AssuétudesPolitiques
17.11.2023
Numero: 16

30 ans de RdR pour Modus Vivendi

Le 26 septembre dernier, l’asbl Modus Vivendi fêtait ses 30 ans d’existence. Pour célébrer cet anniversaire, Modus a organisé un colloque ayant pour objectif de faire le point sur cette politique de réduction des risques, depuis la crise du VIH jusqu’aux crises actuelles. Retour sur les cogitations émises lors de cette journée réflexive et festive.

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La réduction des risques (ou RdR) est une stratégie de santé publique et de promotion de la santé à l’attention des usager·ère·s de drogues. L’objectif : infléchir les risques liés à une consommation ponctuelle, régulière ou encore problématique. Plutôt que de s’orienter vers une politique répressive en matière de gestion des drogues, il s’agit plutôt de miser sur le rôle de la personne comme actrice de sa santé et la prise en compte de ses besoins spécifiques.

Pourtant, en Belgique, la politique du «trois pas en avant, trois pas en arrière » semble être d’actualité: alors qu’au niveau judiciaire, l’approche basée sur la criminalisation des usagers reste de mise, des avancées ont été acquises ces derniers mois, comme l’adoption récente d’un décret par le Parlement francophone bruxellois permettant au secteur de la RdR de posséder et de dispenser de l’eau stérile et de l’acide ascorbique injectable ou encore le médicament anti-overdose qu’est la Naxolone. L’adoption d’une ordonnance à Bruxelles en 2021 et la réforme de la loi de 1921 sur le plan fédéral ont permis de progresser dans la mise en place de salles de consommation à moindres risques. Pourtant, dans le même temps, le testing de produits en milieu festif a été complètement bloqué cette année. Suivant les niveaux de compétences et la sensibilité des partis politiques, la RdR progresse ou recule, ce qui est peu cohérent en termes de santé publique. A l’échelle internationale, dans un rapport remarqué publié en septembre 2023, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a pourtant dénoncé l’échec des politiques punitives en matière de drogues et a appelé à une nouvelle approche basée sur la santé et les droits de l’homme, notamment par la réglementation légale des drogues.

Suivant les niveaux de compétences et la sensibilité des partis politiques, la RdR progresse ou recule, ce qui est peu cohérent en termes de santé publique.

Rappels des fondamentaux

Lors de la première plénière de ce colloque, Fabienne Hariga, ancienne directrice de Modus Vivendi et aujourd’hui conseillère indépendante auprès d’organisations internationales en tant que médecin épidémiologiste, a rappelé le lien très étroit entre la RdR et le VIH. Elle a mis notamment en avant l’incidence des programmes d’accès aux seringues et aux traitements de substitution sur la chute du nombre de cas de VIH frappant les usagers de drogues par injection. Pourtant, malgré ce cercle « vertueux », « la RdR reste un sujet controversé, marqué par des discriminations, notamment liées au genre ou aux origines ethniques, trop souvent décrit comme une réduction des dommages et non des risques, et remis en question, notamment par manque de soutiens financiers. »

Autre intervenant : Miguel Velasquez, de l’association française Assud, a retracé les évolutions de cette RdR dans l’Hexagone. Selon cet observateur avisé, « Une des raisons pour lesquelles la RdR n’est toujours pas bien comprise tient sans doute au fait qu’elle n’a jamais bien été expliquée à la société française, malgré ses objectifs clairs. La population critique ces programmes, estimant qu’ils facilitent la vie des drogués et leur donnent un accès aux drogues, sans en comprendre la portée. Or ce qui compte c’est de changer l’image des usagers de drogues dans la société et la prise en charge des toxicomanies. »

Alexis Goosdeel, directeur de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA), a pour sa part envisagé la question des nouvelles substances, des nouveaux usages et des nouveaux risques dans le cadre d’une refonte de la RdR en Europe. Il a relevé l’augmentation exponentielle récente de la production, de l’accès et de l’usage des drogues, avec une explosion des poly-usages, mais aussi l’évolution depuis 25 ans de la RdR, avec de grands progrès. « Il s’agit aujourd’hui de réfléchir au fait qu’on n’est plus dans le cadre mental d’une épidémie d’héroïne, pour mettre sur pied une nouvelle politique en lien avec les nouveaux risques liés à de nouveaux produits, mais aussi la violence en forte croissance dans le secteur des drogues. Un des écueils est aussi que les décideurs politiques changent, ce qui est normal, mais dès lors on est obligés de réexpliquer à chaque fois le bienfondé de la RdR, ce qui est une perte de temps considérable. » Il a également mis l’accent sur le rôle des villes dans la gestion des risques, comme ça a été le cas à Bruxelles et à Liège avec leurs salles de consommation.

Enfin, Catherine Van Huyck, actuelle directrice de Modus Vivendi, a rappelé l’organisation des Assises de la réduction des risques, il y a vingt ans, lors desquelles avait été lancée la charte de la RdR, reprise par de nombreuses associations. Pour elle, « l’histoire de la RdR est jalonnée de prises de risques, avec la nécessité de former à un autre regard sur les drogues. On peut dire qu’on a avancé : en effet, peu de gens osent dire aujourd’hui que la RdR ne sert à rien. Mais on continue à entendre parler d’incitation à l’usage. Or ce n’est pas la RdR qui mène à la drogue, mais bien l’usage de drogues et la répression qui en est faite qui mène à la RdR, comme une réponse logique, humaine et pragmatique. »

Ce n’est pas la RdR qui mène à la drogue, mais bien l’usage de drogues et la répression qui en est faite qui mène à la RdR, comme une réponse logique, humaine et pragmatique.  Catherine Van Huyck, directrice de Modus Vivendi

 

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Des ateliers et des recommandations pour les 30 ans à venir

Durant cette journée de réflexion, de nombreux ateliers se sont tenus avec pour objectifs d’envisager les enjeux encore à atteindre et de déboucher sur des recommandations. Ont été abordées des questions autour du lien entre les crises actuelles (Covid, énergie, inflation) et la RdR, à propos des stratégies de RdR élargies à d’autres champs d’action, concernant les nouvelles pratiques professionnelles et les nouveaux usages en matière de substances psychotropes ou encore la prise en charge des usager·ère·s âgé·e·s. La RdR à l’école ou en milieu rural a été également examinée. La question de la communication digitale pour relayer les contenus de RdR a aussi fait l’objet d’un temps de réflexion. Tous les contenus de ces ateliers seront accessibles très prochainement sur le site de Modus Vivendi et celui des 30 ans de Modus (http://modusvivendi-be.orghttps://www.les30ansdemodus.org/actes).

De ces ateliers ont émergé une série de recommandations, comme le fait de placer les usager·ère·s au centre des réflexions et des actions comme experts de leur vécu, la nécessité de créer un syndicat des usager·ère·s, l’objectif de faire évoluer le regard du grand public sur les consommations, de valoriser les compétences psycho-sociales des jeunes en âge scolaire, l’adaptation des services et des horaires à la diversité des publics ou encore la réaffirmation du droit à l’auto-détermination pour les usager·ère·s de drogues âgé·e·s, quel que soit leur milieu de vie. Les besoins en termes de moyens financiers et humains continuent d’être une préoccupation transversale. Stéphane Declercq, directeur de la Feda Bxl (anciennement Fedito), a dressé l’inventaire de ces recommandations et a annoncé que ces pistes seront mobilisées dans le cadre de l’élaboration du prochain Plan Drogues du secteur.

Quant aux discours de clôture de cette journée, la parole a été donnée à Lise Gremeaux (Sciensano) qui a rappelé la nécessaire récolte d’informations sur les usages de drogues qui évoluent de plus en plus vite. Alexis Goosdeel (EMCDDA) a mis l’accent sur l’extension des conduites addictives et « la nécessité d’adopter une démarche holistique et non hostile ». Barbara Trachte (ministre-présidente de la COCOF, en charge de la promotion de la santé) reconnaît que l’absence de perspectives est un terreau fertile à la consommation de drogues. Pour autant elle a insisté sur une vision qui se départit d’une réponse pénale pour une approche axée sur le social-santé. Enfin, Catherine Van Huyck a rappelé la nécessité de rester au service et au contact des gens, de ne pas devenir des gestionnaires, tout en maintenant une responsabilité collective face aux toxicomanies.

Pour parcourir toutes les interventions et revenir sur le contenu des ateliers : http://modusvivendi-be.orghttps://www.les30ansdemodus.org/actes

Nathalie Cobbaut

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