Des services débordés
Résultat de cette conjonction d’éléments: des services sociaux bruxellois débordés, en ce compris les services de médiation de dettes (SMD) qui sont au nombre de 33 sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale. L’actuelle législature a pris des mesures d’augmentation et de pérennisation des subsides déjà octroyés pour les SMD dépendant de la COCOF, soit six services pour lesquels 350.000 euros ont été dégagés, permettant l’engagement d’un équivalent temps plein supplémentaire par service et l’augmentation du nombre d’heures pour le recours à un juriste. Un effort comparable était en cours de négociation pour les services dépendant de la COCOM, mais la crise du coronavirus est passée par là et il faudra sans doute faire avec les moyens du bord, même si des mesures devront certainement être prises pour renforcer ces services afin d’aider ceux qui auront traversé cette période de confinement en accumulant des dettes (voir article Apporter une aide ciblée aux Bruxellois en difficulté).
Mais, comme le relevait déjà Anne Defossez avant le début de la crise du coronavirus, « Au niveau des CPAS, les services de médiation de dettes ont des tailles très différentes et selon leur capacité, la prise en charge est parfois conditionnée : certains ne prennent que les dossiers dans lesquels figurent des dettes d’énergie, d’autres excluent ceux qui sont insolvables et ne peuvent rien rembourser à leurs créanciers, d’autres encore s’adressent aux indépendants. Les petites asbl ont souvent des délais de prise en charge de 2, 3 mois, voire plus. Bref, on pense qu’un certain nombre de personnes qui auraient besoin d’une aide y renoncent, faute d’un accès suffisant aux services existants. »
Catherine Jauquet, responsable du SMD de l’asbl Espace Social Télé-Service, corrobore les constats d’Anne Defossez, concernant le nombre de dossiers qui ne fait que croître et se complexifier, « avec des difficultés tous azimuts : des arriérés de loyer, des factures de gaz, d’électricité, d’eau impayées, des factures de soins de santé ou de gsm en souffrance, également des crédits qui ont été souscrits pour essayer de s’en sortir mais qui n’ont fait qu’empirer les choses. On voit aussi dans nos dossiers apparaître des propriétaires qui n’arrivent plus à payer les mensualités de leur prêt hypothécaire ou les charges de copropriété.»
En termes de prise en charge, cette médiatrice de dettes explique le système mis en place à Télé-Service : « Nous organisons tous les mois une réunion de prise de contact à laquelle les personnes en demande d’aide sont invitées à se rendre, pour recevoir une première information. Après cette première réunion, ils seront pris en charge rapidement. Mais il arrive que cette séance soit complète : ils doivent alors patienter un mois de plus. Sans doute certains se perdent-ils en route… »
Pour cette professionnelle de terrain, ce qui coince surtout à Bruxelles, c’est le coût du loyer au regard des allocations de remplacement: « Il est temps de réguler cet élément car cela plombe le budget des ménages. On voit d’ailleurs une grande différence entre les personnes qui paient des loyers dans le secteur locatif privé et celles qui ont un logement social : même quand les moyens sont réduits, le budget de ces dernières est davantage à l’équilibre.» Autre constat : la difficulté d’aider ceux qui n’ont que peu, voire pas de disponible. « Quand il y a 100, 200, 300 euros pour contenter les créanciers, on peut envisager des plans de paiement, mais quand le budget est en déséquilibre et qu’il n’y a vraiment rien à proposer, on est démunis, voire impuissants. »
De son côté, Jan Willems, responsable d’un des plus gros SMD en Région bruxelloise, celui du CPAS de Bruxelles-ville, insiste sur la complexification des situations, « avec notamment des problèmes de santé mentale, voire psychiatriques, de plus en plus fréquents, des difficultés sociales complexes qui nécessitent de la part des travailleurs sociaux une prise en charge lourde, alors que l’accompagnement social est déjà mis sous pression. Cette pression, on la ressent partout, sur les médiateurs de dettes dans le cadre de leur travail qui devient de plus en plus procédural au risque de devenir un travail de guichet, mais aussi sur les usagers. La classe moyenne commence à tirer la langue : les couples avec de petits salaires et des enfants à charge trinquent. Parmi les personnes aidées chez nous, il y a beaucoup d’allocataires sociaux pour qui tout est serré : on se demande comment ils arrivent à se faire de petits plaisirs. Difficile de tenir si on n’a pas un peu d’oxygène, de plaisir dans la vie… »
Parmi les 13.000 créances impayées appréhendées dans le cadre des dossiers et gérées l’an dernier par le SMD du CPAS de Bruxelles, Jan Willems ne relève que 11% de dettes de crédit : le reste concerne des dettes de loyer, fiscales, d’énergie, de santé, de télécoms… Donc des dettes relatives à des charges de la vie courante et pas un surendettement lié à des dépenses qui pourraient être qualifiées de superflues.