GenreInitiatives
01.09.2021
Numero: 7

Angela D., l’habitat intergénérationnel, solidaire et féministe

L’habitat Angela D. a officiellement ouvert ses portes début septembre. L’inauguration forcément en mode mineur, mesures sanitaires obligent, se serait voulu plus ambitieuse, à la mesure de ce projet mené tambour battant par des bénévoles militant pour l’accès au logement à toutes les femmes, particulièrement les plus précaires. L’initiative vient ainsi s’ajouter à la liste d’habitats groupés semblables à Paris, Vienne ou Barcelone.

Emag07 Habitat intergénérationnel féministe

Prendre le nom d’Angela Davis, la militante américaine féministe et antiraciste, annonce d’emblée le positionnement de cette association créée par des femmes militant dans les milieux soit féministes, soit en lien avec le logement à destination de personnes précaires. Toutes sont en effet convaincues que la discrimination et la violence à l’égard des femmes constituent une question politique, tout comme l’accès au logement des femmes. Des études montrent ainsi que les femmes sont majoritaires dans les logements sociaux, parce qu’elles sont beaucoup plus précarisées. « Actuellement, souligne Magali Verdier, co-fondatrice et administratrice d’Angela D., il doit y avoir environ 140.000 personnes sur la liste d’attente, rien qu’à Bruxelles1 . Et énormément de femmes restent sur le carreau. »

De petites pensions, les congés de maternité, le travail à temps partiel figurent parmi les principales raisons expliquant les difficultés des femmes d’accéder à un logement. Sont aussi concernées des femmes isolées, cheffes de familles monoparentales, dont les revenus sont souvent modestes. Jusqu’ici, personne ne s’était vraiment intéressé à la question du mal-logement des femmes en Belgique. Pour Angela D., tout l’enjeu était donc de voir comment aider les femmes les plus socio-économiquement fragiles à avoir un logement à elles.

Des membres de l’association vont alors visiter des projets déjà existants, comme la Maison des Babayagas (Montreuil, Paris), Frauenwohnprojekt Rosa (Vienne) et La Borda (Barcelone). Le premier est un habitat participatif et autogéré. Il est non-mixte et loge une petite vingtaine de femmes, toutes très politisées2 . Rosa à Vienne est un habitat collectif féministe et La Borda, à Barcelone, un projet coopératif mixte3 . Le point commun de toutes ces expériences est d’habiter collectivement, avec un positionnement féministe. En d’autres termes, cela revient à se centrer sur les logements qui correspondraient le mieux aux besoins des femmes.

Dix logements pour des femmes, après trois ans d’efforts

Il aura fallu trois ans d’un travail acharné pour que les militantes d’Angela D. et les futures résidentes voient leurs efforts couronnés de succès. Celui-ci arrive après un colloque sur le mal-logement des femmes organisé en octobre 20184 et l’appel à projets CALICO porté par le Community Land Trust Bruxelles (CLTB), cet organisme qui offre aux Bruxellois·e·s à faibles revenus la possibilité de vivre dans des logements abordables, durables et de qualité5 . CALICO, qui est l’acronyme de Care and Living in Community6 , est un projet de logement intergénérationnel et social en interaction avec le quartier. Ses objectifs se déclinent à travers les projets qui sont menés au sein du bâtiment acheté à Forest.

Pour résumer, le projet CALICO se décline en 34 appartements achetés que se répartissent plusieurs structures associatives. Pass-ages possède dix logements et gérera la « Maison de naissance » et la « Maison de Mourance » au sein du même bâtiment. Angela D. dispose également de dix logements pour femmes en situation de vulnérabilité socio-économique et se charge notamment de la question du genre de manière transversale dans l’habitat. Le CLTB, qui facilite l’accès au logement dans le cadre d’un « Community Land Trust », en a aussi dix7. Enfin, il y a les deux appartements de transit du CPAS de Forest. L’ensemble répond ainsi aux valeurs que promeut le projet CALICO : l’intergénérationnel, la solidarité entre habitants et ceux du quartier. Et, bien sûr, l’attention aux questions de genre portées par Angela D.

Le logement, l’habitat et l’urbanisme selon les femmes

Au niveau de l’association féministe, les dix appartements mis sur le marché ne peuvent pas occulter les difficultés qu’éprouvent notre société à changer son regard sur la question du logement. Comme le dit Magali Verdier : « Finalement, il ne s’agit pas seulement de se loger. Un logement veut aussi dire vivre ensemble et puis aussi être citoyen·ne dans le quartier, dans la ville, dans le monde ». La plupart de nos villes n’ont pas été pensées pour les femmes et ceci explique que les femmes ne s’approprient pas tous les lieux, ne se sentent pas en sécurité, etc. Ici et là, des architectes féministes proposent des projets assez innovants en la matière. Ainsi en est-il de l’aménagement des habitats qui ne doit pas être figé, mais doit pouvoir évoluer avec les différentes étapes de la vie. Parfois, on est seul.e ou pas, avec des enfants, qui grandissent et s’en vont, veuf ou veuve, etc.

Prendre en compte des besoins comme celui d’accueillir des petits-enfants, en réservant une chambre supplémentaire pour cet accueil, a notamment été discuté, puis rejeté. Des préoccupations qui rythment déjà les débats et les modalités d’occupation au sein d’Angela D.

Anoutcha Lualaba Lekede


1 Logements sociaux à Bruxelles : un habitant sur dix est sur liste d’attente, voici le plan de la Région – RTL Info (Belga, 23/10/2020).
2 Elles réfléchissent à différentes thématiques en lien avec la société. Par exemple, les violences faites aux femmes, l’aménagement des espaces publics, l’urbanisme, etc. Elles participent à des manifestations telles que celle du 8 mars. Elles sont généralement investies dans une ou plusieurs activités, etc.
3 LEGRAND M., « Des béguines aux Babayagas, quelles alternatives de logement pour les femmes ? » (03/04/2019), sur https://www.alterechos.be/.
4 Journée d’étude « Femmes avec ou sans toit. Se loger ici et ailleurs » (11.10.2018) organisée par Angela D. en partenariat avec l’Université des Femmes, le Community Land Trust Bruxelles, la cellule de recherche Uses&Spaces (faculté d’architecture LOCI-UCL).
5 https://www.cltb.be/.
6 Projet à financement européen au titre de programme Actions Innovatrices urbaines.
7 Outre les appartements et la « Maison de Naissance » et la « Maison de Mourance », le bâtiment abrite aussi : un jardin semi-public pour l’ensemble des habitants et le quartier proche ; des espaces collectifs mis à disposition des habitants et du quartier proche ; ainsi que 9 parkings.

Sur la même thématique