102Bien-êtreDossier
25.11.2025

Le stress, compagnon de route ou signe d’alerte ?

À l’approche des périodes d’examens, la tension monte dans les écoles : révisions, interros, bulletins… Le stress fait presque partie du décor. Pourtant, les chiffres invitent à s’interroger. Selon l’enquête HBSC du SIPES (ULB) menée en 2022 auprès de plus de 13 000 élèves de la 5e primaire à la fin du secondaire de Wallonie et de Bruxelles, un élève sur deux se dit stressé par son travail scolaire — une proportion en hausse constante depuis dix ans.

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Le stress serait-il devenu un compagnon permanent de la vie scolaire ? On pourrait croire qu’il agit comme un moteur nécessaire à l’apprentissage, à moins qu’il ne soit plutôt un signal d’alerte concernant la santé mentale des jeunes. Ce numéro de l’e-journal PSE propose de faire le point sur ce phénomène, à la fois banal et préoccupant, qui traverse toute la scolarité et questionne notre rapport à la réussite, à la pression et au sens même de l’école.

Le stress, qu’est-ce que c’est ?

Interviewé en 2023 par le magazine PROF, Arnaud Cachia, professeur en neurosciences cognitives à l’Université Paris Cité, rappelle que le stress est « l’ensemble des processus physiologiques et psychologiques mis en œuvre pour s’adapter à un évènement ». Autrement dit, c’est une réaction normale de l’organisme, qui nous aide à faire face à une contrainte ou à un défi.

Un peu de stress peut donc être bénéfique : il aiguise l’attention, stimule l’énergie, favorise la concentration. Mais quand il s’installe durablement ou devient trop intense, il se retourne contre nous. Il fatigue, bloque la mémoire, fragilise la confiance.

À l’école, la frontière entre stress utile et stress nuisible est souvent floue. Derrière les bulletins, les concours de performance et la comparaison sur les réseaux, un autre visage du stress apparaît : celui d’un malaise plus profond.

Quand le stress devient symptôme

La pédopsychiatre Sophie Maes, médecin de référence chez Bru-Stars, le Réseau Bruxellois en Santé Mentale pour les Enfants et Adolescents, et interrogée en 2024 par le magazine Éduquer, observe cette évolution depuis des années. Selon elle, la crise du COVID-19 a agi comme un révélateur. En privant les jeunes de liens sociaux, elle a mis en lumière les fragilités d’un système scolaire déjà très exigeant.

« Les adolescents ont perdu leur appareil à penser collectif », explique-t-elle, évoquant le rôle crucial du groupe d’amis dans la construction de soi. Sans ce soutien, l’école peut devenir solitude — voire angoisse.

Aujourd’hui, le stress scolaire ne se limite plus aux périodes d’examens. Il s’installe au quotidien, nourri par la peur de l’échec, le regard des autres, ou les difficultés relationnelles. Certains jeunes vivent l’école comme un espace de mise à l’épreuve permanente, où il faut sans cesse prouver sa valeur. Les élèves présentant des troubles d’apprentissage ou manquant de repères familiaux y sont d’autant plus vulnérables.

L’adolescence, avec ses bouleversements identitaires et corporels, amplifie encore cette fragilité. Les comparaisons se multiplient, le jugement des pairs devient omniprésent. C’est souvent à ce moment-là que surgissent des formes plus sévères d’anxiété : crises de panique, refus scolaire, voire phobie scolaire. Pour Sophie Maes, ce n’est pas une « maladie », mais une réaction compréhensible à un environnement ressenti comme menaçant.

« L’enseignement actuel, centré sur la performance et peu attentif aux émotions, contribue à dégrader la santé mentale des jeunes », souligne-t-elle.

Elle plaide pour une école qui ne soit pas seulement un lieu de transmission, mais aussi un espace de régulation émotionnelle, où l’on apprend à coopérer, à nommer ce que l’on ressent et à faire preuve d’empathie.

Repérer le stress, l’écouter et l’accompagner devient alors une véritable prévention. Un élève qui s’isole, qui s’énerve facilement ou dont les résultats chutent envoie souvent un signal d’alarme. En parler avec les élèves et les parents, renvoyer vers le Centre PMS, voire impliquer les enseignants, solliciter un médecin ou un service spécialisé… Ouvrir le dialogue est un premier pas pour éviter que le stress, d’abord adaptatif, ne vire à la souffrance durable.

Quand le stress se vit au quotidien

Les constats de Sophie Maes résonnent avec la parole des jeunes eux-mêmes. Dans une vidéo réalisée par Bruxelles Laïque auprès d’élèves de 5ᵉ et 6ᵉ secondaires à Ferrières et à Ixelles, ils décrivent un stress omniprésent :

  • « J’ai l’impression qu’on n’a même plus de vie privée. »
  • « On nous fait avaler de la matière à fond, à fond, à fond… »
  • « Je sais que je vais à l’école et j’ai mal au ventre. »

Leurs mots disent un épuisement diffus, fait d’angoisse et de découragement. Pour beaucoup, le stress n’est plus une exception : il structure la vie scolaire. « On vit avec. On subit. » L’idée de « rentrer dans un moule » revient souvent. L’un d’eux résume : « On nous apprend à réussir, pas à être ».

Du côté des enseignants, le regard diffère, sans être opposé. Marie, professeure dans le secondaire en Wallonie, remarque surtout un stress concentré autour des évaluations. « La semaine avant les bulletins, tout le monde évalue. Les élèves se sentent submergés, ils étudient jusque tard, hors du temps scolaire. »

Elle observe aussi la contagion du stress entre pairs : « Entre eux, ils se montent le bourrichon. Ils s’alimentent mutuellement. » Sa méthode à elle ? L’écoute. Donner la parole, nommer ce qui pèse, remettre les faits en perspective.

« Accompagner en adulte, c’est déjà apaiser. Il faut dédramatiser, rassurer, redonner confiance ».

Ces deux regards — celui des jeunes et celui des profs — tracent le portrait d’une école traversée par les tensions entre exigence et épuisement, motivation et perte de sens.

Vers une école plus attentive au bien-être

Les constats sont clairs : le stress scolaire n’est plus marginal, il concerne tous les âges. Mais sur le terrain, des initiatives émergent.

Depuis quelques années, le Pacte pour un Enseignement d’excellence place le bien-être au cœur de ses priorités. L’objectif 7 vise explicitement à « accroître les indices de bien-être à l’école et à améliorer le climat scolaire ». Autrement dit : reconnaître que les apprentissages durables supposent un environnement psychologique apaisé.

En 2022, une première journée de partage de pratiques a réuni enseignants, directions, CPMS et opérateurs autour d’expériences concrètes : yoga, cercles de parole, classes flexibles, école du dehors, inclusion, gestion des émotions… autant d’expérimentations qui réinventent le quotidien scolaire.

Mais une question demeure : quelles pratiques ont réellement un effet mesurable ? Pour y répondre, la Fédération Wallonie-Bruxelles a mandaté en 2023 une équipe de l’Université de Liège pour analyser, à l’échelle internationale, les dispositifs les plus efficaces.

Les chercheurs ont mis en évidence plusieurs leviers communs :

  • la qualité du climat de classe ;
  • la coopération entre élèves et enseignants ;
  • la reconnaissance des émotions ;
  • le droit à l’erreur, considéré comme moteur de confiance.

En mars 2024, la journée Regards croisés sur les pratiques impactant le bien-être psychologique et social des élèves a réuni plus d’une centaine d’acteurs de terrain pour réfléchir aux conditions concrètes d’implantation de ces pratiques dans les écoles.

Anne Hellemans, directrice générale adjointe de l’Enseignement obligatoire, le résume ainsi : « Accroître les indices du bien-être à l’école, c’est renforcer la démocratie scolaire. »

Le bien-être devient ainsi un enjeu collectif : il ne s’agit plus de gérer le stress au cas par cas, mais de repenser les environnements d’apprentissage pour les rendre plus ouverts, inclusifs et humains.

Le stress, un équilibre à trouver

On l’a dit : le stress n’est pas toujours néfaste. Il peut même devenir un allié, à condition d’être reconnu et régulé.

Depuis quelques années, des techniques simples sont proposées aux jeunes — et aux adultes — pour mieux le vivre : respiration, relaxation, activité physique, méditation, travail sur la confiance et la coopération.
Arnaud Cachia rappelle qu’il est contre-productif de vouloir supprimer tout stress : « Il est faux de croire qu’on rend service aux enfants en leur évitant toute tension. » Une dose modérée est même nécessaire pour construire la résistance psychologique.

Les recherches du projet Human Connectome vont dans le même sens : les élèves préparés à une situation stressante, comme un examen, réussissent mieux que ceux qui n’y ont jamais été confrontés.

L’objectif n’est donc pas de protéger les jeunes de tout stress, mais de leur apprendre à le gérer et à l’utiliser. « Positiver » le stress, c’est aussi le replacer dans les apprentissages :

  • en expliquant comment fonctionne le cerveau, pour aider les élèves à comprendre leurs réactions;
  • en valorisant les besoins physiologiques essentiels : sommeil, alimentation, mouvement, relations sociales ;
  • en adaptant les pratiques pédagogiques à la manière dont le cerveau apprend ;
  • en proposant des situations stressantes mais positives, qui permettent de travailler les compétences psychosociales des élèves : théâtre, sport, travail en groupe, exposés oraux…autant de manières d’expérimenter la pression dans un cadre bienveillant.

On le voit, bien compris et accompagné, le stress cesse d’être un obstacle : il devient un levier d’apprentissage, un moteur de croissance personnelle et de confiance — tout en reconnaissant que certains élèves ont besoin d’un accompagnement spécifique pour que ce levier devienne réellement bénéfique.

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