ÉducationInitiatives
18.03.2024
Numero: 17

La formation, une question centrale pour la réinsertion des personnes (ex-)détenues

La formation est un droit, y compris pour les détenu·e·s. En réalité, de nombreux freins et obstacles empêchent ces derniers d’y accéder. Dès lors, comment réussir leur réinsertion après leur détention ? La formation du public justiciable était au cœur d’une journée de réflexion organisée par le « Réseau Aide et Justiciables, continuité dans la réinsertion » en février dernier. Au menu du jour, des moments d’échanges et surtout la projection de deux excellents documentaires sur la formation et la réinsertion des personnes (ex)détenues.

20240313 Bruxelles Santé 17 Formationdetenus Art1

Le 1er février dernier, jour de rencontre organisé par le « Réseau aide et Justiciable, continuité dans la réinsertion » (R.A.J.), la salle était remplie, au point que trouver une place assise a constitué un vrai défi pour les derniers arrivés. Qui étaient ces personnes qui avaient fait le déplacement ? Est-ce parce que la prison est un mot connu de tous et lourd de sens, qu’elle attise régulièrement la curiosité ? Comme le souligne le R.A.J., la prison reste pour la plupart d’entre nous mystérieuse, bien que faisant partie intégrante de la société depuis plusieurs siècles.

Que savons-nous de ce qui se passe derrière les murs d’un établissement pénitencier ? La première surprise du jour, après les discours d’introduction, a été de découvrir la casquette des uns et des autres, au cours du speed-dating professionnel qui a suivi. Etaient présents des représentants de services d’aide aux justiciables, des acteurs judiciaires et ceux hors du domaine de la justice (services social-santé, administrations publiques, etc.), des formateurs, des experts du vécu, des étudiants… Ce qui représente finalement beaucoup de services et de professionnels ayant un lien avec le système pénal et carcéral.

Se former en prison, une galère

La deuxième surprise de la matinée a été le documentaire :« La formation comme levier de réinsertion ? » dont la projection a suivi le speed dating. Ce film de trente-huit minutes donne la parole aux personnes détenues, aux acteurs judiciaires, à la direction et au personnel des établissements pénitentiaires, à des formateurs, etc., qui parlent de la formation et de la réinsertion. Si la formation est un droit et que la réinsertion professionnelle des (ex-)détenu·e·s semble faire consensus, la réalité montre cependant l’existence de nombreux freins et obstacles.

Le film commence avec un détenu qui se présente devant le Tribunal d’Application des Peines (TAP). Dans ce cas précis, le TAP est chargé d’examiner sa demande de bénéficier d’une surveillance (bracelet) électronique. Il doit ensuite fixer une date de passage du détenu devant cette juridiction  et cette démarche peut prendre un temps relativement long. Le jour J, le détenu, accompagné de son avocate, doit présenter un plan de reclassement qui comprend l’inscription à une formation. Il doit s’agir d’une inscription définitive et non d’une inscription sur une liste d’attente. Dans ce dernier cas de figure, il y a beaucoup de chance pour que le TAP refuse la demande de libération conditionnelle. Or, pour une inscription effective, les centres de formation demandent souvent que les demandeurs soient déjà sortis de prison…

Les places de formation sont chères et le planning des centres de formation ne coïncide pas souvent avec celui des établissements pénitentiaires. En cas de refus par le TAP, le détenu peut refaire une nouvelle demande, trois ou quatre mois après. En proposant d’entamer une autre formation parce que, la plupart du temps, celle qu’il convoitait aura déjà commencé. Il n’est pas rare qu’il doive repasser trois à quatre fois devant le tribunal avant de voir son plan de reclassement accepté.

Si la formation est un droit et que la réinsertion professionnelle des (ex-)détenus semble faire consensus, la réalité montre cependant l’existence de nombreux freins et obstacles.

Lire et écrire, des bases souvent inexistantes

Une autre difficulté majeure réside dans le fait que souvent des compétences de base comme lire et écrire ne sont pas acquises. Comme le souligne Duygu Celik, de « Lire et Ecrire Wallonie » dans le documentaire, « La plupart des détenus n’ont pas de diplôme ou disposent seulement d’une formation de base. 30% seraient analphabètes, 45% n’auraient que leur CEB et 19%, leur diplôme de secondaire inférieure ». Cela représente finalement un nombre important de détenu·e·s quand on sait que la Belgique comptait, en novembre 2022 par exemple, 11.213 individus incarcérés[1].

Souvent, avant d’entamer une formation professionnelle, les personnes détenues doivent d’abord se remettre à niveau en français, en calcul, etc., commencer par suivre une formation d’alphabétisation. « J’ai terminé ma remise à niveau en français et je l’ai réussie. C’est la première fois que j’obtiens un diplôme, comme en témoigne un détenu dans le film. Cela m’a donné envie de continuer. Je me suis inscrit à la formation de cariste et j’ai été accepté. Là, j’ai enfin réalisé quelque chose qui me plaît. »

La journée s’est poursuivie par la projection d’un second documentaire, « Un parcours de détenu en Belgique » (28 minutes), réalisé également par Colin Donner. Aussi prenant que le premier, le second film a été longuement applaudi. Le réalisateur a ensuite échangé avec la salle, avant que les participants se répartissent autour de trois tables pour discuter en petits groupes : des difficultés et des craintes avec la formation du public justiciable dans sa pratique ; de ce qu’il est possible de mettre en place sur le plan individuel et institutionnel pour améliorer l’accès à la formation des personnes justiciables et de ce qui est retiré de la journée pour sa pratique professionnelle. Le R.A.J. a indiqué avoir conservé des traces écrites de la journée, qui seront transmises aux participants.

Anoutcha Lualaba Lekede

Pour en savoir plus

Le « Réseau Aide et Justiciables, continuité dans la réinsertion » est un service d’appui aux professionnels qui œuvrent à une meilleure réinsertion du public justiciable[2]. Et pour ce faire, le service a une visée intersectorielle en favorisant la communication entre les services d’aide aux justiciables, les acteurs judiciaires et ceux hors du domaine de la justice (services du Social-Santé, administrations publiques, etc.), afin d’assurer une meilleure prise en charge des personnes (ex-)détenues. Outre l’appui aux professionnels, ses autres axes de travail sont : l’information et la sensibilisation, ainsi que la création de collaborations.

Pour plus d’informations : www.raj-reinsertion.be

Les documentaires « La formation comme levier de réinsertion ? » et « Un parcours de détenu en Belgique » sont disponibles sur le même site.

[1] Une personne justiciable est toute personne pouvant faire reconnaître et exercer ses droits en justice. Cela peut concerner toute situation ou domaine de la vie. (Cette définition est extraite de : Petit livret d’introduction au système pénal et carcéral, Réseau Aide et Justiciables, décembre 2023, p. 13)


  1. La Belgique dispose de trente-six établissements pénitentiaires, deux à Bruxelles, seize en Wallonie et dix-huit en Flandre. Les chiffres donnés dans l’article sont extraits de : https://www.prison-insider.com.
  2. Une personne justiciable est toute personne pouvant faire reconnaître et exercer ses droits en justice. Cela peut concerner toute situation ou domaine de la vie. (Cette définition est extraite de : Petit livret d’introduction au système pénal et carcéral, Réseau Aide et Justiciables, décembre 2023, p. 13)

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