InitiativesSanté
12.10.2022
Numero: 12

Une exposition sur l’enfermement des migrantes

En mars dernier, la Maison du Livre à Saint-Gilles accueillait pour la première fois l’exposition « Détention et santé au prisme du genre » consacrée aux conditions d’enfermement des femmes migrantes en Belgique, et à l’impact de celui-ci sur leur santé et leur corps. L’exposition a été conçue par des militantes qui luttent pour la suppression de toutes les formes d’emprisonnement.

Autosave File Vom D Lab2/3 Der Agfaphoto Gmbh

L’exposition « Détention et santé au prisme du genre » est composée de dix-sept photos, accompagnées de textes, et de dispositifs pour écouter des témoignages. Elle a été élaborée à partir des témoignages livrés par les femmes détenues au nouveau centre fermé de Holsbeek. Ce centre est généralement présenté comme avoir été spécialement conçu pour mieux prendre en compte les besoins des femmes1. « Dans les faits, ‘si cette infrastructure nouvelle fait moins penser à une prison que d’autres centres’, il n’y a pas plus de services mis à disposition des femmes et les femmes ne sont pas davantage en confiance avec le personnel qui y travaille. Si certains soins et actes techniques sont correctement pris en charge (comme le suivi d’un diabète par exemple), la douleur et d’autres plaintes, notamment liées à la santé sexuelle et reproductive, ne sont pas prises en compte. Tout se règle à coup d’antidouleurs et de tentatives d’expulsion2

Ils sont venus m’arrêter chez moi. j’étais avec mon mari et mes trois enfants. Ils m’ont prise comme ça et m’ont emmenée au centre fermé, le centre 127bis, à côté de l’aéroport. J’ai vu beaucoup de choses ici. J’ai vu des rapatriements de Guinéens, de Congolais, de Marocains. J’ai vu des gens sortis avec du sang sur le visage… X, Centre fermé de Steenokkerzeel, 2021

Les femmes représentent près de 50% de la population migrante en Belgique. Comme les hommes, elles sont aussi détenues en centres fermés et sont tout autant victimes de la politique migratoire belge.

Dans les centres fermés, la santé n’est pas vraiment une priorité

Comment parler de migrantes et d’enfermement sans évoquer Semira Adamu, cette jeune nigériane de 20 ans qui avait demandé l’asile pour mariage forcé et qui se l’était vu refusé. Enfermée au Centre de rapatriement 127bis, puis à Steenokkerzeel, elle a été assassinée par des gendarmes le 15 avril 1998 lors d’une sixième tentative d’expulsion. Son décès n’aura pas changé grand-chose puisque plus de vingt ans après, « cette politique inhumaine et meurtrière se poursuit »3.

Le genre comme facteur de vulnérabilité est encore trop peu pris en compte dans les dossiers de demandeurs d’asile. Lors des procédures de demande d’asile, notamment lors des interviews menées par le CGRA4, ces femmes doivent raconter encore et encore leur histoire et revivre sans fin les traumatismes des violences (physiques, psychologiques et sexuelles) subies dans leurs pays d’origine, sur le trajet migratoire ou sur le territoire belge. La parole des femmes est remise en question, soumise encore et toujours au régime de la preuve, les forçant très souvent à devoir dévoiler leur intimité (physique et/ou psychique).

Moi, je suis malade, je saigne. Après avoir beaucoup insisté, ils ont accepté de m’emmener à l’hôpital. Le docteur, lui, a fait une biopsie et a dit : « Non, cette femme ne peut pas prendre l’avion. ce n’est pas normal à son âge d’avoir beaucoup de règles ». Il a envoyé une lettre au centre pour le dire. Le juge a même ordonné de me libérer, mais le Parquet a fait appel… X, Centre fermé de Steenokkerzeel, 2021

Dans les centres fermés, comme les hommes qui y sont détenus, les femmes présentent divers troubles liés à l’enfermement : anxiété, déprime, perte d’appétit, troubles du sommeil, etc.  Elles peuvent également expérimenter des troubles spécifiques comme l’absence de menstruations. A cela s’ajoutent des violences de la part d’autres détenus (violences sexuelles) ou encore de la part du centre où elles sont détenues. Celui-ci peut par exemple ne pas fournir de produits d’hygiène nécessaire ou uniquement les fournir en contrepartie de travaux de nettoyage.

Une exposition sur ce qui ne devrait pas être

L’exposition « Détention et santé au prisme du genre » a été réalisée par Pauline Fonsny, diplômée en philosophie et en montage-scripte, et Anaïs Carton5, diplômée en sciences politiques, en droit international et réalisatrice, en collaboration avec l’asbl Femmes et Santé. Cette association soutient une approche féministe de promotion de la santé. Dans cette optique, elle analyse comment les rapports de pouvoir liés au genre et aux stéréotypes de genre ont un impact sur la santé des femmes.

Si des témoignages de femmes détenues au Centre de Holsbeek sont repris dans l’exposition, celle-ci met aussi en avant des femmes qui ont un jour pris le chemin de l’exil, ainsi que des avocates, des médecins, des psychologues et des militantes qui luttent pour la suppression de toutes les formes d’emprisonnement. Des informations sont aussi disponibles sur le site www.detentionetsante.be. Après avoir été accueillie par la Maison du Livre trois semaines, l’exposition s’est déplacée à Mons pour un mois. Les responsables du projet recherchent à présent un lieu d’accueil où l’exposition pourrait se tenir plus longtemps, idéalement six mois.

Pour plus d’informations :
Femmes et Santé asbl
Rue de Suisse, 8 à 1060 Saint-Gilles
Tél. : 0493.81.85.23
https://www.detentionetsante.be

Anoutcha Lualaba Lekede

 


  1. La Belgique compte actuellement six centres fermés, plus une annexe à l’un d’entre eux. Il en existe cinq en Flandre et un en Wallonie : le Centre de Rapatriement 127bis à Steenokkerzeel ; le Centre pour illégaux de Merkplas ; le Centre pour illégaux de Bruges ; le Centre pour illégaux de Vottem ; le Centre de Transit Le Caricole à Steenokkerzeel ; les unités « familiales » en annexe du 127bis à Steenokkerzeel ; le centre pour femmes de Holbeeck, le dernier à avoir été inauguré en 2019.
  2. « Détention et santé », sur https://www.detentionetsante.be
  3. Ibidem.
  4. Le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) octroie l’asile et délivre des documents aux hommes, aux femmes et aux enfants qui fuient la persécution, la guerre ou la violence.
  5. Pauline Fonsny a aussi réalisé A l’usage des vivants, un film qui revient sur l’histoire de Semira Adamu. Elle a co-réalisé avec Anaïs Carton A leurs corps défendant, un documentaire radiophonique sur les centres fermés en Belgique. Toutes les deux mènent actuellement des travaux sur la même thématique.

Sur la même thématique