Des malaises, réticences et oppositions qui n’ont pas lieu d’être
B.S. : Une augmentation du parc de logements sociaux est-elle une solution durable aux problèmes des Bruxellois les plus fragiles socio-économiquement ?
C.S. : En 10 ans, les listes d’attente pour le logement social ont doublé, de même que le nombre de sans-abri. La situation est réellement dramatique. Face à ces réalités, on observe beaucoup d’initiatives marginales comme la réalisation de logements intergénérationnels, de projets Community Land Trust, etc. Nous ne disons pas que ces initiatives ne sont pas bonnes, mais elles apparaissent un peu comme des gadgets face à la réalité sociale.
La seule façon d’assurer une stabilité et le droit au logement est de créer massivement du logement social public. Du logement accessible à tous ceux qui sont en-dessous d’un plafond de revenu, sans discrimination et dont on ne peut pas vous expulser. Malheureusement, le logement social a mauvaise réputation car les pauvres s’y concentrent. Si au lieu d’avoir 6,8% de logements sociaux, on en créait un nombre conséquent pour arriver à 40%, il y aurait une diversité beaucoup plus importante de la population au sein de logements en bon état. Actuellement, seules les personnes les plus pauvres s’y retrouvent et ils sont perçus comme des formes de ghettos sociaux.
Autre élément qui contribue à cette mauvaise image du logement social : le fait que la Région vit sur ses anciens stocks de logements sociaux. Souvent, ce sont les images des grands ensembles construits dans les années 60-70, et mal entretenus par après, que les gens ont en tête. La tour Brunfaut, Rempart aux moines, les Goujons, le Square Albert, etc., contribuent ainsi également à la mauvaise image de ce type de logements. Dès lors, il faut entretenir l’ancien stock parce qu’il est là. Il est impossible de les supprimer d’un coup parce qu’il y aura encore moins de logements disponibles. Ces anciens logements sociaux sont en train d’être rénovés, ce qui est plutôt positif. Par ailleurs, actuellement, on ne construit plus comme autrefois. Rien ne distingue plus le logement social du logement privé. On ne construit plus de hautes tours de logements sociaux.
B.S. : Mais est-il seulement possible de construire massivement du logement social public ?
C.S. : C’est possible, il y a du budget et des terrains publics. Mais aujourd’hui le leitmotiv est la mixité sociale, pour créer des logements moyens. Même au sein du logement social, on construit 60% de logements sociaux et on réserve 40% aux logements moyens.
Or, le revenu moyen du Bruxellois n’augmente pas. En réalité, la moitié des ménages bruxellois sont dans les conditions d’accès au logement social et un tiers est en-dessous du seuil de pauvreté. On observe un décrochage entre le montant du loyer et le revenu réel des habitants. Ces derniers consacrent par conséquent une part de plus en plus importante au loyer. Parallèlement à cela, ils en ont de moins en moins pour les choses essentielles comme se nourrir, l’éducation, s’habiller, etc. Cette évolution contribue à la dégradation du niveau de vie.
En 2013, un chercheur, Pierre Marissal, s’était intéressé à l’espérance de vie entre les quartiers populaires centraux de Bruxelles et les quartiers périphériques tels qu’Auderghem, Uccle ou Boitsfort. Résultat : il y avait une différence d’espérance de vie de cinq années, c’est beaucoup. Finalement, disait-il, c’était la même différence qu’entre un Belge et un Mexicain. Mais ici, la différence se situait à l’échelle d’un petit territoire. Je ne pense pas que la situation ait vraiment évolué à cet égard. Cette différence vient de toute une série de paramètres, parmi lesquels le logement est essentiel. Les maisons médicales le soulignent souvent, un logement humide, avec des champignons, mal ventilé, avec des espaces insuffisants où vous êtes les uns sur les autres, etc., a un impact énorme sur la santé. Les maisons médicales sont en première ligne pour rendre compte du fait que les mauvaises conditions de logement sont un des éléments expliquant les problèmes de bronches, d’asthme, etc.