AnalysesNuméroSanté mentale
02.12.2025
Numero: 24

Quand la santé mentale est impactée par la précarité

Le 7 octobre dernier, le CPAS de Saint-Gilles organisait une journée de réflexion pour envisager les liens entre santé mentale et précarité, les constats propres au territoire bruxellois et les possibilités de prises en charge de ces personnes en difficulté. Travailleur·euse·s sociaux·ales, psychologues et autres acteur·trice·s de terrain étaient présent·e·s en nombre pour  réfléchir au phénomène et trouver des pistes de solution pour aider ce public.

e-Mag Bxl santé N°24 - Quand la santé mentale est impactée par la précarité

C’est à l’invitation du CPAS de Saint-Gilles que les participant·e·s à cette journée se sont réuni·e·s pour réfléchir aux interactions qui se lient entre santé mentale et précarité.

Myriam Amrani, présidente du CPAS de Saint-Gilles, a planté le décor en resituant la problématique au lendemain de la crise Covid, au terme de laquelle on a pu observer le cumul de difficultés pour les personnes présentant des problèmes socio-économiques.

« Avec des moyens financiers qui ont fondu et des difficultés toujours plus complexes, ce public est de plus en plus touché par l’angoisse et le mal-être qui règnent. Une situation qui peut aussi mener à l’expression d’une colère mettant à mal les personnes, ainsi que les liens avec les travailleur·euse·s sociaux·ales. L’accompagnement de publics en rupture de liens s’avère indispensable mais plus difficile. D’où la nécessité d’ouvrir les CPAS aux acteurs de la santé mentale, de procéder à des échanges de bonnes pratiques, de mutualiser les ressources, sans faire l’économie d’une analyse politique et des plaidoyers. »

Les ressorts psychologiques des précarités

Pour aborder cette journée, Anissa Tahri (Psybru) a parlé des implications psychologiques de la précarité. « On peut repartir de l’origine du mot Précarité qui vient de Precari, « supplier pour avoir«  ».  Autre référence, faite à Jean Furtos, psychiatre, qui parle pour sa part de précarités au pluriel. Avec un premier niveau qui porte sur la précarité qui débute à la naissance, avec un besoin de l’autre et une demande d’aide exprimée, entendue et prise en charge par les parents, à la base de la confiance en soi et du lien social. L’autre niveau concerne la précarité actuelle, celle qui met les individus sous pression et qui entraîne une triple perte de confiance : en soi (« Qui suis-je encore aujourd’hui ?»), en l’autre (soit l’étranger qui vole le travail, le chômeur qui vole la société ou encore le malade qui vole la sécurité sociale) et en l’avenir. Ces pertes de confiance s’accompagnent d’une peur de perdre les objets sociaux (le travail, le logement, les revenus) et crée de l’insécurité, avec la peur d’être exclu·e, mais aussi de la honte et de la culpabilité. La précarité est aussi un régime d’attente, quand on ne sait pas ce qu’on va recevoir, ce qui crée de la souffrance psychique et des douleurs physiques.

Selon Anissa Tahri, « Trois types de  réactions sont à repérer : certains n’hésitent pas à demander de l’aide et ont la capacité de rebondir; d’autres sont déjà dans l’anticipation de la perte, alors qu’ils n’ont pas encore perdu leur travail ou leur logement. Enfin il y a ceux qui ont éprouvé une perte réelle, qui vont se tourner vers l’Etat pour compenser cette perte et redevenir acteurs et rebondir. S’il n’y a pas cet objet substitutif social, on se situe hors des aides, avec une situation de repli et de désespoir. »

D’où la nécessité d’un tissage de liens, de tuilage autour de ces personnes en difficulté, plutôt que de les soumettre au mécanisme de la patate chaude qui consiste à passer d’un service à l’autre sans y trouver un appui. 

Des considérations socio-politico-démographiques

Autre intervention de la matinée : celle de Yahyâ Hachem Samii, directeur de la Ligue bruxelloise de santé mentale (LBSM) qui a abordé le contexte sociétal et politique dans lequel précarité et problèmes de santé mentale ont aujourd’hui tendance à s’additionner. Le directeur de la LBSM jette un regard critique sur les éléments de la définition de la santé mentale de l’OMS[1] qui font référence au fait de travailler de manière productive et d’apporter sa quote-part : « Dans une telle définition, la notion de PIB n’est pas très loin… Pour autant la santé mentale est sous-investie chez nous, avec seulement 6% du budget de la santé consacré à cet item. Avec l’accord du gouvernement fédéral actuel, l’interprétation productiviste de la santé mentale, déjà présente dans la définition de l’OMS, est encore appuyée, avec la limitation des allocations de chômage, la remise au travail des malades de longue durée, la stigmatisation des personnes en exil ou celle des consommateur·trice·s de drogue, tout en désinvestissant dans les corps intermédiaires. »  Et de rappeler la nécessité de réaffirmer le rôle de la collectivité pour corriger les inégalités de fait et permettre l’accès aux droits sociaux pour tous.

Elise Mendes Da Costa, collaboratrice scientifique à l’Observatoire de la santé et du social, a pour sa part rappelé le taux de risque de pauvreté qui avoisine les 30% dans la population bruxelloise, une distribution des richesses très inégalitaire parmi les habitants de la Région de Bruxelles-Capitale (RBC) et des problèmes de santé mentale qui touchent les publics plus précarisés, comme les familles nombreuses, les familles monoparentales, les personnes sans travail, les personnes touchant le revenu d’intégration sociale (RI) ou les personnes de nationalité non européenne. Or le recours aux soins en santé mentale reste difficile pour ces populations et les services de santé mentale (SSM) réorientent un tiers des demandes qui leur sont adressées, ce qui entraîne un report de ces soins, en raison de problèmes financiers.

Du côté des CPAS

Eléonore Cotman, directrice de l’Action sociale au CPAS de Saint-Gilles, a rappelé le rôle de dernier filet social joué par son institution ainsi que les modalités d’accès. Elle a également exposé les nombreuses questions qui se posent à l’égard de la santé mentale des bénéficiaires, alors même que le nombre de bénéficiaires du RIS en RBC a augmenté de 123% en 15 ans et la surcharge de travail ainsi créée. D’où la nécessité d’une ouverture vers des partenariats et des collaborations extérieures qui passent notamment par une structure comme la Coordination de l’Action Sociale, mais aussi en recourant par exemple à des expert·e·s du vécu. « Le but ? Mieux outiller les travailleurs de terrain pour mieux comprendre les situations, être le plus adéquat possible et ne pas blesser. Offrir des solutions adaptées aux bénéficiaires et des supervisions aux travailleur·euse·s pour prendre du recul fait désormais partie de la culture de l’institution ». Cela étant, se pose la question de savoir si le CPAS est compétent pour traiter les problèmes de santé mentale, étant donné l’environnement peu propice pour la prise en compte de ces problèmes que sont les salles d’attente de CPAS, la difficulté de diagnostic (les travailleur·euse·s sociaux·ales ne sont pas médecins), et le tabou qui entoure des difficultés liées à la santé mentale.

Certains CPAS ont décidé d’inclure des psychologues dans leurs équipes. Comme le soulignent Giovanna Musumeci et Mégane Dutrannois, psychologues au CPAS d’Etterbeek, « Nous avons été engagées au sein du CPAS, notamment parce que le réseau de santé mentale n’était pas très développé dans la commune. De l’avis de nos collègues, la présence de psychologues en interne est considérée comme positive, facilitant l’accès aux soins psychologiques dans un cadre sécurisant et permettant une remobilisation des ressources des bénéficiaires. Ces derniers sont également preneurs et apprécient la multidisciplinarité entre l’encadrement social et administratif des assistant·e·s sociaux·ales et la prise en charge par les psychologues. La question de la confidentialité a été réglée : il n’y a pas de partage d’informations sans l’accord de la personne et la présence de psychologues joue également un rôle de prévention et de décharge émotionnelle pour les AS dans les cas plus problématiques. »

Quelles collaborations avec d’autres acteurs ?

Tous les CPAS n’ont pas fait ce choix d’inclure des psychologues dans leurs équipes, d’où la nécessité de collaboration avec d’autres structures extérieures. Ce peut être le cas avec un service tel que le WOPS, centre psychothérapeutique de nuit à Woluwé-Saint-Lambert, les équipes 107 de crise telle que celle organisée à l’hôpital Saint-Pierre/Brugmann ou les SSM comme celui de la commune de Saint-Gilles et ses prises en charges multiples à l’égard des enfants et des jeunes, des personnes en exil. S’adjoindre la collaboration de pair-aidants, ayant le même passé que les usager·e·s et ayant reçu une formation dans le cadre du projet PAT du Smes, permet de soutenir ces dernier.e.s et de changer les représentations au sein des équipes. Concernant les personnes plus éloignées des institutions, Médecins du Monde (MdM) propose un accueil bas seuil dit « ligne 0.5 » comme tremplin vers les CPAS, les SSM, les maisons médicales (MM) et les hôpitaux qui permet le raccrochage de ces publics aux structures de soins. Tous ces services sont venus présenter la valeur ajoutée qu’ils peuvent représenter dans la prise en charge des personnes aidées par les CPAS.

D’une manière générale, les freins pour accéder aux soins en santé mentale sont d’ordres individuels ou systémiques, comme le besoin d’un interprète, l’analphabétisme des personnes, la territorialité de certains services comme les CPAS ou les SSM, les démarches administratives demandées par certaines structures, mais aussi le manque de personnel médical (un·e psychiatre sur cinq manque dans les SSM). Le phénomène d’auto-exclusion joue également.

Des réflexions relatives à la prévention ou encore prônant la créativité pour gérer «  ce qui nous tombe dessus », par exemple en créant des espaces d’échanges pour sortir d’une approche industrielle et collectiviser les forces vives, ont également été évoquées lors de cette journée riche de réflexions et de mises en lumière d’initiatives pour veiller à la santé mentale des plus précarisé·e·s.

Nathalie Cobbaut

[1] https://www.who.int/fr/health-topics/mental-health#tab=tab_1

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