DossierTravail
01.05.2021
Numero: 6

Double objectif pour le collectif : se maintenir et se réinventer

Le télétravail, rendu obligatoire dès le début de la pandémie, n’a pas détruit le collectif, mais l’a pas mal bousculé. En témoignent les efforts déployés par les professionnels dès mars 2020 pour que le lien social ne soit pas rompu. Comment garder le contact avec son public ? Comment maintenir la cohésion des équipes de travailleurs ? Ces questions sont au cœur des réflexions de nombreuses organisations. Deux fédérations des secteurs du social-santé ont accepté d’en partager quelques-unes.

Emag06 Objectif collectif

La Fédération des Services Sociaux (FdSS), qui réunit et représente des services sociaux wallons et bruxellois, compte 28 membres à Bruxelles1 . Dès le début de la crise, elle a joué un rôle d’interface entre l’administration, les cabinets ministériels et le terrain pour relayer des informations claires sur les adaptations et l’organisation à mettre en place. Comme dans d’autres secteurs à ce moment-là, il était difficile de s’organiser en raison d’un certain flou dans les circulaires. Les services sociaux devaient-ils ou non rester ouverts ? Dans les faits, ils ont toujours maintenu un accès pour les usagers.

Les quinze premiers jours, les services ont maintenu le contact par téléphone avec leur public. Une fois équipé en matériel sanitaire et munis des protocoles de circulation en interne, les équipes ont assuré une présence dans leurs services respectifs, avec un accueil minimal et une réorganisation de tous les départements. Les permanences étant supprimées, les assistants sociaux ont travaillé sur rendez-vous. Une partie des travailleurs est alors en télétravail et une autre assure le présentiel. La Fédération a continué d’accompagner ses membres lors des différents épisodes de ré-ouvertures et re-fermetures des services. Un an après le début de la crise, les réunions des membres (des coordinateurs de services, par exemple) se déroulent par visioconférences, au rythme d’une rencontre virtuelle par mois.

Prendre soin des équipes en temps de télétravail

Il y a tout juste un an, l’autre enjeu majeur qui se posait aux associations du social-santé, comme dans d’autres organisations d’autres secteurs, était le maintien du lien avec les travailleurs, surtout avec l’obligation du travail à domicile. A la Fédération des maisons médicales, lors du premier confinement, la direction s’est assez rapidement rendu compte qu’il n’était pas simple pour ses trente travailleurs d’être enfermés et de télétravailler. « Les tâches ne sont pas les mêmes. Certains sont plus à l’aise que dans d’autres dans leur travail, certains ont besoin d’être davantage guidés, explique France Defrenne, chargée de projets à la Fédération des maisons médicales. »

La direction de la Fédération prend la mesure d’autres difficultés, auxquelles les responsables et les employés sont confrontés. Il y a des problèmes de concentration, d’aménagement d’un lieu de travail au domicile, liés à la présence ou non d’un jardin, d’un·e conjoint·e qui télétravaille également, d’enfants qui suivent l’école en distanciel. Il y a également des mamans seules avec un(s) enfant(s) en bas âge, etc. Les situations ne sont pas les mêmes pour tous.

Organisez votre travail au mieux, essayez de remplir vos missions. Si vous ne pouvez pas, revenez vers nous…

Face à ces difficultés, la direction se montre bienveillante et dans l’écoute. Les travailleurs sont invités à aménager leur travail comme ils le peuvent, en tenant compte des heures qu’ils ont à prester sur la semaine. Les responsables rappellent quelques conseils, comme : « Ne vous mettez pas en difficulté », « Faites des pauses plus régulièrement parce que nous sommes souvent sur écran », « Ne vous sentez pas coupable de faire des pauses et d’aller vous aérer près de chez vous ». Le message est clair : « Organisez votre travail au mieux, essayez de remplir vos missions. Si vous ne pouvez pas, revenez vers nous et nous essayerons ensemble de trouver des solutions ».

Une fatigue usante : jusqu’à quand ?

Une fatigue pernicieuse s’est aussi invitée chez de nombreux travailleurs pendant cette période.

Julie Kesteloot, coordinatrice des secteurs bruxellois membres de la FdSS : « Les coordinateurs des différents services sociaux font état d’un grand épuisement des équipes. Il y a une fatigue énorme qui es, en partie liée à la situation d’incertitude que nous vivons. Nous ne savons pas combien de temps nous allons continuer à fonctionner, comme nous le faisons. Nous ne savons pas pour combien de temps nous devons nous adapter : est-ce ou non du ponctuel ? » Le fait de devoir changer sans cesse, de gérer les absences, de gérer l’ensemble des mesures, etc., épuise énormément les équipes qui doivent sans cesse réorganiser leur travail.

La coordinatrice pointe aussi la multiplication des portes d’entrée pour contacter les travailleurs sociaux. Avant la période Covid, il y avait un cadre, avec des permanences et un suivi sur rendez-vous. Actuellement, le contact peut se faire par téléphone, par courriel, en venant sur place, etc. Pour bon nombre de travailleurs, organiser leur travail devient également ardu. Si au bureau, c’est compliqué, le travail l’est tout autant à domicile, parce que les travailleurs ont la possibilité d’assurer les suivis à distance. Or là, le travailleur est seul quand, sur le lieu du travail, il peut bénéficier de l’aide et du soutien d’un·e collègue.

Julie Kesteloot, FdSS: « Certains travailleurs sociaux rêvent de ces téléphones qui n’arrêtent plus de sonner. »

Le travail par téléphone a gagné en importance, souligne Julie Kesteloot, puisque les usagers ont pris l’habitude de ne plus se déplacer et de contacter les travailleurs par téléphone : c’est épuisant d’avoir ce téléphone qui sonne en permanence. Certains travailleurs sociaux rêvent de ces téléphones qui ne s’arrêtent plus.

Quels leviers pour le bien-être et la santé au
travail ?

Cette question figurait déjà dans le chantier des travaux de la Fédération des maisons médicales avant la pandémie, des travailleurs ayant été confrontés à des burnout. En décembre dernier, un groupe de travail « Prévention du burnout » s’est attelée à la tâche se basant sur un rapport de l’APEF, l’ABBET, Competentia et le CERIAS2 . Constitué de huit travailleurs représentatifs de l’ensemble du personnel, le groupe s’est penché sur les sept thématiques du document. Chaque thématique a fait l’objet d’une réunion de deux heures, avec un échange devant aboutir à une proposition de pistes d’action.

En juin prochain, le travail de prévention des burnout sera présenté au cours d’une journée de mise au vert, à laquelle sont d’ores et déjà conviés tous les travailleurs. France Defrenne : « Nous avons priorisé trois pistes par thématique pour prévenir les burnout. Cette question nous tenait à cœur, encore plus en période Covid, où nous nous devions d’agir. La journée de mise au vert sera l’occasion de voir si les priorités que nous avons identifiées sont en adéquation avec celles de l’ensemble des travailleurs ». Parmi ces pistes, on note par exemple la clarification des rôles de chacun, la formation des travailleurs, la communication en interne.

A la Fédération des Services Sociaux, la dynamique d’équipe, complètement bousculée par les nouvelles modalités de télétravail, a également été au cœur des échanges entre coordinateurs. A travers un exercice d’intelligence collective, le groupe a essayé d’analyser tout ce qui se passait. Comment continue-t-on d’être un collectif quand les travailleurs sont éparpillés et que les réunions se font par visioconférences ? Comment gère-t-on une réunion Zoom ou Teams avec un minimum de convivialité, etc. ?

L’organisation du travail qui s’est faite dans l’urgence et qui perdure interroge énormément : « Comment allons-nous nous organiser de manière durable et nous donner les moyens d’un confort de travail ?, rapporte la coordinatrice des secteurs bruxellois de la FdSS. Quels seront les bons canaux de communication à mettre en place pour pouvoir anticiper une réalité qui va durer ? »

Une multiplicité d’expériences pour rester en lien

Au cours de la crise sanitaire, le numérique a été le grand gagnant des moyens de rester en contact les uns avec les autres. Les nouveaux outils de communication, le développement des vidéoconférences, notamment au niveau professionnel, ont aussi permis au monde associatif de continuer à proposer ses services à la population. Les uns et les autres ont profité des réseaux de communication internes pour maintenir le contact entre collègues, via des échanges portant sur une diversité de sujets (le vécu de la crise, des recettes de cuisine, les mille anecdotes de la vie quotidienne, etc.). Des moments informels, comme des « réunions papotes », ont été organisés ici et là (avant, pendant ou hors réunions de travail), avec des succès divers…

Si dans certaines équipes, composées uniquement de quelques personnes, les réunions en présentiel hebdomadaires ont été maintenues – of course, dans le respect des mesures sanitaires –, les associations, munies de groupes plus importants de travailleurs (50 à la FdSS3 et 40 à la FMM), ont recherché des solutions innovantes pour se rencontrer. Le télétravail a ainsi rendu difficile l’organisation d’une fête de départ digne de ce nom pour les collègues qui partaient en retraite, comme il a compliqué l’accueil des nouveaux travailleurs. Accueil dans l’équipe qui, désormais, se fait le plus souvent de manière virtuelle.

Lassée de cette absence de contacts au sein de son équipe, la Fédération des maisons médicales a ainsi initié un jeu de pistes pour ses travailleurs autour de l’éducation permanente et de la promotion de la santé en décembre 2020. Le jeu était réalisé par groupes de quatre et s’est déroulé dans deux associations proches de la Fédération. L’initiative avait été accueillie de manière enthousiaste par les travailleurs, tout comme la matinée passée au Musée des sciences naturelles par l’équipe de l’asbl Question Santé, afin de nourrir la réflexion sur l’événement qui marquera ses 40 ans. Nous n’en dirons pas plus.

En cette période où les équipes de travailleurs sont comme des navires ballotés sur la mer agitée de la Covid-19, elles expérimentent différentes manières de rester en lien. Du côté de la FdSS, on teste aussi et on regarde attentivement ce qui se fait ailleurs. Cela pousse également les travailleurs sociaux à envisager d’autres manières de rencontrer les usagers. Plutôt qu’une consultation intra-muros, pourquoi pas sortir faire un tour du bloc, avec un usager par exemple ?…

Le coronavirus ? N’est-ce pas finalement aussi une belle opportunité pour essayer d’autres façons de faire et se réinventer ? Un défi pour les équipes !

Anoutcha Lualaba Lekede


1 Les membres de la FdSS sont : des Centres d’Action Sociale Globale (CASG), des Centres d’Aide aux Personnes (CAP), des Centres de Service Social (CSS), des Services d’Accompagnement social aux Locataires sociaux (SASLC), des Services d’Aide et de Soins aux Personnes Prostituées (SASPP) et des Initiatives Locales d’Intégration (ILI).
2 Soutien à la prévention primaire du Burnout, Rapport de la recherche-action 2019, Décembre 2019.
3 Aux 30 travailleurs de la Fédération viennent s’ajouter 25 personnes recrutées depuis décembre 2020 dans le cadre d’un gros projet.

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