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Covid-19: quel impact sur le bien-être ?

Les Belges ont été confinés plus de deux mois. Malgré le déconfinement, entamé en mai dernier, nos modes de vie restent bousculés. Pour soutenir les Bruxellois durant cette période, des lignes d’écoute ont été organisées. Aujourd’hui, les structures classiques reprennent le relais.
Coronavirus, pandémie, confinement : cela fait plusieurs mois que ces mots reviennent en boucle et on ne sait pas encore quand ils quitteront notre horizon mental. Les craintes face à ce virus méconnu ont créé un climat anxiogène parmi la population. A Bruxelles, comme ailleurs, les habitants se sont retrouvés du jour au lendemain confinés dans leurs habitations, empêchés de circuler librement, de voir leurs proches, parfois aussi leurs parents malades ou mourants.
Sans doute l’impact aura-t-il été moindre pour les mieux lotis que pour les Bruxellois vivant dans des conditions de logement précaire, voire sans toit du tout. Les craintes relatives aux pertes financières, liées à l’arrêt des activités économiques considérées comme non essentielles, ont encore augmenté le stress parmi la population concernée. Par ailleurs, le déconfinement n’a pas été forcément source d’apaisement pour tous : certains spécialistes parlent de « syndrôme de la cabane », impactant une partie de la population effrayée à l’idée de quitter son refuge et de revenir à la vie « normale ».
De nombreuses enquêtes réalisées pendant la période de confinement mettent l’accent sur les effets délétères de cette crise sanitaire sur la santé mentale (voir encadré).
Des lignes d’écoute sollicitées
Pour tenter de répondre à la souffrance psychologique de la population, les lignes d’appel téléphonique existantes ont été largement sollicitées et de nouveaux numéros d’appel ont été créés pour aider les nombreux citoyens déboussolés par la situation et ceux déjà en difficultés psychologiques avant le Covid. En effet, les consultations auprès des services de santé mentale (SSM) ou des psychologues ont été suspendues en présentiel et, dans certains cas, remplacées par des entretiens téléphoniques ou par vidéo, ce qui n’a pas manqué de perturber le travail en cours. Des prises en charge ont été interrompues. Certains établissements psychiatriques ont dû libérer des lits ou ont prié les patients qui étaient en famille juste avant le confinement d’y rester [1].
C’est pourquoi la Ligue bruxelloise pour la santé mentale a mis sur pied un numéro d’appel accessible (le 02/501 01 27.28.29) en soirée et le week-end, pour combler les espaces où les SSM ne pouvaient pas être joints. Les appels au début du confinement portaient davantage sur les risques liés à la maladie, des demandes d’informations sur le virus, la crainte d’avoir été contaminé et émanait plus largement de femmes. Les personnes seules se sont également manifestées pour rompre l’isolement, en grande difficulté due au manque de contact. D’autres encore n’arrivaient plus à joindre leurs praticiens, à avoir accès aux médicaments qu’ils prenaient auparavant. Avec le temps, les appels ont évolué vers des problèmes plus liés à des tensions intrafamiliales ou de couple, de la dépression, de l’épuisement et l’aggravation de troubles psychologiques déjà existants. Selon Geneviève Helson, psychologue au SSM L’Adret ayant assuré par deux fois les permanences téléphoniques de cette ligne, « il a fallu s’informer sur le Covid pour pouvoir répondre aux demandes, mais notre rôle a surtout été de rassurer les appelants traversés par le stress,la colère chez certains, la difficulté à vivre l’éloignement des proches. Ne connaissant pas les appelants, il fallait appréhender rapidement la demande d’aide et voir si la personne disposait de ressources personnelles pour dépasser les sentiments négatifs qu’elle vivait ou s’il fallait l’orienter vers un SSM ou un confrère. Mais ce qui importait surtout, souligne GenevièreHelson, c’est de nouer le contact rapidement, dans l’urgence, en accueillant l’inquiétude, la détresse de chacun. » Cette ligne a été mise à l’arrêt le 21 juin car les activités des SSM ont repris en présentiel.
Autre exemple de ligne spécialement créée pour l’occasion [2] : SOS Parents, à l’initiative d’Isabelle Roskam et Moïra Mikolajczak, spécialistes du burn-out parental à l’UCLouvain. Comme l’explique Tamara Léonard, chargée de l’organisation de la ligne, « dès le 23 mars, cette ligne a été mise en service pour accueillir la détresse des parents confrontés à un confinement avec des enfants. Ce sont surtout des mamans qui ont appelé, dépassées par la multiplication des tâches au domicile : le télétravail, le suivi du travail scolaire des enfants, en plus des tâches ménagères habituelles, qu’elles assument bien souvent aussi. Les tensions familiales et conjugales préexistantes ont été exacerbées et l’existence de troubles de santé mentale n’a rien arrangé. Avec le temps, l’épuisement s’est marqué de plus en plus, notamment avec le déconfinement et des injonctions paradoxales comme un retour au travail des parents alors que les enfants n’allaient pas à l’école, ainsi que les craintes de contamination de ceux-ci avec le retour dans les classes, les garderies et le crèches ».
Parmi les lignes préexistantes au Covid, on peut citer celle du Centre de prévention du suicide (CPS). Comme l’explique Deborah Deseck, chargée de communication du CPS, « le 0800/32 123 a connu beaucoup d’appels, de demandes d’aide avec des conversations intenses et des pics, notamment quand le confinement a été prolongé en avril. Il s’agissait bien de demandes spécifiques par rapport à l’objet de la ligne, le suicide, car les émotions étaient décuplées et les facteurs de protection généralement à l’œuvre en temps normal, comme l’entourage, l’accès aux soins, les contacts sociaux étaient en panne. De nouveaux bénévoles se sont également proposés, mais pour cela il faut être formé : c’est pourquoi nous avons créé des supports de formation en ligne [3]. »
Avec l’équipe de psychologues formés à l’accompagnement du deuil après un suicide, deux lignes nouvelles ont également été imaginées par le CPS, avec le soutien de la COCOF et de la Fondation Roi Baudouin : le 0800/20 220 pour les personnes endeuillées suite au Covid, ainsi que le 0800/20 440 pour les personnes ayant des malades dans leur entourage.
Vers un retour à l’(a)normal ?
Avec le déconfinement, les SSM et les psychologues ont repris leurs consultations, mais avec les précautions d’usage (distanciation sociale, désinfection entre chaque patient). Manuel Gonçalves, co-directeur du SSM Le Méridien, à Saint-Josse, commente la situation : « On découvre des situations très préoccupantes. Déjà, pendant le confinement, certains patients décompensaient de manière grave, parfois violente. On a continué à en suivre certains, mais chez des patients déjà fragiles, le Covid a fait des dégâts : je pense à cette personne suivie chez nous qui venait deux à trois fois par semaine, sonnait à la porte et demandait à ce que l’un d’entre nous se montre à la fenêtre sans masque pour se rassurer qu’il était toujours en vie, que nous existions toujours. Pour ces patients psychotiques, le confinement a rendu la réalité moins tangible. Les mises en observation risquent aussi d’augmenter. Beaucoup de jeunes sont en décrochage scolaire complet : on se demande comment on va les récupérer. Les masques, la distanciation sociale posent aussi problème pour des publics fragiles sur le plan psychiatrique et pour les enfants. »
Difficile de dire à ce stade si les besoins en soutien psychologique seront suffisants. Comme le soulève Yahyâ H. Sammii, directeur de la Ligue bruxelloise pour la santé mentale, « L’espacement des séances, pour assurer la distanciation sociale, la nécessité de désinfection après chaque patient, risquent d’affaiblir la capacité de prise en charge des patients. Les services vont fonctionner à 50, 60, 70% de leurs possibilités. Si, à cela, s’ajoutent de nouvelles demandes, cela pourrait devenir difficile. » Pour un meilleur accès à l’aide psychologique pour la population, des modalités de remboursement élargies ont été prises par les autorités. En espérant que cela permette à chacun de trouver l’accompagnement souhaité.
Nathalie Cobbaut
Des études sur la santé mentale des Belges
Le Bureau fédéral du plan publiait fin avril un document portant sur le bien-être des Belges[4], dans le cadre de son rapport annuel qui présente cette année des accents très Covid.Le document fait référence à plusieurs enquêtes réalisées depuis la mi-mars, notamment par Sciensano, l’Université d’Anvers, la KULeuven et l’UCL. Celles-ci font état d’une détérioration de la santé mentale des Belges depuis le début de la crise du coronavirus. 20% souffrent de troubles anxieux (contre 11%, lors de la dernière enquête santé de Sciensano).
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[1] Voir l’article de Julie Luong, « Santé mentale, la grande contaminée », Alter Echos n°483 - https://www.alterechos.be/sante-mentale-la-grande-contaminee/
[2] La ligne 0471/414 333, désactivée depuis la fin mai.
[3] Pour en savoir plus : https://www.preventionsuicide.be/fr/les-activités/ligne-de-crise-0800-32-123.html
[4]Bureau fédéral du Plan, « Crise du Covid-19 : quel impact sur le bien-être des Belges ? », avril 2020 - https://www.plan.be/publications/publication-1985-fr-crise+du+covid+19+quel+impact+sur+le+bien+etre+des+belges+
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