CitoyennetéOutils
12.06.2024
Numero: 18

Un colloque pour donner du poids au plaidoyer associatif

Réfléchir à la manière pour les associations et les citoyens de peser dans le débat politique, notamment face aux lobbys marchands et industriels, tel a été le propos d’un colloque organisé en avril dernier par Cultures&Santé. Dans le contexte préélectoral de ces derniers mois, soulever la question du plaidoyer communautaire dans le domaine de la santé n’a pas manqué de faire mouche. Un temps de réflexion riche sur la manière de se positionner pour proposer des solutions structurelles alternatives.

Bruxelles Santé 18 journee plaidoyer communautaire et lobbying

Dès l’introduction de la journée de réflexion intitulée « Plaidoyer communautaire Vs Lobbying industriel : influencer les décisions politiques pour la santé », le directeur de Cultures&Santé, Denis Mannaert, a d’emblée donné le ton en parlant de « stratégie de captations des décisions par des intérêts privés, n’allant pas forcément de pair avec l’intérêt général. Face à ce type de procédés, l’objectif est de renforcer le plaidoyer communautaire, en augmentant les ressources des personnes pour que les pouvoirs publics répondent à leurs interpellations. »

Selon l’OMS, la notion de plaidoyer pour la santé se définit comme une combinaison d’actions individuelles et collectives visant à obtenir des pouvoirs publics un engagement politique en faveur d’un objectif ou d’un programme de santé particulier. Mais, toujours selon Denis Mannaert, « le travail des organismes en promotion de la santé, en éducation permanente ou visant la cohésion sociale est largement contrecarré par des dynamiques puissantes visant l’atomisation des rapports sociaux et une marchandisation de la santé basée sur une population surresponsabilisée, un modèle basé sur la méritocratie et des effets dévastateurs sur la santé. » D’où l’importance d’Oser le plaidoyer en santé, titre d’un guide édité par Cultures&Santé en 2019[1] ayant pour objectif de rappeler les principaux repères du plaidoyer communautaire « comme levier de transformation et d’innovation sociale pour réduire les inégalités sociales de santé et basé sur l’identification des enjeux, la formulation d’un argumentaire et de revendications, et l’évaluation de l’action menée. »

La fabrique du doute

L’intervention de Stéphane Horel, journaliste au Monde spécialiste de la question des lobbys industriels, notamment dans le domaine de la chimie, et auteure du livre « Lobbytomie »[2], a certainement renforcé le sentiment d’une nécessité de contre-pouvoirs face aux lobbys industriels.

Bruxelles Santé 18 journee plaidoyer communautaire et lobbying

C’est en expliquant les mécanismes utilisés par ces derniers que la journaliste a mis en exergue la force de frappe et les procédés d’intervention de ces acteur·trice·s sur le processus législatif « en supprimant, édulcorant, retardant l’action politique ou en la détournant pour ses propres fins, en répétant « le bon message à la bonne personne au bon moment ». Leur stratégie : participer à la rédaction de la loi en y injectant leurs propres considérations. On parle dès lors de capture du régulateur. »

La journaliste a décrit les lobbys, « non pas comme de petits êtres fantastiques », mais comme des structures extrêmement organisées et dotées de moyens financiers considérables, allant des fédérations de secteurs aux firmes lobbyistes et aux cabinets de lobbying et de relations publiques, en passant par les associations sectorielles, les cabinets d’avocats ou encore les think tanks. Les cibles : la Commission européenne, les agences, les représentations politiques, les États membres, mais aussi le Parlement européen, les députés, les partis, avec la hiérarchie propre à chacun de ces lieux de pouvoir. Elle a insisté sur la capacité et les moyens de ces lobbys (avec moultes exemples comme celui, le plus connu, de l’industrie du tabac) « à bidouiller la science en sponsorisant des articles scientifiques orientés, en créant la controverse, la confusion, en jouant sur les concepts de preuve et de multicausalité afin de créer le doute. »         

Face à cela, Stéphane Horel a salué le travail des ONG et l’intérêt des projets communautaires, malgré l’efficacité redoutable et la force de frappe des grosses entreprises et des secteurs industriels.

La stratégie des lobbys industriels : participer à la rédaction de la loi en y injectant leurs propres considérations. On parle dès lors de capture du régulateur

 

Stéphane Horel

Des actions de terrain

Pour donner un exemple récent de plaidoyer communautaire en santé, la parole a été donnée à la Coalition Santé qui a lancé il y a quelques semaines la campagne « Vivre mieux. La santé par et pour tout le monde »[3].

Cette coalition qui rassemble de nombreuses structures associatives, mutuellistes, des syndicats, des ONG… porte un narratif en matière de santé qui se base sur un constat selon lequel notre système de santé s’oriente dans une mauvaise direction, avec une influence néo-libérale et des intérêts économiques sur les soins de santé et une vision restrictive de ces derniers, essentiellement basés sur le curatif. Les messages développés dans cette campagne portent au contraire sur l’accessibilité de la santé pour tous, le fait d’agir sur les déterminants de la santé et la promotion de la santé, avec trente revendications discutées et arrêtées par la coalition afin d’améliorer la qualité de vie de toutes et tous. Des actions de communication, des émissions de radio, des débats entre partis ont été prévus dans la perspective des élections de juin, mais la Coalition souhaite inscrire son action dans la durée.

Dans le cadre des ateliers qui ont lieu en deuxième partie de matinée, les revendications de la Voix des sans papiers, l’action communautaire menée par un groupe de citoyens diabétiques au sein de l’association Les Pissenlits, la mobilisation associative contre le projet d’ordonnance numérique ou encore les actions menées par des collectifs d’habitants dans le quartier Stalingrad ou le collectif No Key West sur le plan urbanistique ont été présentées et interrogées par les participants au colloque.

Échanges de pratiques et débat sur les enjeux

Pour compléter les réflexions, Timothée Delescluse, chef de projets à la Société française de santé publique, est venu parler des outils relatifs à la capitalisation des expériences en promotion de la santé (CAPS) et du portail du même nom[4]. Cette capitalisation des solutions en promotion de la santé se base sur des grands principes, soit le fait que le savoir des acteurs en promotion de la santé est utile aux autres, que les connaissances issues des expériences ont de la valeur, que les acteurs de terrain sont légitimes pour contribuer à construire la connaissance, et que la capitalisation des expériences crée les conditions nécessaires pour une synergie.

L’objectif est d’élaborer un dispositif national de partage de connaissances en santé publique, via l’élaboration de fiches sur la base d’un recueil d’informations très détaillé et l’analyse de celui-ci. Comme Timothée Delescluse le souligne, « la richesse de projets de terrain en PS est peu valorisée, alors qu’elle complète les données issues de la recherche et les bases existantes contenant des données descriptives sur les actions menées. La capitalisation permet de produire des données utiles à l’action et à la décision. L’usage du contenu des fiches peut aider dans la stratégie de plaidoyers, en repérant les actions innovantes, les nouveaux acteurs, en illustrant les évolutions nécessaires dans les politiques publiques et comme source d’inspiration de recommandations pratiques. »

Enfin, cette journée d’étude extrêmement dense s’est close par une table ronde, animée par Marinette Mormont de la Fédération des maisons médicales et réunissant Univers Santé, O’Yes asbl, le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté et l’Observatoire des multinationales. Il a été question de plaidoyer en matière d’alcool, qui reste confronté au poids des lobbys, des stratégies concertées autour de l’EVRAS qui a suscité la polémique et certaines attaques récentes alors qu’il s’agit d’une préoccupation depuis 1997 qui est devenue obligation depuis peu, la matière de la santé dans la lutte contre la pauvreté et l’appui des témoins du vécu militants, ou encore le décryptage des stratégies européennes des industriels. Les pistes et leviers mis en œuvre par ces associations ont été présentés et discutés à la lumière des possibilités d’influence des décisions politiques pour la santé. Pour O’Yes, le travail intersectoriel, basé sur les compétences des associations, est essentiel. Le RWLP met l’accent sur les démarches participatives et l’accueil inconditionnel de la parole des usagers. Univers Santé insiste sur la nécessité de rédiger des argumentaires en soignant la forme et l’Observatoire des multinationales a recommandé pour sa part de s’intéresser aux sujets européens, afin de peser sur les décisions qui se prennent à ce niveau de pouvoir et qui nous impactent.

Une journée qui a permis de sensibiliser et de réfléchir aux actions à mener pour infléchir les politiques de promotion de la santé dans la bonne direction.

Nathalie Cobbaut


  1. A télécharger:  https://cultures-sante.be/nos-outils/outils-promotion-sante/item/578-osez-le-plaidoyer-pour-la-sante-balises-pour-une-demarche-communautaire.html
  2. aux éditions de la Découverte, 2018.
  3. https://coalitionsante.be/campagne/vivremieux/
  4. https://www.sfsp.fr/content-page/item/22522-la-capitalisation-des-experiences-en-promotion-de-la-sante

Sur la même thématique