DossierJeunes
17.11.2023
Numero: 16

« Jeunes et santé mentale », un projet participatif qui fait du bien

L’exposition-vernissage qui s’est déroulée dans les locaux du Grand Hospice dans le centre de Bruxelles début novembre était sans doute un peu particulière, à cause de la thématique et des artistes exposés ce jour-là. Il est beaucoup question de santé mentale actuellement, notamment à travers des études et des statistiques révélant des taux élevés de mal-être. Les jeunes font partie des groupes de la population les plus touchés par cette épidémie silencieuse. Loin des chiffres et des études pas très rassurantes, l’exposition « Tal’seum ? Quand les jeunes parlent de santé mentale »1 est le premier événement public d’un projet réalisé par les jeunes. Le 8 novembre dernier, il y avait beaucoup de personnes présentes, beaucoup d’émotions, un peu de ce stress typique des grands jours, mais aussi de la joie et de la fierté d’avoir participé à un projet réenchanteur.

 

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Les jeunes vont mal ? Qui l’ignore encore actuellement ? La vraie question est : « Que pouvons-nous faire pour améliorer une santé mentale qui part en vrille ? » Des initiatives ont été lancées pour les aider à aller mieux et parmi celles-ci, « Jeunes et santé mentale », un projet impulsé par le collège de la Cocof et confié à la Ligue bruxelloise pour la santé mentale (LBSM), l’asbl Question Santé, Collectiv-a et 21 Solutions.

Le projet poursuivait plusieurs objectifs. Le premier était de décider avec les jeunes de la manière dont ils allaient participer à ce projet axé sur les enjeux de la santé mentale. Le second objectif était de mettre à leur disposition un espace pour s’exprimer sur le sujet, parler de leurs ressentis, leurs vécus, leurs revendications, leurs propositions. Le troisième était de recueillir leur parole et la traduire sous forme de messages destinés à différents publics. Et, enfin dernier objectif, diffuser ces messages auprès des publics ciblés.

Un panel de quarante jeunes âgé·e·s de 16 à 25 ans, d’horizons divers, a ainsi été constitué pour recueillir leur parole au cours de cinq réunions-séances qui se sont déroulées au printemps dernier. Au cours de ces rencontres qui ont eu lieu dans un cadre sécurisant, confidentiel et respectueux, les jeunes ont pu échanger sur des thématiques qui étaient importantes à leurs yeux, partant de leurs vécus et en levant les tabous autour de la santé mentale. Les jeunes ont identifié différents déterminants de leur santé mentale. Le sentiment d’être incompris était très présent parmi eux, dû notamment au manque de communication entre les générations. Le sentiment d’être perdu était également partagé par beaucoup parce qu’ils ne savent pas où aller, comment agir aux niveaux social et institutionnel. Autre dénominateur commun : le sentiment d’incertitude face à un monde instable et une société injuste sur les plans politique et structurel.

La santé mentale, c’est :

« Une composante essentielle de la santé, permettant à chacun·e d’être en lien avec soi-même, de vivre avec les autres, de faire face aux difficultés de la vie, d’investir son environnement, de créer, de participer et contribuer à la vie en société, y compris de façon atypique. »

Ligue bruxelloise pour la santé mentale (LBSM)

Le poids des mots et la force des images

Après les premiers échanges, le défi suivant était de savoir ce qu’ils souhaitaient communiquer de leur santé mentale, à qui et comment. Il est très vite apparu que le souhait était de sensibiliser le plus largement possible autour de leur santé mentale en berne : leurs proches (familles et amis), mais aussi des moins proches, comme les professeur·e·s, les éducateur·trice·s, les professionnel·le·s de la santé mentale, ainsi que les politiques. Au-delà, il s’agissait également de co-construire un projet qui ait un impact sur une meilleure prise en charge des difficultés rencontrées, vécues par la jeunesse. Le chantier était vaste et la question du médium à utiliser pour communiquer sur tous ces enjeux n’était pas des moindres. Plutôt que de s’astreindre à en choisir un seul, les jeunes ont opté pour plusieurs canaux de communication. Concrètement, le projet a abouti à la création de l’exposition « Tal’seum ? Quand les jeunes parlent de santé mentale » qui se décline en plusieurs réalisations.

Il y a des performances vivantes, statiques ou déambulatoires, sur des thèmes allant de l’isolement social au burn-out, en passant par le conflit intergénérationnel, les addictions, l’estime de soi, etc. Pour celle qui traite du conflit intergénérationnel, on a ainsi pu voir le 8 novembre dernier, deux jeunes jouer les rôles d’une jeune fille et sa grand-mère dans un dialogue sur le monde qui évolue et sur les idées toutes faites.

Les jeunes ont également produit trois podcasts et trois vidéos. Dans le podcast « En parler et être écouté·e, un enjeu de société » par exemple, les participant·e·s abordent le sujet de l’angoisse, et leurs manières d’y faire face. Ils discutent également avec Damien Favresse, sociologue et coordinateur du Centre Bruxellois de Promotion de la Santé, et abordent les raisons des difficultés psychologiques des jeunes, mais aussi des pistes concrètes pour une meilleure écoute et prise en charge, etc. Les deux autres podcasts réalisés sont tout aussi intéressants.

Trois affiches et cinq photos ont également été créées pour transmettre en images des messages tirés des discussions menées au sein du panel. Ces images traitent de l’isolement, du sentiment d’être assaillis par une multitude de questions et d’informations, du besoin d’explorer des voies alternatives. Les jeunes ont également utilisé des cartes postales pour rédiger des messages comme celui-ci : « Chère ministre de l’Education, Je trouve que le système scolaire a beaucoup de défauts. Certes, rien n’est parfait, mais dans l’école, je trouve qu’il y en a trop. J’ai l’impression de ne rien apprendre et je m’embête. La seule chose que je trouve que l’école m’a apporté est l’aspect social ». Ou encore celui-ci qui résume assez bien… une tendance générale ? « Cher adulte, Arrêtez de penser que vous avez obligatoirement raison et que j’ai tort. »

« C’est pas ça, la vraie vie ! »

Extrait des Petites phrases qui donnent le Seum !

Pour améliorer la santé et le bien-être

Les jeunes ont donné des pistes et des recommandations pour (re)booster leur santé mentale. Des améliorations sont désirées au niveau des écoles, des universités, du travail. Beaucoup souhaitent ainsi que l’information et l’orientation soient renforcées. Concrètement, ils veulent plus de possibilités de stages rémunérés, davantage de diversifications d’expériences, en rendant obligatoire les cours d’orientation, par exemple. Les méthodes d’apprentissage et d’évaluation étant de plus en plus contestées, beaucoup appellent de leurs vœux un changement qui serait bienvenu. Par rapport à la santé mentale, une présence plus importante des psychologues au sein des institutions scolaires ou universitaires est aussi souhaitée, ainsi que la nécessité de le faire savoir et d’informer sur leurs disponibilités. La santé mentale reste une thématique difficile et les jeunes insistent sur l’importance d’initier et former les professeur·e·s et les éducateur·trice·s à la santé mentale (apprendre à moins juger, à valoriser et à remotiver, etc.).

Des améliorations devraient également intervenir aux niveaux politique et structurel. Davantage de moyens financiers est une demande récurrente, par exemple pour accompagner les jeunes lorsqu’ils quittent la cellule familiale. Mais aussi pour accéder à la culture, au sport et aux loisirs. Les jeunes appuient également l’idée d’un revenu de base pour tou·te·s, pour prévenir les problèmes d’argent. Ils sont demandeur·se·s d’espaces de rencontre à différents niveaux : des lieux de débats où jeunes, parents, professionnels et médiateurs peuvent discuter ; des endroits à trouver ou à créer pour permettre aux jeunes aux parcours atypiques de se sentir moins exclu·e·s et moins en sentiment d’échec. Enfin dans un monde où la communication et l’information tiennent le haut du pavé, renforcer l’éducation à la communication non-violente, développer l’apprentissage du débat bienveillant et les encourager à chercher de l’information sont des compétences indispensables à acquérir.

« … S’occuper de sa santé mentale ne passe pas forcément par des ‘psys’ ; ce n’est pas obligé que ça passe par la parole. Il y a des activités qui sont proposées en groupes, qui passent par le corps, qui passent par la culture, qui passent par des rencontres avec d’autres personnes… »

Charlotte Wilputte, psychologue au Service de Santé mentale au département « Ados, jeunes adultes » à Chapelle-aux-Champs
et coordinatrice pour la thématique « Adolescence » à la Ligue bruxelloise pour la santé mentale
Extrait du podcast « L’accès à l’aide et aux soins ».

Et après… ?

L’exposition-vernissage était un « one-shot » et il n’était pas prévu d’autres événements après le 8 novembre. Aly Sassi, référent/coordinateur du projet à la LBSM : « L’idée était vraiment de pouvoir présenter les outils et faire que cette exposition puisse être utilisée par la suite dans une école, une maison de jeunes, etc. Les structures qui le souhaitent peuvent avoir tous les outils et les installer chez eux. Ils peuvent donc monter l’exposition sans pour autant devoir bouger. L’idée était de faire de cette exposition une valise pédagogique. Un club sportif, par exemple, qui voudrait sensibiliser sur la question de la santé mentale, peut s’adresser à la Ligue, qui expliquera comment mettre l’exposition en place, etc. Un·e travailleur·se de la Ligue peut être présent·e et répondre aux questions des personnes qui fréquentent ce club sportif et qui vont regarder l’exposition, faire des liens… C’est en tout cas une des pistes envisagées pour la suite ».

Un site internet très fourni a été créé et reprend tout l’historique du projet, son processus et les différents outils de communication que les jeunes ont créés, avec l’aide des associations partenaires qui les ont accompagnés, tout au long de ces derniers mois. Le site est un excellent portail pour aborder les différents sujets liés à la santé mentale. Saurons-nous nous en saisir pour entamer, avec les jeunes, la route vers un mieux-être ? Nous donnerons-nous les moyens et des espaces pour d’autres initiatives de ce type ? Les mois à venir nous le diront.

Vous pouvez également vous adresser à la Ligue bruxelloise de la santé mentale via leur site Ligue Bruxelloise pour la Santé Mentale (lbsm.be)

EN SAVOIR PLUS

Anoutcha Lualaba Lekede


  1. « Avoir le seum » signifie être énervé, être en colère, dégoûté. Expression nouvellement apparue dans le langage des jeunes générations. Elle vient du mot arabe « sémm » qui signifie « venin » (https://www.linternaute.fr/expression/langue-francaise/14700/avoir-le-seum/).