Promouvoir la santé à l'école est un e-Journal destiné aux professionnels·les de la promotion de la santé à l'école et, plus largement, aux personnes intéressées par les enjeux de santé en milieu scolaire.
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Sommaire
DOSSIER Dans de nombreuses équipes, la fatigue est devenue un « compagnon de route ». Ce constat était vrai avant la Covid, mais la pandémie a (vraisemblablement) accentué le phénomène. Un symptôme « normal », « banal », qui « va passer » ? Pas forcément ! Que se cache-t-il derrière ces fatigues, plus complexes qu’on ne l’imagine parfois ? Comment les expliquer et comment y répondre ? Voici des pistes...
EVRAS Aborder des thèmes Evras avec des élèves d’origines culturelles diverses peut – légitimement – mettre mal à l’aise ou même effrayer. De là à abandonner tout dialogue ? Ihssan Himich donne les raisons de ne pas renoncer et indique comment y parvenir.
EN BREF(S) Le livre du projet ‘Ne tournons pas autour du pot !’; une brochure à destination des élèves en situation de handicap; et des statistiques sur la médecine scolaire en France.
PIPSA Des outils pour aborder l’Evras en milieu interculturel
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Derrière le miroir de nos fatigues…
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Avant la crise de la Covid-19, la fatigue était déjà, souvent, une « invitée » bien connue (quoique non désirée) au sein des équipes. Et depuis lors ? Depuis lors, pas mieux. Ou peut-être, bien pire encore. Alors, même si « tout le monde, partout, est fatigué », il est loin d’être inutile de s’arrêter sur ce phénomène qui peut en dire long...
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Que les non fatigués lèvent le doigt ! Dans certaines équipes, depuis l’arrivée de la pandémie, il est probable que bien peu de mains (ou même aucune) n’émergeraient à l’écoute de cette injonction… Au sein de nombreuses équipes PSE, on le sait, on le dit : les personnels sont fa-ti-gués. Faut-il s’en inquiéter ? Considérer que c’est normal ? Attendre que cela passe… ou bien réagir ? Dans ce cas, comment le faire et comment trouver des réponses ?
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Ce dossier propose de soulever un pan du voile sur cette problématique, loin d’être aussi mineure que l’on pourrait parfois le croire. En effet, derrière la fatigue des équipes et ce qu’elle implique en termes d’obstacle au bien-être, guette l’épuisement professionnel ou le burn out, à peine en embuscade… Oui, la fatigue est un signe. Un premier. Mais non négligeable.
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Dans ce dossier, Tatiana Gielen et Amélie Hocepied, psychologues au Centre Chapelle-aux-Champs et au Centre de guidance d’Ixelles (à Bruxelles), rappellent comment ce phénomène se traduit, ce qu’il génère, ce qu’il peut révéler, ainsi que les questions qu’il suscite (lire l’article : « Et si on s’écoutait enfin ? »).
Les fatigues des soignants ou des personnels impliqués dans le social ou dans la promotion de la santé sont-elles sans conséquences ? Peut-on en parler sans éviter d’aborder les questions liées au sous-effectif et ses conséquences ? Certes, les équipes fonctionnent, malgré leur fatigue, motivées par le sens de leurs responsabilités et parce qu’elles sont profondément convaincues de l’importance de leur travail, rappelle le Dr Sophie Graas (lire l’article : « Tracer, est-ce notre métier ? »). Mais à quel prix ? Et que se passe-t-il lorsqu’une crise comme celle de la Covid-19 bouleverse les pratiques et vient remettre en question le sens des missions traditionnelles de ces services ?
Souvent banalisée, la fatigue doit-elle être passée sous silence ? Parce que nous sommes persuadés du contraire, voici des pistes pour s’y arrêter, tirer la sonnette d’alarme, en parler et, peut-être, imaginer des solutions adaptées à chacun, chacune, et à chaque équipe.
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Et si on s’écoutait enfin ?
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Une sensation de fatigue permanente, accompagnée parfois de signes physiques qui y sont liés : dans les équipes de soins, la fatigue s’impose et laisse des traces. Une fatalité ? Sûrement pas ! Mais encore faut-il (re)connaître « l’ennemie » et en parler enfin.
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« La fatigue, c’est normal : ça va passer », entend-on souvent. Mais, justement… « Passe-t-elle » toujours spontanément et sans laisser de trace ? Sa présence n’est-elle pas une information sur laquelle il serait utile de s’arrêter un moment ? Psychologues, Tatiana Gielen et Amélie Hocepied interviennent actuellement au sein du projet « Covid-Soignants », destiné à accompagner et à soutenir des personnes impliquées dans le cadre des soins et impactées par la crise de la Covid-19 (1). Dans ce cadre, elles proposent des formules adaptées aux besoins des équipes (au sens large) ou des personnes malmenées par la crise sanitaire. Y compris lorsque ces dernières sont « juste » fatiguées ? Oui, pourquoi pas ? La fatigue est, aussi, un signe d’appel et/un révélateur. Elles l’expliquent ici et soulignent l’intérêt, sinon l’importance, d’y réfléchir et d’y répondre… à temps.
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« Selon les équipes, et les différents métiers que l’on regroupe aussi sous le vocable de ‘soignants’, on rencontre évidemment des niveaux de fatigue très différents. Malgré tout, lorsque la fatigue est présente, de manière générale, on repère des signes similaires. Dans les équipes, les personnes sont alors plus irritables, davantage à cran. Elles ont plus de mal à gérer certaines situations, prennent les choses plus à cœur. Des tensions peuvent émerger au sein du groupe », constate Tatiana Gielen. « L’irritabilité qui s’installe est aussi parfois accompagnée par la perte d’un peu d‘empathie, ajoute Amélie Hocepied. Du cynisme peut survenir à l’égard des collègues et des patients. En fait, la personne présente davantage de mal à accepter les émotions des autres. Une distance, une froideur peuvent s’installer, telles celles que l’on retrouve dans l’épuisement ou le trauma. »
Une précision - importante - : la fatigue évoquée ici est un phénomène complexe. Mais, en tout cas, une « bonne nuit » de repos ou un WE sympa ne suffisent pas à l’effacer…
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Quand le corps parle aussi
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Très souvent, ajoutent les psychologues, la fatigue se marque également par des symptômes physiques importants, avec des signes qui peuvent être révélateurs : des maux de nuque ou de dos traduisent les tensions et les crispations du corps, des migraines, des céphalées, des problèmes de concentration et/ou de mémoire risquent de survenir également.
« Un bon indice, c’est d’écouter son corps, souligne Amélie Hocepied. Il nous dit quand on est dans ‘le trop’. » L’idée ? Se rendre compte de la situation – même si ce n’est pas toujours facile - et l’admettre. Puis comprendre qu’il va falloir prendre du recul et, peut-être même, un congé…
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Des soignants… jusqu’au bout, 24H/24
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D’où viennent nos fatigues ? Il serait sans doute bien hasardeux de tenter de discriminer avec précision ce qui ressort de facteurs individuels, en lien avec nos vies privées, parfois lourdement marquées par la crise sanitaire, et ce qui repose sur nos conditions de travail ou le fonctionnement des équipes.
« On amène sa vie au travail. Mais quand on est soignant, on ramène aussi son travail chez soi. On a beau avoir entendu le discours selon lequel il faut ‘être professionnel’ et séparer vies privée et professionnelle, en pratique, souvent, cela ne fonctionne pas comme cela », soulignent les psychologues.
En réalité, glissent-elles, depuis la crise sanitaire, la limite entre vies privée et professionnelle serait devenue plus floue encore. « Des équipes ont vécu des moments difficiles. Il peut être difficile de se déconnecter. Même en congé, le WE, on pense déjà au lundi. La fatigue, on l’emporte avec soi, chez soi… », souligne Amélie Hocepied. Faut-il s’étonner que la pandémie ait conduit nombre de soignants à l’arrêt de travail ?
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« Comment prendre soin des autres quand soi-même, on n’en peut plus ? » Les psychologues insistent : mieux vaut être dans le préventif, afin d’éviter que les choses deviennent plus compliquées encore. La fatigue devrait donc être repérée rapidement et entraîner un temps d’arrêt et de questions. A défaut de s’y arrêter, l’épuisement risque de la remplacer et le risque de craquer n’est pas à exclure.
Seulement voilà : « Peut-on prendre le temps de s’écouter, de s’arrêter lorsqu’on entend dire qu’il est égoïste de le faire quand on est un soignant ? Ou bien quand on est soi-même persuadé que son boulot, c’est de ‘tenir’… et que l’on s’en veut si on n’y parvient pas ? », interrogent les psychologues.
« Des recherches menées depuis une dizaine d’années mettent en évidence cette difficulté rencontrée par le soignant dès qu’il ferait mine de sortir de son rôle de ‘sauveur’. A ses yeux, abandonner son poste, ce serait comme abandonner les patients mais, aussi, toute une camaraderie. La personne qui finit par y être contrainte en vient parfois à se demander ce qui ne va pas chez elle… », explique Amélie Hocepied.
Cette stigmatisation de celui qui trahirait son rôle est « encore accru lorsque les équipes sont en sous-effectif, remarque Tatiana Gielen. ‘Je ne suis pas malade, donc je dois travailler’, se dit-on. On se sent obligé de le faire, on se répète que c’est sa responsabilité… Et on en arrive à des situations comme celle de ces puéricultrices avec lesquelles nous travaillons et qui avouent regretter de ne pas avoir la Covid-19 afin de pouvoir cesser le travail ou de se sentir autorisées à le faire ! »
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S’arrêter, c’est légitime
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« Il s’agit de reconnaitre l’existence d’une dissonance cognitive : bien sûr, on a envie d’être là, pour le patient, pour l’équipe. Mais on n’en peut plus et le corps dit de s’arrêter. On se sent donc coincé. Il faut prendre en compte cette dissonance, avoir conscience de cette situation, puis légitimer ce que l’on ressent, pour (se) redonner des possibilités de choix », détaille Tatiana Gielen. Comme le précise Amélie Hocepied, « il faut prendre soin de soi pour pouvoir prendre soin des autres. Le fait de se reposer, ce n’est pas abandonner : c’est différent. Et c’est légitime par rapport à ce que la personne ressent. Pour continuer à travailler, il faut parfois pouvoir s’arrêter. Prendre du repos. »
Pourtant, en pratique, la Covid-19 a probablement réduit les choix que l’on s’autorise en cas de fatigue. Ils existent néanmoins : « Diminuer son temps de travail, prévoir un temps de repos, prendre ses jours de congés ‘même si on ne peut pas partir loin’, s’arrêter pour repenser à soi : voilà autant de pistes utiles pour lutter contre la fatigue », assurent les psychologues.
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Depuis la crise sanitaire, de nombreux soignants s’interrogent aussi sur le sens de leur travail. Par exemple, dans les maisons de repos, le personnel peut se sentir mal à l’aise à l’idée d’être transformé en ‘gendarme’ contrôlant familles et résidents. Ailleurs, des médecins (ou des infirmier·e·s) risquent de se sentir mal à l’aise dans un rôle devenu bien plus administratif qu’avant et des conseils de soins dispensés à distance : autant de tâches, disent-ils, pour lesquelles « ils n’ont pas signé ». Dans ce genre de situation, « Quand on se lève le matin avec des pieds de plomb, c’est évidemment difficile », admettent les psychologues. Hélas, il n’existe pas de baguette magique ! Néanmoins, assurent-elles, il peut être utile de se concentrer sur des choses, même petites, qui ont du sens, comme une série d’appels téléphoniques ou une rencontre par Zoom avec un vrai partage…
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Une période, même longue, impliquant un grand surcroît de travail peut se réguler et rester à un stade de fatigue « traditionnelle ». Cette dernière peut alors sembler être « gérable », seul·e, par la personne qui la ressent. Mais ce n’est pas toujours le cas. De plus, soulignent les psychologues, lorsqu’une phase de cynisme accompagne la fatigue, la situation, plus inquiétante, ne peut probablement plus être réglée entre soi et soi.
Lorsque l’on en vient au stade où il s’agit de repenser sa manière de gérer ses émotions et de repenser son vécu journalier, le soutien de l’entourage, professionnel et familial, peut offrir les ressources nécessaires et être suffisant. Mais, une fois encore, la Covid-19 est passée par là, rendant parfois ce soutien plus aléatoire. De plus, la détente que chacun trouvait dans les lieux de culture, les associations, les clubs de sport ou les sorties entre ami·e·s est restée impossible pendant de longs mois, empêchant de se changer les idées, comme avant.
Dans un tel contexte, pour les personnes concernées par ce sentiment de fatigue, un pas important consiste à réaliser qu’elles peuvent avoir besoin de quelqu’un, besoin d’en parler, y compris par exemple à un membre de l’équipe ou à un supérieur hiérarchique. « L’idée, c’est d’ouvrir la discussion sur ce problème : formuler, passer par la parole, remettre la dimension de soi, tout cela est une étape importante », assurent les psychologues.
Cependant, à la responsabilité personnelle d’agir face à la fatigue, répond aussi la responsabilité de l’institution. Cette dernière doit également autoriser les personnes ou les équipes à dire : « Ça ne va pas ». Dans le projet Covid-19 dans lequel elles s’impliquent, Amélie Hocepied et Tatiana Gielen proposent ainsi, en fonction des besoins, des séances individuelles («Sans être des thérapies, elles permettent de vider son sac », expliquent-elles), des séances de groupe, des debriefing ou des supervisions d’équipes. « L’important, c’est ce sentiment qu’a la personne d’être enfin entendue, pas de manière éphémère, et dans un endroit où elle sait pouvoir revenir », glissent-elles. Est-ce une des pistes à suivre pour prévenir les conséquences de l’après-Covid-19, les traces qu’il laissera chez certain·e·s et les séquelles des (probables) autres crises à venir ? C’est loin d’être exclu. En tout cas, émerge une certitude : la nécessité de ne plus mettre de couvercle sur la parole de tous ceux et celles qui sont « fa-ti-gué·e·s ».
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1 Organisé par la Ligue Bruxelloise pour la santé mentale, dans le cadre de projets soutenus par les fonds Covid 19 et la Cocof.
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La fatigue compassionnelle, vous connaissez ?
Parfois, c’est le vécu des autres – et son ressenti - qui provoquent la fatigue…
Dans le cadre d’un master complémentaire en santé publique, Rachelle Rousseaux, diplômée en psychologie, a travaillé avec le service Reso de l’UCL pour réunir une documentation sur la fatigue compassionnelle. Le terme vous est inconnu ? C’est assez normal : pour l’instant on parle peu de ce phénomène, et on ne l’aborde pas davantage (ou alors rarement !) dans les formations ou dans les cours. Pourtant, il toucherait un certain nombre de soignants, de travailleurs sociaux ou de personnes impliquées, par exemple, dans le domaine de la promotion de la santé. Tiens tiens…
Ces personnes, qui accompagnent et suivent des usagers ou des patients souvent vulnérables, marginalisés, précarisés, ressentent le stress et les problématiques des gens dont elles s’occupent. Bien qu’elles ne vivent pas elles-mêmes ces problèmes, elles en retirent une « fatigue secondaire », un stress ou un traumatisme secondaire, ressentis via le vécu de l’autre.
Cette fatigue peut s’expliquer, explique Rachelle Rousseau, « par la difficulté de gérer toutes ses émotions liées aux difficultés de vie des personnes suivies. Elle vient du fait, par exemple, de toujours devoir faire face à la misère et à la précarité de vie de certaines personnes et de ne pas réussir à faire la part des choses entre leur propre vie privée et leur vie professionnelle. »
Afin de tenter de se préserver, on pourrait, entre autres, « apprendre à bien marquer un temps de séparation entre la journée professionnelle et puis le retour à la maison, pour pouvoir bien dire : ‘Maintenant, ma journée est terminée, je me concentre 10 minutes, je prends 10 minutes pour moi. J’écoute de la musique ou je lis un livre ou je me vide l’esprit pendant mon trajet de retour du boulot’, suggère Rachelle Rousseaux. Ce type de petits ‘trucs’ aide à empêcher que le travail impacte sur la vie privée, qu’il soit tout le temps dans l’esprit de la personne, avec des traumatismes difficiles à éliminer ». Seulement voilà, actuellement, constate-t-elle, « il y a un manque de formation du personnel en matière de soutien émotionnel et psychologique dans le travail au quotidien. »
Pour en savoir davantage sur la fatigue compassionnelle : reso@uclouvain.be ou 02 764 32 32
Cet article s’inspire d’une interview donnée par Rachelle Rousseaux à Anoutcha Lualaba Lekede pour l’E-mag Bruxelles Santé (mars 2021).
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« Tracer, est-ce notre métier » ?
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A force d’être de guet, de devoir penser, agir et tracer « Covid » depuis des mois, les équipes sont… fatiguées. Plus qu’avant ? Oui, en tout cas au moins certaines… Le Dr Sophie Graas, médecin coordinateur et responsable du service PSE de la province du Luxembourg, témoigne de ce qui a changé. Vous reconnaitrez-vous dans son récit et ses constats ?
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« Les équipes sont fatiguées. Très fatiguées. Dans les 8 équipes de la province du Luxembourg, relate Sophie Graas, médecin coordinateur et responsable du service PSE de la province du Luxembourg, cela concerne autant les 5 médecins salariés que la trentaine d’infirmières et la quinzaine de secrétaires. Chaque équipe a des vécus et des réalités de travail différents mais, pour toutes, c’est un déchirement de voir à quel point notre travail a changé, de savoir que l’on ne voit plus certaines classes et à quel point cela pose des soucis. Ce changement concerne tout le monde : ce matin encore, une des secrétaires a été agressée au téléphone par un parent qui exigeait de mettre son enfant à l’école alors qu’il revenait de zone rouge. »
Ici comme ailleurs, en permanence, les équipes sont mobilisées autour des appels concernant la Covid 19. Comme le précise le Dr Sophie Graas, « cette situation est tellement prenante que lorsque, récemment, nous avons été alertées de la présence d’un cas de gale et d’une suspicion de situation de maltraitance, notre première réaction, qui hors contexte peut paraître très dure, a presque été un contentement (sinon un soulagement) ! Sans doute avons-nous eu alors le sentiment de revenir à notre utilité première, celle pour laquelle on sait vraiment à quoi on sert… Tracer, est-ce notre métier ? Notre rôle est-il d’enquêter ? Les équipes sont convaincues par les missions qui sont celles des SPSE. Mais celle-là… ? »
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En permanence sur le pont
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Un autre point, loin d’être négligeable, pourrait expliquer ce sentiment de fatigue constaté par la coordinatrice. « Ce qui est très difficile aussi, explique-t-elle, c’est de ne plus jamais s’arrêter. Désormais, même pendant les vacances scolaires, nous sommes de veille… » Cette situation se greffe à une autre réalité de terrain : dans cette province, les équipes ont toujours été en sous-effectif. « Avant la crise sanitaire, on bossait, on bossait, on bossait, dit-elle. Mais quand on fait du préventif, on le fait par conviction. Dès lors, on attendait les périodes de vacances scolaires qui nous permettaient de rattraper des tâches comme l’encodage. On était fatiguées, particulièrement en novembre et décembre, mais on arrivait à passer au-dessus de ce problème, constate-t-elle. Là, on n’y parvient plus : il n’y a plus ces échéances – plus que 15 jours, plus que 8 jours avant de souffler - qui nous faisaient tenir. Nous n’avons plus cette vision du moment où cela va s’arrêter, ce point de mire d’un moment qui nous permet de travailler sans être dérangées par des appels téléphoniques. En fait, il n’y a plus de vacances. Durant celles de Carnaval, même si nous sommes enfin parvenues à trouver un moment pour refaire, comme avant, une petite pause-café ensemble, il y a eu plus de 60 cas déclarés positifs et environ 150 mises en quarantaine à gérer. »
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La fatigue : un même mot, une autre réalité
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Le Dr Sophie Graas l’assure : « Actuellement, notre fatigue n’est pas la même que celle d’avant la crise sanitaire. Il y a de grandes différences... On travaille le jour, on travaille le soir. Mais récupérer ces heures supplémentaires, ce serait ajouter de la pression sur ses collègues, pénaliser l’équipe, alourdir encore ses difficultés… Comment s’y résoudre ? » De surcroit, plus l’équipe est petite, plus cette problématique se complique, avec des absences de personnel qui pèsent plus lourdement et empêchent les personnes restantes de pouvoir s’arrêter, même si elles en auraient besoin. Selon le Dr Sophie Graas, « il y a une souffrance que chacun porte ». Et plus encore qu’auparavant, chacun court après le temps, sans plus jamais pouvoir appuyer sur la touche « off ».
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Le hic d’une adhésion partagée
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Faire adhérer les parents et les écoles aux directives sanitaires – et alors qu’ils n’ont pas forcément les mêmes objectifs ni les mêmes visions de leurs intérêts respectifs – est également un point délicat. En fait, cette mission peut s’avérer compliquée en raison des interrogations des équipes sur le bien-fondé de certaines directives. Comment convaincre les autres de suivre des règles quand, soi-même, on se pose des questions les concernant ?
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Les équipes sont confrontées aussi à une autre difficulté, « usante », assure le Dr Sophie Graas, celle liée aux changements (fréquents) des directives. Comme elle le rappelle, « nerveusement, psychiquement, ces modifications sont compliquées. Lors d’une période durant laquelle certaines venaient d’être annoncées sans que l’on sache avec certitude à partir de quand, un parent de jumeaux s’est exclamé qu’il allait agir selon les deux approches : les anciennes règles de quarantaine pour l’un des enfants, les nouvelles pour le second ! »
Par ailleurs, pour le tracing, les algorithmes, censés aider, ne font pas tout. « Des cas particuliers n’entrent pas dans des cases toutes faites », remarque-t-elle. Autre « petite » précision : en province du Luxembourg, on trouve des enfants habitant le Grand-Duché de Luxembourg, scolarisés en Belgique et suivis par un médecin français. Pour le cumul des règles, c’est bingo !
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Des lendemains nuageux ou…
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« Lors de cette crise, nous avons reçu quelques soutiens, détaille le Dr Sophie Graas. Par exemple, l’Observatoire de la santé envoie un à deux jours par semaine une personne qui nous aide à tracer. Mais, par ailleurs, nous ne connaissons pas non plus l’avenir des Provinces : on entend dire que les agents provinciaux pourraient ne pas être remplacés et qu’il n’y aurait pas de nouveaux engagements. » Jusqu’à quel point cette incertitude, tout comme la perspective de devoir fonctionner à flux hyper-tendus, influent-elles sur le sentiment de fatigue ?
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Comment agir, que faire contre cette fatigue ? « C’est vraiment la question joker, admet le Dr Sophie Graas. On essaie d’en parler en équipe mais c’est compliqué, d’autant que nous n’avons presque plus de réunions collectives, par manque de temps. »
Néanmoins, tout n’est pas sombre dans le tableau. « La crise a montré qu’il y avait moyen d’avoir accès aux informations autrement, y compris en évitant de longs déplacements pour se rendre à certaines réunions, et donc en ‘économisant’ du temps, détaille le Dr Sophie Graas. Elle a permis aussi de nous identifier enfin plus clairement auprès des parents, des écoles, de la population : nous avons gagné – mais à quel prix ! – une certaine reconnaissance. Par ailleurs, dans la province, des collaborations avec d’autres services ont été mises en place : elles sont intéressantes et montrent l’importance de l’ouverture vers les autres. Enfin, la crise a également mis en évidence la solidarité des équipes, et de chouettes choses y ont été vécues. » Un bilan suffisant pour effacer les fatigues ?
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L’EVRAS en milieu interculturel vous effraie un peu (ou beaucoup) ? Ihssan Himich, de l’association AWSA (Arab women’s solidarity), désamorce clichés et représentations qui peuvent bloquer le dialogue.
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Aborder les thèmes de l’EVRAS face à des jeunes venant d’autres cultures ou d’autres religions peut parfois sembler « délicat » ou « difficile ». Lors d’une conférence intitulée « L’interculturalité en animation Evras i », Ihssan Himich et Alicia Arbib ont ouvert des pistes pour faire tomber des barrières, de part et d’autre… Elles savent ce dont elles parlent : leur asbl, AWSA (Arab Women’s solidarity), promeut une approche positive et valorisante de la sexualité des femmes dans le monde arabe. Cette asbl propose aussi une série d’outils pédagogiques, ainsi que des références et des ressources utiles à ceux et à celles qui, comme dans les équipes PSE, sont amenés à aborder ces questions ou à soutenir et accompagner des professionnels. Ihssan Himich revient sur quelques-uns des points abordés lors de la conférence.
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« Dans un premier temps, dit-elle, il importe de sortir du relativisme culturel qui freine l’échange et la communication. Ce relativisme culturel nous fait dire : ‘Dans leur culture, c’est comme ça’ et nous empêche d’aller plus loin, de questionner les jeunes. » De plus, sous prétexte de ne pas assez connaître la culture de l’autre (ou de ne pas la comprendre ?), on craint aussi parfois de heurter la sensibilité de l’adolescent. Dès lors, on évite tout échange avec lui. « En réalité, il est normal qu’un accompagnateur ne sache pas tout – même s’il est bien sûr utile de s’intéresser et de découvrir la culture des autres », souligne Ihssan Himich. Cet argument ne peut donc être un frein et empêcher d’aborder des sujets EVRAS avec tous les jeunes. « Tous en ont besoin, rappelle-t-elle. L’absence de connaissance de l’autre ne peut être une excuse qui conduit, au final, à sanctionner le jeune en le laissant de côté. »
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« En réalité, l’important, c’est de chercher à comprendre l’autre. C’est une – fausse – croyance que d’imaginer que l’on ne peut pas se comprendre, assure-t-elle. Le problème, c’est que si on alimente cette croyance en ne faisant rien pour la dépasser et pour tisser des liens, on construit une réalité effectivement faite d’incompréhensions mutuelles. Pour éviter cette situation, ce qui prime, c’est la curiosité. »
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La clé, ce serait donc de poser des questions, d’être curieux face au jeune, quitte à lui dire : « Moi je ne sais pas, pourrais-tu m’expliquer ? », le tout dans un cadre de bienveillance. « L’essentiel, c’est d’ouvrir le dialogue, assure-t-elle, et d’instaurer peu à peu une confiance, basée sur le respect de l’autre et de sa culture, ainsi que sur l’intérêt qu’on porte à cette dernière. En tout cas, il n’est pas possible de se dire : ‘Je ne les comprends pas, je ne cherche pas à comprendre, et je n’y vais pas », conclut-elle. D’ailleurs, signale-t-elle, dans les centres fréquentés par des jeunes issus à 60 % d’origines différentes (ou parfois davantage encore), c’est au niveau structurel, au sein de l’institution, qu’il serait sans doute opportun d’organiser une formation permettant de mieux connaître les cultures concernées. Le principe est simple : pour être efficace, il faut connaître son public ! Pour y parvenir, AWSA et d’autres structures proposent des ressources et des références culturelles issues du monde arabo-musulman, qui parleront aux jeunes.
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Bien sûr, face à ces jeunes qui, souvent, entre l’école et leur famille, naviguent seul·e·s au cœur de questions identitaires, les représentations des uns sur les autres (et cela concerne les deux côtés) peuvent également apparaître comme des freins. Comment sortir de cette ornière ? Tout d’abord, en s’interrogeant sur son ethnocentrisme. « Si je pense que ma manière de faire est la meilleure et que j’entends l’imposer, comment avancer l’un vers l’autre ? », interroge Ihssan Himich.
Un exemple concret permet de comprendre ce problème. Même si on estime que les jeunes peuvent (ou devraient ?) vivre leur sexualité hors du mariage, on sait que certains ne l’envisagent pas ainsi : seul le cadre d’un mariage (consenti – donc dans un cadre légal) ouvre les portes de la pratique sexuelle. Néanmoins, « ces jeunes ont des besoins, des questions, et ils attendent, eux aussi, des réponses, à leur niveau : elles leurs seront bénéfiques », rappelle-t-elle.
« L’idée, et l’objectif, consistent à se focaliser sur ce qui est commun à tous les hommes et les femmes, à se retrouver autour de valeurs communes, rappelle Ishssan Himich. Travailler l’EVRAS, cela signifie aborder l’affectif mais aussi l’estime et la connaissance de soi, le respect, le bien-être, le bonheur… Fondamentalement, ces thèmes sont des valeurs universelles. Tout le monde peut donc s’y retrouver. »
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C’est, aussi, autour de cette humanité que peuvent être envisagés des sujets qui fâchent et qui séparent. « On le sait, l’homosexualité entraine parfois des réactions super violentes et virulentes de la part de certains jeunes », constate-t-elle. Mais est-ce une raison pour éviter ce thème ? Sur ce sujet, renvoyer au cadre légal de l’homosexualité est sans doute important, mais cela ne suffit pas. En revanche, par le biais des questions et de l’écoute, il est possible de faire évoluer les mentalités. En fait, il s’agit de faire appel à l’intelligence et à l’humanité de chacun », assure-t-elle. Le principe est clair : pour (mieux) parler d’EVRAS, ma clé serait de ne pas rester bloqué dans ses peurs…
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i Matinée Op’Evras (PIPSA), le 2/12/2020
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Ne tournons pas autour du pot : le livre
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Depuis 2015, le projet « Ne tournons pas autour du pot ! » (1) bouleverse et revisite la situation (souvent délicate, sinon désastreuse, comme le montrent de nombreux rapports établis par les services PSE) des toilettes scolaires. Le site netournonspasautourdupot.be permet de suivre les projets menés dans les établissements et les soutiens possibles. Un livre s’ajoute désormais à cette source d’informations : « Améliorer les toilettes à l’école. Pour des toilettes accueillantes » (Editions Chronique Sociale).
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L’ouvrage suit la même philosophie que le site et y aborde les mêmes sujets, en les complétant sur certains points. Ainsi, par exemple, le chapitre consacré aux usages dans les toilettes, et donc aux comportements (positifs ou négatifs) des jeunes, devrait aider à mieux poser encore le diagnostic qui s’impose pour chaque école, et alimenter les pistes de réflexion concernant cette thématique. L’importance du climat scolaire, mais aussi celle de l’évaluation - si nécessaire à la pérennité des travaux de rénovation menés par les établissements -, y sont également approfondis.
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Outre le fait d’accompagner le travail des équipes PSE pour leurs rapports et recommandations concernant les toilettes dans les écoles, le livre permet de baliser les moyens de soutenir les établissements (et/ou les équipes pédagogiques, en dehors d’éventuelles séances d’animation), y compris lorsqu’ils veulent entamer des projets de rénovation ou parfois, aussi, lorsqu’il s’agit de relancer leur motivation.
L’ouvrage est disponible en librairie. Il peut également être commandé auprès de Question Santé par courriel à info@netournonspasautourdupot.be ou par courrier : Rue du Viaduc 72, 1050 Bruxelles. Prix : 14,90 euros plus frais d’envoi.
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(1) A l’initiative du Fonds BYX (géré par la Fondation Roi Baudouin), en partenariat avec l’asbl Question Santé.
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Besoins spécifiques : après « l’après école »
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L’AVIQ vient de publier une brochure claire et complète à destination des jeunes en situation de handicap ou nécessitant des besoins spécifiques. Elle utilise le « tu » pour leur parler directement, mais il est cependant conseillé de la lire avec un parent ou un professionnel. « Mon avenir ? Je le prépare déjà à l’école » est une source d’infos précieuses. La brochure devrait permettre aux jeunes et à leurs proches de mieux penser à demain et de le préparer le plus sereinement possible. Elle est accessible gratuitement via le lien suivant :
https://www.aviq.be/handicap/pdf/documentation/publications/aide_individuelle/Brochure-Apres-ecole.pdf
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La médecine scolaire, vue de France…
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Dressé au début du mois de mars, le constat relatif à la médecine scolaire en France a de quoi inquiéter : alors que l’Hexagone compte 12 millions d’écoliers, de collégiens et de lycéens, à peine 900 médecins scolaires s’occupent d’eux. En fait, un tiers des postes disponibles sont vacants : on compte donc 500 praticiens manquants. Un département comme celui de l’Indre ne compte tout simplement… plus aucun médecin scolaire. En moyenne, actuellement, un médecin suit 12 000 élèves… mais 20 000 dans certains départements. Un autre élément inquiétant s’ajoute encore à ce bilan : celui de la moyenne d’âge des médecins scolaires : 58 ans.
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L’EVRAS dans un monde multiculturel
Peu nombreuses sont les équipes PSE composées de professionnels issus de la diversité culturelle. Mais nombreuses sont ces équipes à animer des temps d’EVRAS avec des classes multiculturelles !
Malaise, incompréhension, agressivité, sentiment d’échec surviennent parfois vu les résistances que cette thématique peut susciter chez certain·e·s.
Comment se sentir à l’aise pour questionner le cadre de référence religieux et culturel de son interlocuteur par rapport à l’EVRAS ? Comment ouvrir son cadre de référence personnel et professionnel pour susciter des réflexions nuancées et du respect mutuel ?
Les outils présentés ci-après pourraient vous soutenir pour travailler cette thématique avec les groupes.
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Le jeu des privilèges
Un jeu pour créer du débat, de l’empathie et prendre conscience de la construction sociale des privilèges.
Chaque participant incarne un personnage, avec une histoire, un contexte de vie, une culture, etc. Le jeu se joue le long d’une ligne que l’on trace au sol, dans une salle vide ou dehors. Tour à tour, un joueur pioche une carte affirmation : « on ne m’a jamais fait de remarque sur le fait que je porte un signe religieux », « je n’ai jamais eu de contrôle de police à cause de la couleur de ma peau », « personne ne pense que mon orientation sexuelle est une maladie », …
Après chaque affirmation, chaque joueur doit décider si le personnage qu’il représente possède ce privilège (si oui, il avance d’un pas) ou non (il reste sur place). Chaque personnage doit justifier son choix.
Public : à partir de 12 ans.
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Shalimar
Un jeu pour lancer le dialogue entre jeunes autour des influences familiales, religieuses et culturelles liées à la vie relationnelle, affective et sexuelle à l’adolescence (parents, religion, fidélité, amis, relation sexuelle).
Public : 14-16 ans.
Cet outil est uniquement disponible en centre de prêt (voir fiche PIPSa)
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Tous différents, tous égaux
Idées, ressources, méthodes et activités pour l'éducation interculturelle. Une véritable boîte à outils d’activités basées essentiellement sur le travail en groupes et la participation : jeux de rôle, exercices de simulation, études de cas, etc. Pour mieux comprendre les causes du racisme et de l’intolérance et les identifier dans la société.
Public : à partir de 14 ans
Téléchargeable
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Faux-to-langage
L’outil permet d’aborder les stéréotypes dans une perspective globale en prenant en compte les dimensions de genre, sociales, physiques, ethniques, culturelles et religieuses. En prenant conscience de ses propres préjugés, il permet de créer un environnement de respect et d’équité.
Public : à partir de 12 ans
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LGBT dans le monde arabe
Cet outil cherche à sensibiliser et à informer sur les questions touchant les personnes LGBT dans le monde arabe. Le but est de faire réfléchir sur les stéréotypes et préjugés existants à leur propos et transformer les perceptions au-delà de ces idées reçues. Cet outil vise à encourager l’échange et la discussion sur le sujet.
Public : grands adolescents, jeunes adultes.
Téléchargeable
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Vous avez utilisé un outil ? Qu’en pensez-vous ?
Qu’en avez-vous pensé ? Était-il adapté à votre groupe ? Quels aménagements avez-vous dû réaliser ?
Votre avis peut intéresser des collègues !
Sur www.pipsa.be, entrez le nom de l’outil que vous avez utilisé, onglet « avis des utilisateurs » et laissez un commentaire.
Les futurs utilisateurs vous remercient ! :-)
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Vous souhaitez aborder des thématiques particulières ? Vous travaillez avec des publics spécifiques ? Vous souhaiteriez être orienté.e.s dans le choix d'outils intéressants ?
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