ProjetsTravail
12.10.2022
Numero: 12

Prendre et donner la parole, un autre aspect de la participation

« Une discussion sur la discussion », c’est un peu le résumé succinct des échanges qui se sont déroulés dans le cadre des « Journées internationales : prendre/donner la parole » l’été dernier. Pendant deux jours, une petite trentaine de participant·e·s s’est penchée sur la prise en compte de la parole des personnes fréquentant différents services. Quelle place ces derniers accordent-ils à la participation de leurs publics, notamment à ce qu’ils peuvent dire ?

Team Teamwork Meeting Start Up Concept

L’idée des journées internationales fait suite à un séminaire de recherche qui portait sur la démocratisation des services sociaux, éducatifs et de santé, avec un focus sur les conditions de participation des bénéficiaires. L’hypothèse est de démocratiser ces services, c’est-à-dire comment faire entrer les usager·e·s dans le fonctionnement de ces structures et comment leur donner la possibilité de les faire bouger. Au cours de ce séminaire, les participant·e·s en étaient venus à parler de la reconnaissance de la parole des usager·e·s. Ces questions n’avaient pas manqué de retenir l’attention de quelques universitaires présents, dont des chercheurs de trois universités qui collaborent depuis 2012 : l’Université de Genève, l’Université de Montréal et l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Ces trois institutions sont en effet unies par une communauté d’intérêts et d’objectifs dans les domaines académique et scientifique1.

Grâce au fonds commun G3, ces universités ont financé le projet « Démocratiser les institutions de santé. Participation des usager·e·s à l’offre de soins et services de santé à Montréal, Genève et Bruxelles », coordonné par Maryvonne Charmillot, Baptiste Godrie et Jacques Moriau. Le projet repose sur quelques interrogations : comment favoriser une réelle prise en compte des paroles et des expériences des personnes qui ont besoin de soins et de services ? Quelles pratiques développer pour que la prise en compte de la parole des professionnel·le·s et des usager·e·s soit une expérience positive ? Et, encore mieux, une expérience qui donne plus de pouvoir sur le développement des soins et services ? Comment faire entendre aussi les critiques dans ces structures et dans les projets de recherche menés pour comprendre et améliorer le fonctionnement de ces institutions ?

La parole sous la loupe des chercheurs

En recherche comme dans l’intervention, donner la parole est un geste paradoxal : un geste qui relève du pouvoir d’autoriser la parole (ou du moins, une certaine parole) autant qu’un geste émancipateur qui peut délier les silences, favoriser les solidarités et susciter le changement social. Prendre la parole peut aussi être une expérience vectrice d’oppression dans le cas où elle est accueillie dans le silence, l’indifférence, l’opprobre, voire la franche hostilité, tout comme un véhicule de politisation lorsque (re)prendre la parole permet d’acquérir – individuellement et collectivement – du pouvoir sur sa vie, et notamment sur celle des membres de groupes sociaux opprimés.

Prendre et donner la parole sont donc des actions étroitement reliées au pouvoir (qu’il s’agisse de résistance ou d’oppression), à la participation, à la mise en récit et donc à la diversité des voix et des registres narratifs, ainsi qu’aux gestes et pratiques inclusives et exclusives de ces discours multiformes et polyphoniques.

Faire avec le Covid

Le projet était à peine lancé que très vite les chercheurs se sont heurtés à la difficulté de pouvoir organiser des rencontres en temps de pandémie. Durant la crise sanitaire, le travail s’est donc essentiellement déroulé en distanciel, principalement avec des participants du monde académique. Quelques travailleurs de terrain ont néanmoins pu participer aux rencontres virtuelles organisées entre 2020 et 2022. La sortie de la crise a finalement permis d’organiser assez vite, en présentiel, les 30 juin et 1er juillet derniers, les « Journées internationales – Prendre et donner la parole », avec toutefois un nombre limité de participant·e·s afin de faciliter la discussion. Les journées se sont partagées entre temps de partage de réflexions et d’expériences en plénières et l’organisation de cafés du monde2 en groupes.

Trois thématiques ont été abordées dans ces cafés du monde. La première, intitulée « Pouvoirs et Paroles » invitait à échanger autour de : qui a le pouvoir de donner la parole ou d’empêcher de parler ? Qui oblige qui à parler et de quoi ? Et qu’est-ce qui aide ou empêche de parler, de donner ou de prendre la parole ? Une deuxième thématique était consacrée à la place de l’expérience dans les institutions (des secteurs social, santé, éducation et université). Quelle place celle-ci a-t-elle dans les pratiques institutionnelles ? La neutralité existe-elle ? Comment faire entrer les savoirs d’expérience dans les institutions ? La dernière thématique s’est focalisée sur la restitution d’une expérience ou d’une parole à partir d’un dossier (de demande d’aide, de soin, de service, etc.). Les questions proposées au débat étaient : « Comment restituer l’expérience d’une personne, décrite par d’autres qu’elle-même ? » et « Comment analyser un dossier sans produire d’injustices épistémiques ? ».

L’amorce d’un processus collectif enclenchée ?

La question de la participation des usager·e·s, particulièrement celle de la prise en compte de leur parole dans les services qu’ils ou elles peuvent fréquenter, intéresse énormément. C’est ce qui est ressorti à l’issue de ces journées d’échanges entre professionnels et chercheurs. La question n’est pas neuve, car chacun·e des participant·e·s avait quelque chose à relater sur le sujet. Dans certaines structures, comme Dune (comptoir de réduction des risques/secteur Assuétudes), la thématique est transversale à tous leurs projets et fait l’objet d’un groupe de travail spécifique qui se réunit tous les deux ou trois mois pour en discuter en profondeur. La question est également à l’ordre du jour des réunions hebdomadaires. Il existe un consensus de l’association et de sa direction sur ce point.

Dans un des cafés du monde consacré à la place de l’expérience dans les institutions, il est ressorti qu’il existait une méfiance, voire une défiance forte à l’égard de certaines institutions. Certain·e·s ont pointé certains CPAS, notamment certaines pratiques qui créent de la souffrance chez certains demandeurs d’aide. Quel terme utiliser pour désigner les personnes fréquentant les services : « usagers », « bénéficiaires » ou leur préférer « personnes » ? Que penser ou dire de la posture de « neutralité » du professionnel ? Est-ce tenable quand on veut instaurer une relation de confiance avec la personne en face ? Quelles conséquences peuvent avoir ce que disent certain·e·s sur les un.e.s et les autres ? Car prendre la parole suscite aussi des réactions. La présence de pairs-aidants, d’experts de vécu, de groupes de soutien, etc., peuvent faciliter l’expression de la parole. Ce sont là juste quelques éléments qui ont été relevés ou discutés par les participant·e·s.

Anoutcha Lualaba Lekede


  1. Appelé G3, le regroupement de ces trois universités a permis de développer un partenariat qui vise à accroître la qualité des activités de recherche et de formation de chacun de ses membres en tirant profit des convergences d’intérêts, sur https://www.ulb.be/fr/partenaires-et-reseaux/g3 (« G3 de la francophonie »).
  2. Les cafés du monde sont une méthode d’animation des échanges favorisant la discussion en petits groupes et permettant la mise en commun des idées lors des plénières où les réflexions sont partagées et enrichies collectivement.

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