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22.11.2021
Numero: 8

Rendre la parole aux invisibles

Tisser de nouveaux fils sur une commune pour éviter que des individus ne passent à travers les mailles du filet, telle est la mission des RAQ (Relais d’Actions de Quartiers), dispositif créé en pleine pandémie. Renforcer les réseaux locaux de soutien et d’accompagnement, c’est tout l’enjeu. Avec la volonté complémentaire de permettre aux plus fragilisés de s’exprimer sur leurs besoins et de faire remonter cette parole.

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Un des effets de la crise du Covid est d’avoir mis une loupe grossissante sur le lien entre inégalités sociales et de santé, et ce particulièrement à Bruxelles. Avec en toile de fond, dès avant la crise sanitaire, un accès à l’aide sociale et aux soins de santé déjà difficile pour toute une catégorie de personnes fragilisées. Quand on sait que près de 40% des Bruxellois n’ont pas de médecin généraliste, on comprend mieux la situation. Et quand on croise ces facteurs avec la carte géographique de la Région bruxelloise, il ne faut pas chercher très loin pour situer les communes les moins vaccinées parmi les plus précarisées.

Publiée en septembre 20201, la note de vision politique de l’Inter-fédération ambulatoire, intitulée « Organisation de l’aide et de soins de première ligne en Région Bruxelloise », en appelait à la mise en place de pratiques de réseau et de projets innovants, ainsi qu’à la participation des citoyens-usagers. Aller à la rencontre des publics fragilisés pour retisser du lien et leur donner la parole, tel est l’objectif que le projet ALCOV s’est donné, avec le volet spécifiquement bruxellois que sont les RAQ et les BRICo.

ALCOV ou Agir localement contre le virus

Dans le souci d’améliorer la prise en compte des populations fragilisées dans un contexte sanitaire difficile, le projet ALCOV recouvre plusieurs volets :

  • Les CHW (ou Community Health Workers), au nombre de 50 pour l’ensemble de la Belgique (dont 12 pour Bruxelles), ont été embauchés au sein des mutualités via un financement fédéral. Issus eux-mêmes des quartiers concernés par ces vulnérabilités, les CHW ont pour mission d’accompagner les familles vers des soins appropriés.
  • Une quinzaine d’agents de prévention ont également été engagés, toujours par les mutuelles, pour entrer en contact avec les Bruxellois de plus de 65 ans, bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM) et isolés, pour les aider à adopter les bons gestes dans le contexte de la crise Covid et veiller à ce que leurs besoins en termes de santé et d’accompagnements social soient rencontrés.
  • Autres intervenants de terrain d’un genre nouveau : les RAQ (ou Relais d’Actions de Quartiers) engagés cette fois par la FDSSB (Fédération des services sociaux bicommunautaires) grâce à un subside de la COCOM, et répartis dans 18 quartiers choisis en fonction des conditions sociales et de santé difficiles pour leurs habitants. Leur mission: lutter contre le non recours aux droits en facilitant l’accès aux services d’aide sociale et de soins, informer et sensibiliser les personnes sur des thématiques liées à la crise sanitaire, tisser un réseau local d’acteurs solidaires du quartier, orienter et accompagner les habitants vers les services compétents et développer des approches communautaires dans les quartiers.

Concrètement

Avec son collègue Khalid Mezroure, Raphaëlle Defort a été engagée en avril dernier pour endosser la casquette de RAQ de référence sur Saint-Gilles. Devenue assistante sociale, il y a peu, après une autre vie en Afrique, Raphaëlle a été rattachée au Service social juif et s’est vue assigner le territoire du haut de Saint-Gilles. Son collègue Khalid, lui, sillonne les rues du bas de Saint-Gilles et a posé son baluchon auprès de l’Entraide, à côté de l’église du Parvis de Saint-Gilles.

Comme l’explique Raphaëlle, « Nos interventions dans le champs du social-santé sont extrêmement variées et ne se limitent certainement pas aux seules questions relatives à la pandémie. C’est clair que les questions tournent beaucoup autour de la vaccination : les gens sont noyés sous les informations et celles véhiculées par les réseaux sociaux génèrent pas mal de fausses croyances. Par ailleurs, beaucoup encore ne savent toujours pas à quoi sert et comment fonctionne un vaccin. C’est le cas des jeunes qui, dans bien des familles, sont les seuls vecteurs d’informations. Nous avons tous reçu une formation en tant que RAQ, pour être en mesure de donner cette information mais sans pour autant être là pour convaincre. »

Au début de leur mission, Raphaëlle et Khalid ont fait le tour des acteurs locaux pour prendre le pouls de chaque asbl et voir comment ils pouvaient s’appuyer sur ce réseau pour toucher différents publics. « Cela a notamment débouché sur des animations autour du jeu « La santé, ça se construit » imaginé par Cultures et Santé, par exemple auprès de l’Orée, centre de jour pour les personnes ayant des problèmes d’addiction. » Autre sujet de préoccupation recueilli auprès des personnes sans-abri : le fait de se faire vacciner et de ne pas pouvoir se poser dans un endroit accueillant, si l’on ressent des effets secondaires. Les RAQ ont permis de faire remonter cette préoccupation vers Brussel’Help pour mettre en place des solutions adaptées. « Le fait de ne pas être rattachée à une institution permet d’être mieux acceptée par certains publics plus méfiants. Le but est de tisser des liens, d’orienter vers l’existant, tout en restant dans l’informel. »

Et la suite ?

Engagés dans un premier temps jusque fin décembre 21, la mission des RAQ est en passe d’être étendue à un nouveau dispositif, celui des BRICo (ou Bureaux de recherche et d’investigation commun sur les réparations), imaginé par l’asbl Cesep (Centre socialiste d’Education permanente). A l’initiative de la FDDSB, mais également porté par de nombreux acteurs locaux dans les quartiers, l’objectif, à travers ce dispositif, est d’aller à la rencontre des Bruxellois.

Céline Van Nieuwenhuys, secrétaire générale de la FDSS, défend cette méthode déjà testée en Régions wallonne et bruxelloise, qui consiste à faire un sitting pendant trois jours, dans un lieu neutre et accessible d’une commune choisie pour ses difficultés, en offrant nourriture et boissons et en permettant aux gens de s’exprimer: « On leur pose la question suivante : « Si vous deviez réparer quelque chose dans votre quartier, par où commenceriez-vous ? ». Avant ce sitting, un comité de regard se créée réunissant les forces vives locales et une marche exploratoire est organisée. Lors du BRICo, tous les remarques des participants sont notées pour être répercutées aux responsables politiques. Elles portent par exemple sur la présence de rats dans une tour d’immeubles, sur la plaine de jeu en bois qui ne cesse d’être démontée pour en faire du bois de chauffage, la question de l’éclairage défaillant dans certaines rues, l’absence d’un lieu pour réparer les vélos… L’idée est de se réintéresser aux gens et de les écouter, de visibiliser l’invisible. Un suivi des réparations à effectuer et signalées aux communes sera effectué. »

 40 BRICo seront organisés endéans les 8 mois, au sein des communes de Koekelberg, Bruxelles-ville, Schaerbeek, Ixelles, Saint-Josse et Molenbeek. Ils seront également un lieu d’échanges sur les questions de santé et sanitaires, en lien avec l’évolution de la crise sanitaire.

Nathalie Cobbaut

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