101Alimentation
25.09.2025

Cassons les codes de la boîte à tartines

Pour cette rentrée 2025, l’ONE met à disposition des professionnels une nouvelle version des Objectifs prioritaires de l’alimentation (OPA) destinés aux enfants (voir article 1 de notre dossier). Parmi les objectifs récemment ajoutés, on trouve : « privilégier les préparations faites maison ». Plus facile à dire qu’à faire ? Comment ces objectifs peuvent s’appliquer, en pratique, dans le quotidien des familles ? Nous en avons discuté avec Nathalie Claes et Cleo Rotunno, conseillères en diététique à l’ONE. Vinciane Claustriaux et Julie Tirmarche, du service PSE de Jolimont, nous ont également partagé leur expérience de terrain.

Pourquoi insister sur le fait maison comme objectif prioritaire ?

2 affiches ONE pour promouvoir une alimentation saine et durable

Nathalie Claes : Derrière le fait de privilégier les préparations maison, il y a un objectif sous-jacent, limiter la consommation des aliments ultra transformés. C’est aussi la raison pour laquelle, dans la pyramide alimentaire durable que nous avons récemment revue, on ne peut voir aucun aliment ultra transformé.

Cleo Rotunno : Que ces aliments contiennent du sucre ou pas. On pourrait dire qu’une galette de riz ou une biscotte, d’un point de vue composition, est tout à fait acceptable. Mais cela reste un aliment qui a subi un processus de fabrication qu’on ne pourrait pas réaliser à la maison. Elle n’apporte absolument pas le même rassasiement à l’enfant qu’une tranche de pain. L’enfant devra en manger plus, et elle sera digérée beaucoup plus vite.

A la base de la pyramide alimentaire durable de l’ONE, on trouve les féculents et les légumineuses. Pas les fruits et légumes ?

Cleo Rotunno : La recommandation est de manger des féculents à chaque repas ET des fruits ou des légumes à chaque repas. Par contre, les féculents vont apporter plus de calories. 300 grammes de légumes et 300 grammes de pain, ce n’est pas la même chose. Le pain va rassasier les enfants plus longtemps et permettre de limiter les grignotages. Manger des fruits au goûter, c’est super. Mais si l’enfant ne mange qu’un fruit à 16h, il ne va pas tenir le coup jusqu’à 19h. C’est pourquoi nous avons placé les féculents à la base.

De façon générale, l’assiette comprend de bonnes matières grasses, des fruits ou des légumes et un féculent qualitatif. Le repas de base, ce sont ces trois éléments-là, dans lesquels on peut ajouter, ou non, de la viande et des produits laitiers de bonne qualité. La composante de viande ou équivalent ne doit pas apparaître à chaque repas. Une fois par jour, cela suffit.

A la base de la pyramide, nous avons également placé les légumineuses, qu’on promotionne à raison de plusieurs fois par semaine, en remplacement de la viande ou pas. Ce sont des aliments de qualité. Ils sont aussi plus durables au niveau de la production. Dans le monde d’aujourd’hui qui est de plus en plus multiculturel, les légumineuses sont davantage présentes dans l’alimentation, ce qui est une bonne chose. C’est important de pouvoir les proposer aux enfants dès le plus jeune âge pour que, comme pour tous les aliments, ils puissent les apprécier le plus facilement possible.

Comment mettre en avant la recommandation du Conseil Supérieur de la Santé sur les céréales complètes, qui ne sont pas souvent ancrées dans les habitudes des familles ?

Cleo Rotunno : Comme pour tout aspect nutritionnel, ce qui est important, c’est de repartir de la réalité de chacun. Il y a des familles pour lesquelles certains conseils sont faciles à appliquer. Et d’autres pour qui ça ne sera jamais atteignable. Il faut aussi en être conscient et penser de manière progressive. Partir de ce qui semble le plus simple pour les familles et éviter les injonctions. Prenons par exemple le fait de manger du poisson une à deux fois par semaine. Si on n’a jamais cuisiné un poisson, ou qu’on trouve que c’est trop cher ou que ça ne sent pas bon, on ne va pas le faire. C’est un travail qui nécessite plus de subtilité plutôt que de bombarder les enfants et les parents d’infos nutritionnelles ou théoriques.

Pour les céréales complètes, c’est la même chose. Manger du quinoa peut être impensable pour une famille, mais par contre du pain gris de temps en temps pourquoi pas ? Ce sera déjà très bien. Mine de rien, quand on creuse, on trouve toujours quelque chose et il y a ensuite une marge de progression.

Comment soutenir les parents dans le choix des repas ?

Source de l’image : ONE, brochure « Boite à tartines, boite à délices ! »

Cleo Rotunno : Toutes ces recommandations en matière d’alimentation sont assez denses et cela peut paraître fastidieux pour les parents.

En matière de communication, certains professionnels restent attachés à la pyramide alimentaire durable, même si elle peut être complexe à comprendre pour certaines personnes. Pour nous, c’est une manière parmi tant d’autres d’aborder le sujet de l’alimentation.

Dans sa brochure « Boite à tartines, boite à délices ! », l’ONE propose aussi une représentation sous forme d’une boîte à tartines, qui aborde les mêmes informations sous un autre prisme.
La brochure rassemble également de nombreux conseils et informations. Les parents peuvent y piocher ce qui les intéressent, et les recettes peuvent constituer une porte d’entrée. Parfois, on nous fait la remarque que nos recettes sont farfelues. Mais notre travail de diététiciennes, c’est aussi de casser les codes. L’idée, c’est justement de changer et de bousculer un peu les représentations.

Le sucre : admis en classe ?

« Oui », répondent les diététiciennes de l’ONE. Mais avec du cadre, en gérant les fréquences et les quantités. Les aliments sucrés peuvent par exemple être associés aux moments festifs comme les anniversaires. Et si l’enfant a encore faim après le morceau de gâteau, on complète avec un fruit ou une tartine beurrée. On peut vivre théoriquement sans sucre, mais l’idée n’est pas de le diaboliser.

Et les ados ? Comment les guider vers une alimentation saine et durable ?

Nathalie Claes : Nos objectifs prioritaires s’arrêtent à 12 ans, car les besoins changent après cet âge. Ce qui n’empêche pas d’être attentifs à l’alimentation des adolescents, mais en abordant la question différemment : intégrer les ados dans le projet, construire ensemble en partant de leurs envies, leurs questionnements. La communication n’est pas du tout la même. On peut par exemple aborder l’alimentation sous l’angle de la déconstruction du marketing ou des réseaux sociaux, où il y a des mouvements assez dangereux au niveau des comportements alimentaires. Ou encore de l’image du corps que la société leur impose, ou des en-cas émotionnels…

Cléo Rotunno : On a beau nous avoir inculqué plein de valeurs à la maison, l’adolescence est le moment où l’on a justement envie d’aller dans l’autre extrême. Mais ça ne veut pas dire qu’on n’y reviendra pas plus tard. Tout le travail qui a été fait durant la petite enfance et l’enfance, aura un impact plus tard, à condition qu’on en conserve un souvenir agréable.

Les aliments de qualité*, pas si simple pour tout le monde

L’alimentation est une thématique que le service PSE de Jolimont à La Louvière connaît bien, pour l’avoir beaucoup travaillée il y a quelques années. Un thème difficile à aborder en promotion de la santé, parfois décourageant en termes de résultats, mais porteur de sens. « Aujourd’hui, nous continuons à travailler ces thématiques, mais nous sommes beaucoup plus nuancés, plus réalistes, explique Vinciane Claustriaux, infirmière coordinatrice. »

Julie Tirmarche, infirmière au SPSE, insiste sur le fait de s’adapter aux réalités des familles, qui peuvent être très différentes : « Il faut avoir conscience que, si certains enfants ont de quoi manger à midi, c’est déjà bien. Si on commence à leur parler de bio, cela va devenir très compliqué. Quand il faut nourrir une famille de dix et que l’on compare le prix de fricadelles surgelées et celui des filets de poulet bio, le choix de ces familles est vite fait. D’autant plus qu’avec de tels aliments, les parents seront certains que les enfants mangeront, qu’il n’y aura pas de gaspillage. La priorité, c’est de se nourrir. Pas de bien manger. Nous n’avons pas à émettre un avis là-dessus, et nous sommes parfois démunis face à cette réalité. »

« On constate tout de même des améliorations ajoute Vinciane Claustriaux. Par exemple, beaucoup d’écoles interdisent les sodas, les chips à la collation… Après, chacun interprète les recommandations à sa manière. On voit souvent des enfants manger une crème au chocolat le jour du produit laitier. Ce système de la collation imposée est aussi une charge supplémentaire pour les parents : il faut avoir la bonne collation pour le bon jour, trouver un produit que l’enfant va aimer et qui est transportable… Sans parler des parents ‘écureuils’ qui remplissent le cartable de leur enfant de collations, de peur qu’il ait faim. En bref, beaucoup de choses se jouent autour de l’alimentation, et il est clair qu’il reste du travail à faire sur ces thématiques. »

*Mais qu’est-ce qu’un aliment de qualité ? Les diététiciennes de l’ONE les définissent comme des aliments peu ou pas transformés contenant des ingrédients qui permettent de garantir qualités nutritionnelles, microbiologiques, sensorielles, éthiques et environnementales.

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