DossierSeniors
01.09.2021
Numero: 7

MR/MRS : un secteur qui a du grain à moudre

La crise Covid a eu de graves répercussions sur les personnes âgées résidant en maison de repos. Elle a aussi été une piqure de rappel quant aux nécessaires réformes à implémenter dans ce secteur. Tant sur le plan des normes que dans la vie au quotidien dans ces structures. Entretien avec Amandine Kodeck, directrice d’Infor-Homes, sur la situation à Bruxelles.

Emag07 MR MRS secteur

Depuis mars 2020, début de la pandémie, les maisons de repos et maisons de repos et de soins (MR/MRS)1 ont payé un lourd tribu au Covid. 51% du nombre total des décès (25.169 décès au 27 juin 2021, selon les chiffres de Sciensano2 , ) concernent des résidents de MR/MRS, soit 12.844 décès.

Faire face à cette crise n’avait rien d’évident pour l’ensemble de la société, mais les MR ont été particulièrement touchées, étant donné le nombre de cas Covid parmi les résidents, le manque d’organisation, de matériel de protection et de désinfection pour faire face à cette pandémie. Le matériel pour soigner les personnes infectées au sein de ces structures, faute de relais auprès des hôpitaux saturés, a également cruellement manqué. Beaucoup de MR/MRS se sont retrouvées livrées à leur sort, dans des conditions parfois tellement désastreuses que Médecins sans Frontières, connue pour ses missions humanitaires d’urgence dans des pays en crise, a mis sur pied des équipes d’intervention pour aider à la gestion épidémique en milieu fermé3 .

Emag04 Santé psychique travailleurs Rapport MSF

Chute des consultations, hausse des plaintes

Résidents et personnel ont dû encaisser une déflagration telle que le secteur reste considérablement ébranlé aujourd’hui. D’autant que tout n’était pas rose avant la crise sanitaire. Comme le souligne Amandine Kodeck, directrice d’Infor-Homes, « au sein de notre service, dont l’objectif est de soutenir la qualité de vie de l’adulte âgé en Région bruxelloise, nous avons plusieurs missions qui ont été impactées par la crise Covid : la première, qui consiste à envisager des solutions en cas de dégradation de l’état de la personne âgée, notamment en choisissant un nouveau lieu de vie, a été largement sous-sollicitée dès le mois de mars. Les appels concernaient plutôt des parents qui souhaitaient reprendre leur proche résidant en MR chez eux, tout en doutant d’y parvenir, ou des situations où le placement était incontournable, mais extrêmement compliqué vu le Covid, avec quarantaine et isolement. Des demandes d’écoute, de soutien et des plaintes sont également arrivées par le biais du numéro général. »

Autre mission assumée par Infor-Homes : le service Ecoute-Seniors, dont les objectifs sont de recueillir les appels téléphoniques relatifs à la maltraitance de personnes âgées, de coordonner les réponses auprès des professionnels et d’analyser ces situations pour permettre de les prévenir. « Le nombre d’appels sur cette ligne a doublé en 2020 : 405 dossiers ont été ouverts, contre 262 en 2019. Le nombre d’appels liés à ces dossiers a grimpé à 2.000, contre 1.200 en 2019. Les permanences ont donc été réorganisées pour absorber ce surplus. 31% des cas concernaient le domicile, 69% une situation en maison de repos, avec des plaintes liées aux atteintes des droits et libertés des résidents et aux soins prodigués (suppression de la liberté d’aller et venir, des visites, confinement en chambre, manque d’activités, insuffisance de soins et d’hygiène, contention, plaintes des proches qui n’ont pas pu accompagner leurs parents en fin de vie…). » 

Au-delà de la crise

La crise sanitaire a aussi réactivé moult éléments de critique à l’encontre de ce secteur. De nombreux acteurs de la société civile ont d’ailleurs fait entendre leur voix pour dénoncer un certain nombre de situations. C’est le cas de la LUSS avec son « Plaidoyer en faveur du respect de la dignité et des droits fondamentaux des résidents , de la qualité de vie et de soins en maisons de repos », paru en janvier 20214 et qui s’appuie sur près de 300 témoignages de patients. Une pétition et un rapport intitulé : « Les maisons de repos dans l’angle mort. Les droits humains des personnes âgées pendant la pandémie Covid-19 en Belgique » ont été diffusés par Amnesty International5 en novembre 2020. En juillet de la même année, les Fédérations des CPAS wallon (UVCW) et bruxellois (Brulocalis) faisaient paraître une publication au titre provocateur : « Les maisons de repos doivent-elles disparaître ? La désinstitutionnalisation des aînés est-elle souhaitable ?6» . Et ce ne sont là que quelques exemples de réactions à l’égard des événements qui se sont produits dans ces lieux de vie (voir l’autre article du dossier : « Tubbe, pour humaniser et démocratiser les maisons de repos »).

La loupe grossissante que la crise sanitaire a mise sur des difficultés récurrentes du secteur porte notamment sur le financement et les normes d’encadrement clairement insuffisants des MR/MRS. Elles n’ont d’ailleurs pas réellement évolué depuis 1994, comme le dénonçait déjà une déléguée syndicale au micro de la RTBF lors d’actions menées en 20197. En effet, malgré la régionalisation de cette matière, décidée en 2011 et opérationnalisée en 2014, le financement ne l’est que depuis 2019 et les normes d’agrément et d’encadrement sont toujours celles mises en place par l’Inami. Or elles ne sont plus en adéquation avec les besoins de terrain et ceux du public accueilli en MR/MRS, toujours plus dépendant. Comme l’explique Amandine Kodeck, insistant ainsi sur le rôle d’Infor-Homes en tant qu’observatoire et partie prenante à des consultations publiques à propos de ce secteur, « Iriscare se penche actuellement sur la révision de ces normes d’encadrement, dans le cadre d’une vaste réforme de la matière des MR/MRS . Quatre rencontres ont déjà été initiées, réunissant les présidents de fédérations des maisons de repos, les mutuelles, des directions de MR/MRS, et l’administration, pour envisager l’avenir de ces normes : on nous a demandé de faire l’exercice d’envisager celles-ci, du plus minimal à l’idéal. Sur cette base, différents scénarios devraient être soumis au cabinet du ministre Alain Maron, en charge du dossier. Par ailleurs, le KCE effectue actuellement une enquête sur les politiques de dotation en personnel dans les maisons de repos8. Une étude sur la programmation de l’offre de places est également en cours. »

On voit des maisons qui ferment, des résidents trimballés d’une maison à une autre au sein d’un même groupe. Certaines structures plus haut de gamme proposent des baisses de prix, ce qui aura peut-être pour effet positif de les rendre plus accessibles. Amandine Kodeck, directrice d’Infor-Homes

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Un impact sur la fréquentation

Autre effet collatéral du Covid : la diminution importante du nombre de lits occupés dans les MR/MRS. Cette chute que tous les observateurs pressentaient ces dernières semaines, les Mutualités libres l’ont analysée sur l’échantillon de leurs membres. La chute des nouvelles admissions, entre février et décembre 2020, correspond à Bruxelles à une diminution de 33%. Cette chute s’observe essentiellement pour les personnes âgées non dépendantes. Une tendance déjà présente avant le Covid, puisque l’on assiste à une entrée en maison de repos de plus en plus tardive et une volonté de rester à domicile, encouragée par les autorités publiques. Etant donné une mortalité importante en MR à Bruxelles et des admissions qui ont baissé en 2020, les Mutualités libres évaluent la diminution à 6.5%, sur l’ensemble de leurs membres résidant en maison de repos9.

Une situation qui risque d’avoir des effets sur les finances du secteur car, comme l’a relevé Vincent Frédéricq, secrétaire général de Femarbel (Fédération des maisons de repos du secteur privé commercial), dans une interview accordée à la chaîne BX1, « Habituellement, le taux d’occupation des MR/MRS en Région bruxelloise est de 83,7%. Or pour être à l’équilibre il devrait être à 90%. Alors imaginez-vous les conséquences d’une chute de 10%, voire plus. L’enjeu, c’est la survie des établissements et surtout le maintien de l’emploi10. » Amandine Kodeck confirme cette situation : « On voit des maisons qui ferment, des résidents qui sont trimballés d’une maison à une autre au sein d’un même groupe. Certaines structures plus haut de gamme qui proposent des baisses de prix, ce qui aura peut-être pour effet positif de les rendre plus accessibles. »

Cartographie des MR/MRS à Bruxelles11

Quelque 16.400 lits en MR/MRS sont actuellement organisés en Région bruxelloise afin d’accueillir des personnes âgées de plus de 60 ans qui ne peuvent/veulent plus rester seules à domicile. 10.134 lits sont des lits MR qui peuvent accueillir des personnes âgées encore valides. Les lits MRS au nombre de 6.266 sont destinés à des personnes âgées dépendantes et nécessitant des soins. Le nombre total d’institutions est de 146, avec 31 MR pures, 1 MRS pure, le reste étant mixte, soit 114 institutions.
138 institutions dépendent de la COCOM-Iriscare et 8 de la Vlaamse Gemeenschap. Il faut y ajouter les lits en résidences services et d’autres structures d’hébergement alternatif (habitats participatifs, maisons kangourou…).
Concernant la répartition des lits entre maisons de repos des secteurs public et privé, le premier compte 3.575 lits et le second, 12.825, répartis entre le privé commercial (9.884 lits) et l’associatif (2.941 lits).
Pour ce qui est de la taille moyenne des établissements, celle-ci est de 112 lits, avec 7% des lits dans des maisons de moins de 60 lits, 23% des lits dans des établissements de 61 à 100 lits, 35%, entre 100 et 150 places et seulement trois maisons de plus de 200 lits.
Pour ce qui est des prix, on compte 60 euros par jour comme prix moyen en RBC et on a enregistré une hausse des prix (a été) de 32%, tous secteurs confondus, sur une période de dix ans (entre 2007 et 2017)12.

Nathalie Cobbaut


1 Pour simplifier, on parlera de maisons de repos de manière générique, MR en abréviation.
2 https://covid-19.sciensano.be/sites/default/files/Covid19/COVID-19_Surveillance_MR_MRS.pdf
3 A consulter : la synthèse “Les laissés pour compte de la réponse au Covid-19. Partage d’expérience sur l’intervention de MSF dans les maisons de repos de Belgique », juillet 2020 – À télécharger sur le site de MSF Belgique : https://www.msf-azg.be/sites/default/files/imce/Rapport_MaisonsDeRepos/MSF_lessons%20learned%20report_FR_FINAL.pdf
4 https://www.luss.be/wp-content/uploads/2021/01/luss-plaidoyer-mrmrs-janvier-2021.pdf
5 https://www.amnesty.be/veux-agir/agir-ligne/petitions/agir-maison-repos, https://www.amnesty.be/IMG/pdf/20201116_rapport_belgique_mr_mrs-3.pdf
6 https://www.uvcw.be/no_index/files/2944-fed.cpas-uvcw-bxl-etude-desinstitutionnalisation-072020.pdf
7 https://www.rtbf.be/info/regions/detail_grogne-du-personnel-des-maisons-de-repos?id=10248420
8 https://kce.fgov.be/fr/etude-2019-04-hsr-maisons-de-repos-une-enquête-pour-éclairer-les-politiques-de-dotation-en-personnelête-pour-éclairer-les-politiques-de-dotation-en-personnel
9 https://www.mloz.be/fr/maisonsderepos-covid19
10 https://bx1.be/dossiers/dossiers-redaction/lavenir-financier-des-maisons-de-repos-abime-par-la-crise-sanitaire/?theme=classic
11 http://www.inforhomesasbl.be/images/Inforhomes/PDF/2020_SITUATION_OFFRE_HEBERGEMENT.pdf
12 Chiffres cités par Jean-Marc Rombeaux, Fédération des CPAS, lors d’une interview à BX1 en 2019 (https://bx1.be/categories/news/les-dossiers-de-la-redaction-la-maison-de-repos-bientot-un-produit-de-luxe/)

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