AnalysesAssuétudes
01.05.2021
Numero: 6

Drugs in Brussels, sur fond de Covid

Dans le cadre des Jeudis de l’Hémicycle du Parlement francophone bruxellois, la question des assuétudes a été débattue le 4 mars dernier, avec un focus sur l’évolution des dispositifs en Région bruxelloise dans le contexte de crise sanitaire. Lors de ce webinaire1 , étaient présents des représentants du ministre de la Santé Alain Maron, un chercheur d’Eurotox, des parlementaires et de nombreux acteurs de terrain, dont la FEDITO BXL, comme invitée de ce rendez-vous de démocratie participative2.

Emag06 Drugs in brussels

C’est sur fond de centenaire et de non-anniversaire de la loi belge sur les drogues de 1921 que ce Jeudi de l’Hémicycle s’est ouvert. Alors que le Sénat s’apprête à entamer une vaste réflexion sur cette loi qui a eu 100 ans, le 24 février dernier, et qui entrave la mise en place de dispositifs novateurs en matière de drogues, les parlementaires bruxellois et le secteur des assuétudes se sont réunis pour faire le point sur la situation sur le terrain bruxellois, et ce particulièrement en période de crise sanitaire.

Des chiffres qui confirment les impressions

Un des apports importants de cette matinée a été livré par Michaël Hogge, chercheur auprès de l’Observatoire socio-épidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles, Eurotox. Il a en effet mis l’accent sur l’impact de la crise sanitaire sur les pratiques d’usages : « Une série d’études quantitatives ont été menées durant le premier confinement par Sciensano, Modus Vivendi ou encore par l’UCL et l’ULiège, puis réitérées par la suite car la crise sanitaire n’est pas une période homogène. » Si certaines consommations, liées à des usages festifs, ont diminué dans un premier temps, on observe, depuis la fin 2020 et plus encore en 2021, une augmentation de la consommation d’alcool, de sédatifs/tranquillisants, de tabac, des écrans, mais aussi des drogues illégales, selon des quantités qui dépasseraient celles enregistrées avant la crise sanitaire. Et ce chercheur, de signaler que « les enquêtes ayant été menées en ligne, sur base volontaire et donc présentant un biais de sélection, on est presque sûrs de faire face à une sous-estimation des phénomènes. »

Selon le Tableau de bord de l’usage des drogues 2020 en Région de Bruxelles-Capitale (dont un des chapitres est consacré à la crise Covid), il ressort d’une enquête réalisée en 2021 par la FEDITO BXL et Eurotox auprès de services actifs en matière d’assuétudes à Bruxelles, que la proportion de bénéficiaires qui s’adressent à ces services et qui présentent des vulnérabilités ou des vulnérabilités aggravées est en augmentation (isolement, désaffiliation sociale, aggravation de la santé mentale, etc.). Pour la moitié des services interrogés, l’arrivée de nouveaux bénéficiaires est en forte progression, notamment en raison des tensions familiales liées à la consommation plus difficile à dissimuler aux proches. Les services bruxellois confirment une augmentation importante des usages problématiques de cocaïne et d’alcool, mais aussi de cannabis et de tranquillisants/sédatifs, avec des polyconsommations renforcées. Enfin les travailleur.se.s des services concernés ont aussi été impacté.e.s par la crise sanitaire et les équipes se trouvent souvent fragilisées.

Emag06 Drugs in brussels Tableau bord Eurotox

Des projets et des barrières

Cette matinée a aussi été l’occasion de faire le point sur des dispositifs mis sur pied dans l’urgence de la crise Covid ou récemment développés dans le secteur des assuétudes.

Le conseiller au cabinet des ministres COCOF Maron et Trachte, Martin Cauchie, a mis l’accent sur différents projets soutenus pour renforcer l’offre de services, en se basant notamment sur le concept d’intégration des soins et le travail conjoint des services de première ligne. C’est notamment le cas de l’équipe mobile Combo créée durant la crise Covid par le projet Lama, la Mass, l’asbl Transit et Sampas, en coopération avec le secteur du sans-abrisme et qui se base sur une démarche d’ « outreaching3 » vers les usagers de drogues confinés dans les centres d’hébergement. Martin Cauchie a également rappelé les travaux en cours pour la réforme du décret ambulatoire de 20094 et son collègue Miguel Rosal a fait le point sur les travaux liés à l’élaboration du plan social-santé intégré « Brussels Take Care ».

Christopher Collin, président de la FEDITO BXL et directeur de l’asbl Dune, l’a également souligné, lors de son intervention : « De nombreux projets ont été mis sur pied dans le secteur de l’aide aux toxicomanes, qu’ils aient été implémentés durant la crise et en nécessité d’être pérennisés, créés de plus longue date, mais adaptés aux besoins actuels, comme les lignes téléphoniques ou les sites Internet, ou encore en attente d’évolutions législatives, comme les salles de consommation à moindre risque ou le take-home Naxolone5. » Il a également mis l’accent sur deux points communs à toutes ces pratiques : le caractère bottom-up de ces innovations et le dynamisme et l’inventivité des associations, portés par les travailleurs de terrain.

Pour conclure, Magali Plovie, présidente du Parlement francophone bruxellois, a donné la parole à Stéphane Leclerq, directeur de la Fédito Bruxelles, lequel a rappelé toute l’importance d’un cadre législatif adapté. D’où cette campagne de « Unhappybirthday ! »6 relative à la « loi drogues » de 1921, encore et toujours basée sur une approche répressive, alors que de plus en plus de pays et d’observateurs s’orientent vers une décriminalisation de l’usage de drogues, afin de casser le cercle vicieux des réseaux, celle de l’économie souterraine liée au trafic et surtout la pénalisation des faits de drogues afin d’adopter une approche de santé publique, délestée de toute stigmatisation. Stéphane Leclercq a dès lors invité les parlementaires à se positionner sur le sujet, notamment via une proposition de résolution à adresser au Fédéral.

Emag06 Drugs in Brussels Loi 100 ans

Les réactions des parlementaires

Latifa Ait Baala (MR) s’est dite favorable à la logique bottom-up pour les innovations en matière d’assuétudes, ainsi qu’au fait de changer de paradigme pour ce qui est de la loi de 1921.
Julien Uyttendaele (PS) a salué le travail de la FEDITO Bxl. Il s’est dit inquiet des chiffres et pour certains publics les plus désaffiliés et a appelé de ses vœux le deuil joyeux de la loi de ’21 en mettant beaucoup d’espoir dans le travail du Sénat à cet égard.
Zoé Genot (Ecolo) regrette que l’examen du texte sur la salle de consommation à moindre risque ne soit pas plus avancé, mais salue l’ouverture du MR et une frilosité moindre des parlementaires flamands au Fédéral qui permettraient de changer la donne.
Christian De Beukelaer (cdH) s’est dit inquiet, dans une perspective de légalisation du cannabis, du sort des petits dealers qui pourraient dès lors se tourner vers le trafic de drogues plus dures. Il se dit ouvert à des solutions novatrices, même si son parti n’a pas toujours été des plus progressistes sur la question.
Nicole Bomele Nketo (Défi) a marqué son soutien à une politique en matière de drogues axée sur la santé publique et non la moralisation, et a marqué sa désapprobation vis-à-vis d’une politique répressive qui ne sert qu’à stigmatiser le consommateur.

Le travail en commission social-santé du Parlement francophone bruxellois permettra d’avancer sur le sujet.

Nathalie Cobbaut


1 https://feditobxl.be/fr/evenement/dib2021/
2 Voir la brochure: “Les Jeudis de l’hémicycle 2011-2019 », https://www.parlementfrancophone.brussels/activites/evenements/actions-citoyennes/annexes_ac/la-brochure-des-jeudis-de-lhemicycle-2011-2019
3 “Outreaching” qui vient de l’anglais « outreach », qui signifie « dépasser » ou encore « atteindre hors de ». Un service d’outreaching est un service qui sort des limites habituelles de son champ d’action classique en vue d’aller à la rencontre des populations qui ont un accès plus difficile aux soins ou aux services.
4 Voir le Tableau de bord Eurotox 2020 pour Bruxelles, point 3 Le contexte bruxellois, 3.6 Le décret ambulatoire de la COCOF, p.81 et suivants, https://eurotox.org/wp/wp-content/uploads/Eurotox-TB-2020-Bruxelles_4tma.pdf.
5 Dispositif permettant un accès plus aisé au Naxolone, antidote aux opiacés en cas d’overdose
6 https://unhappybirthday.be

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