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28.01.2025

Endométriose : une maladie invisible au travail

Si l’endométriose est aujourd’hui un sujet davantage évoqué qu’auparavant, les femmes touchées par cette maladie continuent de rencontrer de nombreux obstacles, en particulier dans le milieu professionnel. Beaucoup choisissent de dissimuler leur douleur sur leur lieu de travail. Par ailleurs, lannonce du diagnostic dendométriose peut avoir des répercussions dramatiques sur la carrière professionnelle des femmes concernées, comme le non-renouvellement de contrat, la discrimination à l’embauche, ou le chômage. Quelles pistes collectives et systémiques possibles ? Quelles mesures devraient être intégrées dans les politiques publiques ? Quels apports et points de tension autour du congé menstruel, par exemple ? Analyse.

Photo Endométriose Maladie Invisible Au Travail

Pendant des siècles, les troubles gynécologiques comme l’endométriose furent enveloppés de mystères et d’idées fausses, attribués à l’ »hystérie, » un terme dérivé du grec hysterikos signifiant « utérus » (1). Des figures illustres comme Hippocrate et Platon ancrèrent l’idée que les femmes étaient destinées à accomplir des devoirs liés à leur genre, tels que le mariage et la maternité. Faillir à ces attentes, par exemple, ne pas avoir d’enfants, était perçu comme un affront à leur nature, engendrant une « suffocation de l’utérus », supposé errer dans le corps, causant des troubles physiques et psychologiques. Ces croyances persistent à travers les âges, reléguant des symptômes comme les douleurs pelviennes ou les évanouissements à des phénomènes d’hystérie, voire de sorcellerie. Le corps médical associait ces souffrances à des maux imaginaires, ignorant leur origine physiologique.

Aujourd’hui, la science a enfin donné un nom et une explication à l’endométriose. Cependant, le chemin est loin d’être terminé. Cette maladie chronique, qui touche 10 % des femmes en âge de procréer, reste actuellement un problème de santé publique largement sous-estimé. Une étude menée par Partenamut (2) auprès de 3 400 femmes a révélé un manque de sensibilisation à l’endométriose. Ainsi, 20 % des répondantes n’avaient qu’une connaissance vague ou inexistante de la maladie. Parmi celles atteintes d’endométriose, trois quarts d’entre elles (75%) expliquent s’absenter régulièrement de leur travail du fait des divers troubles qu’elles subissent (douleurs, crampes, maux de tête, etc.). Cet article met en lumière une réalité persistante : le manque de reconnaissance des douleurs vécues par les femmes. Les répondantes atteintes d’endométriose ont exprimé et hiérarchisé leurs besoins de la manière suivante : en priorité, le remboursement des thérapies alternatives liées à la santé menstruelle, suivi d’une meilleure reconnaissance des douleurs menstruelles, et enfin, l’instauration d’un congé spécifique pour y faire face.

Douleurs intenses, fatigue chronique, infertilité : les conséquences liées à l’endométriose sont multiples et se répercutent sur la vie quotidienne, professionnelle et personnelle. Pourtant, les tabous autour des règles et le manque de sensibilisation retardent souvent son diagnostic, en moyenne de 8 à 10 ans. Alors pourquoi ce silence persiste-t-il, et comment y remédier ?

Nombreuses femmes atteintes d’endométriose ont rapporté avoir consulté plusieurs médecins avant de recevoir le diagnostic d’endométriose, souvent après des années d’errance médicale. Elles expliquent que la douleur menstruelle est souvent banalisée, en société comme par le corps médical, et est perçue comme une fatalité de la condition féminine : « Ma gynéco ma dit : Moi aussi, jai mal au ventre avec mes règles, ce nest pas la peine den faire tout un plat’ ». Le diagnostic reste encore difficile, faute de marqueur efficace de la maladie, elle reste par conséquent sous-diagnostiquée dans la population générale. Sur le plan économique, cette maladie coûte à la fois aux systèmes de santé et aux employeurs. Une étude (3) estime que le coût annuel par femme atteinte est de 9 579 euros, dont un tiers est imputable aux frais médicaux et deux tiers à des pertes de productivité.

Côté traitements, les options restent limitées : contraceptifs, antidouleurs ou chirurgie pour les cas les plus graves. Aucun remède curatif n’existe, ce qui accentue la frustration des personnes atteintes. Par ailleurs, les thérapies alternatives, bien que souvent bénéfiques, ne sont pas toujours remboursées, décourageant leur adoption. Nombreuses femmes atteintes d’endométriose ne sont pas mises au courant des remboursements proposés par les mutuelles, notamment en ce qui concerne la prise en charge émotionnelle et relationnelle de la maladie. Cependant, ces remboursements restent limités tant en termes de fréquence d’usage que de montant maximum pris en charge.

« Comment ça se passe au boulot ? »

L’endométriose ne s’arrête pas aux portes du bureau. Pourtant, dans un environnement professionnel, la plupart des femmes n’osent pas parler de leur condition. L’annonce du diagnostic d’endométriose peut avoir des répercussions dramatiques sur la carrière professionnelle des femmes concernées, comme le non-renouvellement de contrat, la discrimination à l’embauche, ou le chômage. Selon une étude récente (4), sur un échantillon d’environ 2000 participantes atteintes d’endométriose, une femme sur dix déclare souffrir de fatigue chronique, et 62 % sont victimes de troubles émotionnels tels que de l’anxiété ou une sensibilité exacerbée. Environ un tiers de ces femmes s’absentent du travail au moins une fois par mois en raison de leurs symptômes. Les relations avec la direction peuvent également être affectées. Ainsi, 12 % estiment que leur management a réagi de manière négative en faisant des remarques intrusives ou malveillantes, ou en adoptant des comportements abusifs. Par conséquent, seulement 66 % des participantes atteintes d’endométriose en informent leur médecin du travail.

Photo Endométriose - une aladie invisible au travail douleurs

La peur d’être jugées ou perçues comme moins compétentes les pousse à souffrir en silence, ce qui les conduit à masquer leur diagnostic lors de crises : « soit je serre les dents, soit je dis que je suis fatiguée », témoigne une paléontologue atteinte d’endométriose. Certaines prennent des risques, comme conduire jusqu’à leur lieu de travail malgré des malaises ou une baisse de tension, ou encore de travailler sous l’effet d’antidouleurs puissants. Pour celles qui choisissent de révéler leur diagnostic, l’accueil des collègues varie : beaucoup ignorent tout de cette maladie. Cette méconnaissance généralisée contribue à renforcer les incompréhensions et les stigmatisations sur le lieu de travail, exacerbant ainsi le sentiment de culpabilité des personnes atteintes lorsqu’elles ne peuvent respecter leurs engagements professionnels ou doivent s’absenter en raison de la maladie : « eux ne savent pas ce que cest, ils comprennent pas », souligne une travailleuse. À cela s’ajoute la difficulté d’obtenir des aménagements, comme le télétravail ou un congé spécifique, qui restent largement absents des discussions politiques et sociales en Belgique.

Des pistes pour l’avenir : éducation et sensibilisation

L’approche actuelle, centrée sur l’individu et les traitements symptomatiques, montre ses limites. Pour réellement transformer les conditions de vie des personnes atteintes d’endométriose, il est crucial de promouvoir des actions collectives et systémiques. Ces actions doivent viser une éducation précoce et généralisée sur les troubles menstruels. Intégrer ces thèmes dans les programmes scolaires et universitaires permettrait de briser les tabous et d’éveiller une prise de conscience dès le plus jeune âge. Par ailleurs, une formation spécifique pour les professionnels de santé, notamment les médecins généralistes, les gynécologues non-spécialisés et du travail, est indispensable. Une formation continue permettrait de détecter les symptômes précoces de l’endométriose dès la première consultation : « pour que les symptômes soient détectés plus vite, et pour mieux écouter la douleur des femmes », explique une femme ayant reçu son diagnostic plusieurs années après ses premières plaintes auprès de son médecin généraliste. Cette formation devrait inclure des modules sur la reconnaissance des signes cliniques, l’importance de l’anamnèse et l’utilisation d’examens complémentaires comme l’IRM en cas de suspicion.

Cette sensibilisation doit aussi être élargie aux employeurs et au grand public. Le cadre professionnel pourrait devenir un lieu d’épanouissement plutôt que de souffrance ou de gêne si des aménagements à la fois flexibles et inclusifs étaient mis en place. Ces changements n’impliquent pas uniquement des mesures légales, mais aussi une transformation culturelle, c’est-à-dire de reconnaître la douleur menstruelle comme une réalité médicale et sociétale.

Le parcours de soins des femmes atteintes d’endométriose doit également être optimisé pour offrir un suivi complet et multidisciplinaire. La Belgique pourrait s’inspirer des pratiques recommandées par le rapport du KCE (5), qui propose un suivi multidisciplinaire des patientes par un psychologue, un sexologue, un médecin de la fertilité ou encore un travailleur social en complément de la prise en charge médicale.

Il est essentiel d’investir dans des recherches portant sur les méthodes de diagnostic non invasives, comme les tests salivaires ou les biomarqueurs spécifiques, afin de réduire la dépendance aux examens invasifs et améliorer la détection précoce. Un test salivaire, par exemple, permettrait une détection moins coûteuse et plus accessible de l’endométriose, comme cela a été exploré dans des études récentes. De même, des recherches sur les perturbateurs endocriniens, susceptibles de jouer un rôle dans l’apparition de la maladie, devraient être encouragées.

Le rôle du congé menstruel

Pourtant, l’intégration des besoins des femmes atteintes d’endométriose dans les politiques publiques est essentielle. Elle dépasse la question médicale, influençant directement l’égalité des chances au travail et la participation économique et sociale. Le débat autour du congé menstruel, adopté en Espagne mais encore embryonnaire en Belgique, en est un exemple significatif. En Espagne, le congé menstruel est non limité à un nombre de jours, laissant au médecin le soin de prescrire selon la gravité des symptômes. Ce modèle inspire mais reste trop récent pour en mesurer pleinement les impacts, notamment en matière de stigmatisation sur le marché du travail.

Photo Endométriose Maladie Invisible Au Travail Congé menstruel

À l’inverse, le Japon, pionnier dans ce domaine, propose un congé menstruel depuis des décennies, mais les craintes de discrimination professionnelle ainsi que de répercussions financières empêchent de nombreuses femmes de l’utiliser. Certaines femmes atteintes jugent crucial que ce droit s’étende au-delà de pathologies comme l’endométriose, car les dysménorrhées sévères, bien que non pathologiques, affectent 20 % des femmes. D’autres soulignent les contraintes financières liées à la présentation d’un certificat médical systématique. À ce titre, certaines militent pour un accès universel au congé, sans condition médicale stricte. Si certaines soutiennent l’introduction d’un tel congé, elles expriment également des craintes, notamment concernant des abus potentiels ou une augmentation des discriminations sexistes, et stipulent qu’un système de quotas devra être mis en place au sein des organisations de travail afin d’assurer leur accès à l’emploi : « on peut pas juste mettre le congé menstruel sur le marché du travail, il risque vraiment dy avoir de la discrimination à l’embauche », exprime une travailleuse atteinte d’endométriose.

L’enjeu pour la Belgique est de concevoir un cadre légal qui équilibre l’accès à ce droit tout en prévenant des effets néfastes sur l’emploi des femmes. Les discussions actuelles incluent des partis politiques qui s’opposent au congé menstruel, préférant s’appuyer sur des absences ponctuelles justifiées ou des dispositifs existants, notamment la nouvelle législation belge accordant aux travailleurs trois jours d’absence au travail par an sans certificat médical. Cependant, beaucoup de femmes atteintes de la maladie trouvent ce nombre trop réduit pour cette pathologie gynécologique  : « trois jours, quand tu as de lendométriose, sont très vite utilisés ». Le débat reste ouvert : faut-il sauter le pas et introduire le congé menstruel en Belgique ? Si oui, ce droit doit-il être restreint à une pathologie gynécologique ou devenir un droit universel ? La réponse à cette question déterminera si ce congé deviendra une avancée sociale ou un sujet de tensions dans le monde du travail belge.

Une prise de conscience urgente

L’endométriose illustre un besoin plus large de repenser le rapport entre santé et société. En mettant en lumière les déterminants sociaux de la santé, tels que l’éducation, les conditions de travail et l’accès à des soins adaptés, nous pouvons amorcer un changement collectif. Les attentes excessives placées sur le secteur médical doivent être rééquilibrées par une responsabilité partagée entre les citoyens, les entreprises et l’État. Cela suppose d’ouvrir un véritable débat citoyen, nourri par des critiques constructives et des solutions innovantes.

Océane Fraenkel, diplômée de la Faculté de Santé Publique, UCLouvain.

Sources bibliographiques

  1. Nezhat, C., Nezhat, F., & Nezhat, C. (2012). Endometriosis : ancient disease, ancient treatments. Fertility and Sterility, 98(6). doi : 10.1016/j.fertnstert.2012.08.001
  2. (2023). Enquête Partenamut : lendométriose, vous connaissez ? https:// www.partenamut.be/fr/blog-sante-et-bien-etre/grossesse-et-naissance/sante/enquete-partenamut-endometriose
  3. Simoens, S., Dunselman, G., Dirksen, C., Hummelshij, L., Bokor, A., Brandes, I., Brodszky, V., Canis, M., Colombo G., DeLeire, T., Falcone, T., Graham, B., Halis, G., Horne, A., Kanj, O., Kjer, J., Kristensen, J., Lebovic, D., Mueller, M., Vigano, P., Wullschleger, M., D’Hooghe, T. (2012). The burden of endometriosis : costs and quality of life of women with endometriosis and treated in referral centres. Human Reproduction, 27(5). doi: 10.1093/humrep/des073
  4. Romerio, A.(2020). L’endométriose au travail : Les conséquences d’une maladie chronique féminine mal-reconnue sur la vie professionnelle. Centre d’études de lemploi et du travail. [https://ceet.cnam.fr/publications/connaissance-de-l-emploi/l-endometriose-au-travail-les-consequences-d-une-maladie-chronique-feminine-mal-reconnue-sur-la-vie-professionnelle-1213101.kjsp], consulté le 06/12/24
  5. (2024). Comment améliorer la prise en charge de lendométriose en Belgique ? https://kce.fgov.be/sites/default/files/2024-04/KCE378B_Comment_ameliorer_la_prise_en_charge_endom%C3%A9triose_Belgique.pdf

 

Lire également la publication d’éducation permanente :

« Endométriose : la douleur des femmes, c’est pas dans la tête », Question Santé, 2024

Alors qu’environ une femme sur dix est atteinte d’endométriose à travers le monde, cette maladie gynécologique complexe aux symptômes variables sort progressivement de l’ombre. Face à la douleur des femmes, cette brochure leur donne la parole et permet de mieux comprendre les enjeux sociétaux associés.

Endométriose la douleur des femmes c'est pas dans la tête

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