DossierLogement
22.11.2021
Numero: 8

Plaidoyer pour loger les Bruxellois les plus précaires

25.000, 49.000, 51.000, tels sont les chiffrent qui défilent au compteur recensant, au fil des ans, le nombre de candidats-locataires sur les listes d’attente du logement social en Région bruxelloise. Dans l’immédiat, l’objectif des autorités régionales vise la construction de 8.000 logements publics d’ici 2024. Si l’initiative est saluée, elle reste cependant largement insuffisante. Pourquoi ne construit-on pas davantage de logements sociaux ? A Inter-Environnement Bruxelles, on plaide franchement en ce sens. Entretien avec Claire Scohier, chargée de mission à Inter-Environnement Bruxelles (IEB).

 

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Bxl Santé : IEB ne se montre pas particulièrement tendre avec le développement de la politique bruxelloise en matière de logements publics, notamment en ce qui concerne le logement social.

Claire Scohier : Dans le cadre de nos missions, nous suivons les demandes de permis, qu’elles portent sur des commerces, des espaces verts, du bureau et du logement. Par conséquent, cela inclut aussi les projets de logements publics.  Nous avons une position construite sur le droit au logement intégré dans le droit à la ville1.

Le manque de logements sociaux est un problème qui croît et s’aggrave. Pendant longtemps, l’objectif était d’atteindre 15% de logement sociaux sur le territoire régional. Il y a quelques années, nous étions à 8%, aujourd’hui nous sommes à 6,84%. Comme le marché privé produit plus de logements que les autorités ne produisent elles-mêmes des logements sociaux, la part de ceux-ci ne cesse de se réduire. Nous étions déjà dans une situation inquiétante depuis plusieurs années si l’on compare Bruxelles à d’autres capitales européennes comme Paris, Vienne, Amsterdam ou Londres qui sont dans une fourchette de 20 à 60%. Nous sommes en-deçà de tous les radars, la moyenne européenne est de 12% de logements sociaux

Il faut cependant voir ce que les uns et les autres entendent par « logements sociaux ». Le gouvernement bruxellois parle désormais de « logement à finalité sociale » pour noyer le poisson. Ce qui lui permet d’atteindre 11%. Mais ce pourcentage englobe les logements des agences immobilières sociales (AIS)2 et ceux de Citydev, deux catégories qui repartent sur le marché privé.

Vous avez dit logement social ?

B.S. : Ces logements privés mobilisés et mis en location avec des loyers inférieurs au prix du marché n’aident-ils pas néanmoins des Bruxellois aux revenus modestes à se loger ?

C.S. : Actuellement, les AIS gèrent environ 6.000 logements. Elles sont un peu coincées entre le marteau et l’enclume puisqu’elles s’engagent à verser au propriétaire le montant du loyer, même si le locataire ne paye pas. Or, de nos jours, de nombreuses personnes rencontrent des difficultés à payer leur loyer. De plus en plus d’agences immobilières sociales se retrouvent à expulser les locataires, vu que nous connaissons une situation sociale de précarité très conséquente. En plus, avec les confinements, les gens ont perdu leur travail ou n’ont plus pu exercer leur activité : une partie de leurs revenus a disparu.

Les AIS, en raison des loyers qu’elles sont tenues de payer, se retrouvent parfois avec un déficit conséquent car le subside qu’elles reçoivent ne permet pas d’éponger les loyers non versés. Elles finissent par se mettre dans une position de bailleur, de propriétaire qui doit bien gérer son patrimoine. Et par conséquent en tension avec des locataires précaires. Elles étaient ainsi défavorables au maintien du moratoire sur les expulsions instauré pendant la période de confinement.

Dans les logements à finalité sociale, se retrouvent aussi ceux de Citydev, un autre opérateur immobilier public. L’institution aide la classe moyenne bruxelloise à accéder à la propriété privée. Il s’agit d’une aide publique qui permet de payer son logement 30% moins cher que le prix du marché. En revanche, vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez de votre logement. Des contraintes existent comme l’interdiction de vendre pendant les vingt premières années. A l’échéance, le propriétaire peut le mettre sur le marché privé au prix qu’il veut. Aujourd’hui, de nombreux logements dits à finalité sociale sont en réalité des logements Citydev. A l’échelle d’une vie, être coincé pendant 20-25 ans peut paraître long. Mais à l’échelle de la vie de la ville, c’est de l’argent public investi dans du logement privé et qui, après 20 ans, repart sur le marché privé. Cela ne crée pas de stabilité sur le droit à l’accès au logement public. Le risque en construisant 1.000 logements Citydev est que 20 ans plus tard, ces 1000 logements soient inaccessibles à l’achat pour la majorité des Bruxellois.

Des malaises, réticences et oppositions qui n’ont pas lieu d’être

B.S. : Une augmentation du parc de logements sociaux est-elle une solution durable aux problèmes des Bruxellois les plus fragiles socio-économiquement ?

C.S. : En 10 ans, les listes d’attente pour le logement social ont doublé, de même que le nombre de sans-abri. La situation est réellement dramatique. Face à ces réalités, on observe beaucoup d’initiatives marginales comme la réalisation de logements intergénérationnels, de projets Community Land Trust, etc. Nous ne disons pas que ces initiatives ne sont pas bonnes, mais elles apparaissent un peu comme des gadgets face à la réalité sociale.

La seule façon d’assurer une stabilité et le droit au logement est de créer massivement du logement social public. Du logement accessible à tous ceux qui sont en-dessous d’un plafond de revenu, sans discrimination et dont on ne peut pas vous expulser. Malheureusement, le logement social a mauvaise réputation car les pauvres s’y concentrent. Si au lieu d’avoir 6,8% de logements sociaux, on en créait un nombre conséquent pour arriver à 40%, il y aurait une diversité beaucoup plus importante de la population au sein de logements en bon état. Actuellement, seules les personnes les plus pauvres s’y retrouvent et ils sont perçus comme des formes de ghettos sociaux.

Autre élément qui contribue à cette mauvaise image du logement social : le fait que la Région vit sur ses anciens stocks de logements sociaux. Souvent, ce sont les images des grands ensembles construits dans les années 60-70, et mal entretenus par après, que les gens ont en tête. La tour Brunfaut, Rempart aux moines, les Goujons, le Square Albert, etc., contribuent ainsi également à la mauvaise image de ce type de logements. Dès lors, il faut entretenir l’ancien stock parce qu’il est là. Il est impossible de les supprimer d’un coup parce qu’il y aura encore moins de logements disponibles. Ces anciens logements sociaux sont en train d’être rénovés, ce qui est plutôt positif. Par ailleurs, actuellement, on ne construit plus comme autrefois. Rien ne distingue plus le logement social du logement privé. On ne construit plus de hautes tours de logements sociaux.

B.S. : Mais est-il seulement possible de construire massivement du logement social public ?

C.S. : C’est possible, il y a du budget et des terrains publics. Mais aujourd’hui le leitmotiv est la mixité sociale, pour créer des logements moyens. Même au sein du logement social, on construit 60% de logements sociaux et on réserve 40% aux logements moyens.

Or, le revenu moyen du Bruxellois n’augmente pas. En réalité, la moitié des ménages bruxellois sont dans les conditions d’accès au logement social et un tiers est en-dessous du seuil de pauvreté. On observe un décrochage entre le montant du loyer et le revenu réel des habitants. Ces derniers consacrent par conséquent une part de plus en plus importante au loyer. Parallèlement à cela, ils en ont de moins en moins pour les choses essentielles comme se nourrir, l’éducation, s’habiller, etc. Cette évolution contribue à la dégradation du niveau de vie.

En 2013, un chercheur, Pierre Marissal, s’était intéressé à l’espérance de vie entre les quartiers populaires centraux de Bruxelles et les quartiers périphériques tels qu’Auderghem, Uccle ou Boitsfort. Résultat : il y avait une différence d’espérance de vie de cinq années, c’est beaucoup. Finalement, disait-il, c’était la même différence qu’entre un Belge et un Mexicain. Mais ici, la différence se situait à l’échelle d’un petit territoire. Je ne pense pas que la situation ait vraiment évolué à cet égard. Cette différence vient de toute une série de paramètres, parmi lesquels le logement est essentiel. Les maisons médicales le soulignent souvent, un logement humide, avec des champignons, mal ventilé, avec des espaces insuffisants où vous êtes les uns sur les autres, etc., a un impact énorme sur la santé. Les maisons médicales sont en première ligne pour rendre compte du fait que les mauvaises conditions de logement sont un des éléments expliquant les problèmes de bronches, d’asthme, etc.

Entre les croyances d’hier et les réalités d’aujourd’hui ?

B.S. : Au-delà des initiatives que vous avez citées, pourquoi n’y a-t-il pas de politique régionale plus engagée dans le développement des logements sociaux ?

C.S. : On dit que le Belge a une brique dans le ventre. Dans la symbolique, nous continuons à défendre la propriété privée. Dans l’imaginaire collectif, le logement social est quelque part considéré comme quelque chose… de sale. Il est dès lors aisé de comprendre que la majorité des mesures prises à Bruxelles sont des mesures qui visent à faciliter l’accès à la propriété privée.

Il est vrai aussi qu’en Région bruxelloise, la majorité des ménages sont locataires et pas propriétaires.  60% des logements sont occupés par des personnes qui sont locataires. Cette situation les fragilise. Cependant, cela les fragilise justement parce que le marché public est très faible. Les personnes seraient moins fragiles si, au sein du marché locatif, il y avait essentiellement du marché public et social.

D’une part, la Région veut faciliter l’accès à la propriété privée pour assurer cette plus grande stabilité. Mais d’autre part, elle veut aussi attirer sur son territoire, des personnes plus aisées qui vont payer plus d’impôts en espérant que cela se répercute sur le budget régional.

Cependant, cette recette suivie par la Région bruxelloise depuis 1989 ne marche pas. La preuve en est que les inégalités sociales ne cessent d’y croître.

C’est le rôle des pouvoirs publics de s’assurer de l’égalité sociale. En créant du logement public, on n’appauvrit pas les gens, au contraire. On leur donne un des droits fondamentaux principaux qui est le droit au logement. Parce qu’avoir un toit sur la tête, pour soi et les siens, est la meilleure manière de se remettre en selle dans la vie. Il est essentiel de ne pas se retrouver à la rue. Construire du logement social ne va pas appauvrir la ville.

Chaque année, il y a une partie du budget qui est bloquée pour financer du logement social, et ce montant n’est pas utilisé. Des terrains publics sont encore disponibles. Actuellement, c’est davantage de courage politique qu’il faudrait pour utiliser cet argent et ces terrains pour construire du logement social.

                                                                                                                                                                                                                                              Anoutcha Lualaba Lekede


1 Le « droit à la ville » est le droit d’accéder à tout ce qui fait déjà la qualité de la vie urbaine, mais aussi, le droit de changer la ville selon les désirs et les besoins du plus grand nombre, et non selon les intérêts d’une minorité. (GARNIER Jean-Pierre, Du droit au logement au droit à la ville : de quel(s) droit(s) parle-t-on ?, Du droit au logement au droit à la ville : de quel(s) droit(s) parle-t-on ? | Cairn.info)
2 Ces logements qui appartiennent à des propriétaires privés sont gérés par des AIS pour une période déterminée (9, 18 ou 27 ans). Si par après le propriétaire décide de reprendre son bien, celui-ci repart sur le marché privé. Ce n’est donc pas réellement du logement social.

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