GenreInitiatives
17.11.2023
Numero: 16

Quand les femmes précarisées prennent (leur) place

De plus en plus, la dimension de genre intervient dans l’octroi de subsides et la formulation des appels à projets dans le secteur social-santé. Et concrètement, des projets récents font la part belle aux femmes, pour et avec les femmes. Petit tour d’horizon.

20231115 Img Bs16 Site Doucheflux1

Circé. C’est le nom donné au nouveau centre de jour, pensé par et pour les femmes et ouvert par l’asbl L’Ilot en septembre dernier. Un nom qui tire ses origines d’une figure de la mythologie grecque, symbole de l’émancipation féminine. C’est cette figure que ce centre de jour a pour mission de faire émerger, en accueillant les femmes sans-abri et en leur donnant un espace d’expression et de réalisation.

Le phénomène du sans-abrisme et plus largement du mal-logement vécu par les femmes a longtemps été occulté, les chiffres sous-estimant cette réalité. Le recensement de Bruss’Help répertoriait en novembre 2020 21% de femmes parmi les personnes sans-abri et mal logées en Région de Bruxelles-Capitale. Et ce chiffre ne tiendrait pas compte du sans-abrisme caché, soit l’hébergement chez des proches qui est la première forme d’absence de chez-soi chez les femmes. Durant la pandémie, un centre uniquement pour femmes, avec un hébergement 24h sur 24, a été mis sur pied et a été conservé après la période de crise. Insuffisamment prise en compte, la situation des femmes en rue a fait l’objet d’un appel à projets intitulé « Violences faites aux femmes 2020 », lancé par Equal Brussels à l’issue de la crise Covid. C’est dans ce cadre que s’est notamment inscrite l’étude « Sans-abrisme au féminin – sortir de l’invisibilité » réalisée par L’Ilot et qui a débouché sur la création du centre de jour.

Au programme de Circé : un accueil exclusivement féminin, pour répondre aux difficultés que les femmes rencontrent dans les structures mixtes, notamment en raison des violences sexuelles et conjugales vécues par le passé par nombre d’entre elles. L’objectif ? Offrir un espace animé par une équipe 100% féminine, dont les services ciblent l’alimentation (petit déjeuner et dîner), l’hygiène (douche et lessive), ainsi qu’une consigne, et qui propose un accompagnement basé sur l’autonomie et la valorisation des expériences de vie des usagères.

Pour en savoir plus sur le parcours de Mina, une des femmes accueillies au centre Circé .

Intimité et estime de soi

Autre exemple de prise en compte et d’expression de la parole des femmes précarisées : l’exposition Intime Estime qui s’est tenue en octobre dernier au Brass. Elle est le résultat d’un travail artistique mené avec une quinzaine de femmes ayant rencontré des problèmes de logement et accueillies au sein de l’asbl DoucheFlux.

Organisé dès avant le Covid, tous les mercredis après-midi, cet espace d’expression réservé aux femmes a été l’occasion de se réapproprier une parole plurielle, l’une à propos de la rue, l’autre concernant la santé, une troisième pour parler de mal-logement. Comme l’a expliqué Serena Alba, chargée de ce projet au sein de DoucheFlux, « Des créations ont émergé de ces ateliers individuels et collectifs encadrés par deux artistes, Tookie Watteau, art-thérapeute, et Julie de Bellaing, photographe. Une quinzaine de femmes ont participé selon leurs envies et degrés d’implication. De 2021 à 2023, le travail de création s’est poursuivi, ainsi qu’un travail de scénographie avec des étudiants suivant ce cursus, pour concevoir l’exposition et mettre en valeur les productions engrangées. »

Portraits personnalisés et mis en scène selon les desiderata des participantes, installations, photomontages, enregistrements de témoignages audios et vidéos sont autant de créations exposées pour aborder les difficultés du quotidien de la rue, mais aussi la relation à soi, la féminité, les émotions. Jenny a par exemple exprimé son vécu au moyen d’un recueil de poésie, publié aux éditions de la Courgette : « J’ai choisi ce mode d’expression, pour ne pas susciter la pitié, pour mes enfants, sans tout leur dévoiler, pour qu’ils sachent qu’on ne fait pas toujours ce qu’on veut, que 15 ans de rue, c’est quelque chose dans une vie. Cela m’a permis de renouer avec mon fils aîné. »

Cette activité proposée aux femmes fréquentant DoucheFlux a reçu le soutien du Fonds Célina Ramos et de la Loterie Nationale. L’exposition sera à nouveau visible dans le cadre de l’Immense festival qui se tiendra en mars 2024.

20231115 Img Bs16 Site Douchflux2

Se pencher sur l’usage de psychotropes au féminin

Dernier exemple d’une attention particulière à la situation des femmes, cette fois (ex)usagères de drogues : celle accordée par le groupe de travail « Femmes genres et assuétudes » de la Feda Bxl (ex Fédito Bxl asbl), fédération bruxelloise du secteur spécialisé en matière de drogues et d’addictions. Ce groupe de travail, composé de travailleur·euse·s de terrain, a été mis en place pour mettre en lumière les prises en charge complexes de femmes (ex-)usagères de drogues. Celles-ci sont liées à une intrication et un cumul de problématiques comme l’usage de produits psychoactifs, de la violence conjugale et/ou sexuelle ou encore des situations de travail du sexe.

La synthèse des constats de terrain et des recommandations de ce GT a notamment été présentée lors d’un Jeudi de l’hémicycle du Parlement francophone bruxellois sur les inégalités de genre et les assuétudes, le 12 octobre dernier. Ce rapport contient une série de constats de terrain sur la base d’une revue de littérature internationale, mais aussi en écho à un atelier rassemblant une vingtaine de personnes citoyennes, expertes du vécu, travailleuses de terrain, ainsi qu’à des focus groups avec les premières concernées, les usagères de drogues. Ces constats portent notamment sur l’invisibilité du genre dans le champs des assuétudes, un moindre recours des femmes aux services socio-sanitaires à cause de la stigmatisation qu’elles craignent, ainsi que sur des thématiques spécifiques telles que la santé sexuelle, la grossesse et la parentalité, le travail de rue/prostitution et les violences basées sur le genre.

Il présente en outre des recommandations et des pistes d’action. Parmi elles, on peut épingler le fait de stimuler la capacité d’agir des femmes (ex-)usagères de drogues, de les sortir de l’invisibilité, la nécessité de développer des campagnes de communication spécifiques ou encore d’intégrer la dimension de genre dans l’ensemble des dispositifs.

Lors de cette présentation, l’exposition photo « Parle avec elles : quand les femmes détenues se racontent en prison » était accessible et le documentaire « Le cri des coquelicots » a été projeté en début de séance1. Des manifestations là-encore de la volonté de mettre en avant les réalités vécues par les femmes, en leur donnant la parole et basées sur leur participation active.

Nathalie Cobbaut


  1. Voir l’article dans l’e-Mag Bxl santé n°14 : « Travailler ensemble à être des acteurs de santé » : https://questionsante.org/articles-bxl-sante/travailler-ensemble-a-etre-des-acteurs-de-sante/

Sur la même thématique