avec le monitoring effectué par Alias, qui offre un accompagnement psycho-médico-social pour les hommes et les personnes trans concernées par la prostitution/le travail du sexe à Bruxelles, on peut ajouter : les violences en raison de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre (homophophie, transphobie) ; la putophobie qui englobe toutes les formes de discriminations liées à la stigmatisation du travail du sexe ; la sérophobie discriminations liées au statut sérologique). Comme au sein de la population générale, beaucoup de TDS vivent encore avec le VIH et subissent des discriminations systémiques et réelles par rapport à leur statut. Sans oublier, le racisme qui figure également en bonne position. On note aussi des discriminations dues à la pauvreté, liées à la classe, aux revenus – réels ou supposés -, de ces personnes.

Des violences aux niveaux de la police et du milieu des soins

Guilhem Lautrec, le directeur d’Alias, a également évoqué les violences policières à l’encontre des TDS : « Dois-je réellement vous parler des violences policières ? Faute de temps cet après-midi, je soulignerai juste qu’elles arrivent néanmoins en quatrième position des violences qui ont été relevées ». Cependant, dans les ateliers qui ont suivi les présentations, les participants ont pu entendre un récit illustrant assez bien les rapports difficiles avec certains membres de la police. Le récit était celui d’une femme trans, originaire d’Amérique latine, qui avait été agressée sexuellement et physiquement par un client. Elle a appelé la police qui est venue, puis repartie en disant quelque chose comme : « C’est la version du client qui est la bonne. Nous n’avons rien à faire, nous repartons ». Les policiers avaient eu du mal à croire qu’une femme trans ait pu se faire violenter[5]. Et le fait que le client ne veuille pas payer la prestation n’était pas grave non plus. L’impunité des clients et des agresseurs est une réalité que les TDS rencontrent souvent et qui s’accroît avec les années.

Un autre exemple donné lors des ateliers est celui d’une femme trans qui a fait un malaise et a perdu connaissance sur son lieu de travail. Ses collègues qui travaillaient dans les pièces à côté ont appelé un service d’urgence et des ambulanciers sont venus. En découvrant la TDS évanouie, encore en tenue de travail, avec d’autres habits pendus derrière la porte, les ambulanciers n’ont pas pu s’empêcher de tenir des propos déplacés,sans se soucier de préserver son intimité. Des propos que ses collègues, inquiets à la porte, n’ont pu qu’entendre.

Comparant les milieux policier et hospitalier, Isabelle Jaramillo, coordinatrice et assistante sociale chez Espace P, n’a pu s’empêcher de faire remarquer que dans le premier, il était encore possible de sensibiliser les forces de l’ordre à la problématique des violences subies et rencontrées par les TDS. Il est possible, par exemple, de rencontrer les futurs policiers lors de leur formation à l’école de police. Dans les milieux de soins en revanche, notamment dans les hôpitaux, il est très difficile pour les associations d’y accéder et de sensibiliser les professionnels de la santé. La réaction dans les milieux de soins est-elle différente à l’égard d’autres groupes vulnérables de la population ? Vis-à-vis des personnes sous influence de produits, des personnes sans toit, etc. ? Comme l’ont souligné quelques intervenants, il faudrait sans doute trouver comment arriver à sensibiliser (davantage) les professionnels de la santé, tout comme la population générale.

Comment prévenir et lutter contre les violences à l’égard des TDS ?

Guilhem Lautrec, directeur d’Alias : « Chaque membre de l’équipe rapporte toutes les violences dont il ou elle a eu vent, dont il ou elle a été témoin éventuellement. C’est un sujet hebdomadaire de discussion qui n’est pas inutile dans le sens où il faut qu’on saisisse ce phénomène-là comme quelque chose de quotidien. Cela nous permet non seulement de collecter des données, mais également de réfléchir à la manière dont nous intervenons et accompagnons notre public ».

On peut aussi signaler un projet de la Rainbowhouse Brussels[6], Let’s report LGBTQIA+ Phobia, né à la suite du constat que les violences « LGBTphobes » étaient sous-reportées au niveau des forces de l’ordre pour différentes raisons. Etant sous-reportées, ces violences sont peu considérées et, par conséquent, invibilisées.

Autre initiative intéressante, le projet Jasmine[7] en France qui est un programme de lutte contre les violences faites aux TDS. Il s’agit d’une plateforme en ligne, résultat d’une collaboration entre des organisations de terrain et Médecins du Monde, qui permet de prévenir les violences et de s’informer sur les personnes potentiellement agressives ou criminelles. La responsable du projet, qui l’a présenté en visio-conférence le 17 décembre dernier, souhaitait qu’en Belgique des programmes pareils puissent également voir le jour sur tout le territoire.

Anoutcha Lualaba Lekede


[1] Espace P est situé à Bruxelles et dispose de plusieurs antennes dans les grandes villes en Wallonie.
[2] Parmi les personnes sondées : 89% étaient des femmes ; 3%, des hommes et 8% des personnes transgenres. On y retrouvait des Belges (37%), mais aussi des personnes venant de l’Europe de l’Est, d’Amérique latine, d’Afrique subsaharienne, d’Afrique du Nord…
[3] Rez-de-chaussée de maisons unifamiliales où les femmes, postées à la fenêtre, attendent les clients.
[4] Il n’est pas rare que des personnes se fassent passer pour des clients, en fin de journée ou en fin de semaine, pour venir voler l’argent qui a été gagné par la TDS.
[5] Dans de nombreuses situations où des TDS sont victimes d’abus et de violences, celles-ci ne sont pas prises au sérieux par la police. Cette dernière est souvent coupable de Victim blaming, attitude qui consiste à culpabiliser la victime, à la rendre responsable de l’agression ou de l’injustice subie.
[6] La Rainbowhouse Brussels abrite différentes associations francophones et néerlandophones LGBTQIA+ de la Région bruxelloise. Ces associations y organisent des permanences pour aider les personnes à trouver leur chemin vers une assistance juridique, sociale, psychologique ou médicale. http://rainbowhouse.be/fr/
[7] Pour en savoir plus: https://projet-jasmine.org