InitiativesPrécarité
03.09.2023
Numero: 15

La précarité menstruelle, derrière le tabou des règles

La précarité présente une multitude de facettes et BruZelle, une association née en 2016, est venue mettre en lumière la question de la précarité menstruelle, ainsi que celle du tabou entourant les règles. Pour beaucoup, les règles ne représentent qu’un inconvénient mineur. Cependant plus de 500 millions de filles et de femmes dans le monde sont en situation de précarité menstruelle. Coup de projecteur sur un problème de société et de santé encore trop peu connu.

Set Of Feminine Hygiene Period Goods Isolated On White. Sanitary

« La précarité menstruelle est la difficulté ou l’impossibilité d’accéder aux produits menstruels pour les personnes menstruées en situation de précarité. Par extension, la précarité menstruelle est l’obligation de faire un choix lors de l’achat de produits de première nécessité et de renoncer, en totalité ou en partie, à l’achat de produits menstruels par manque de moyens financiers. »1 Selon une enquête menée en Belgique, près d’une personne sur quinze déclare être en situation de précarité menstruelle et n’avoir toujours pas les moyens de s’acheter des protections menstruelles chaque mois2. Cette situation conduit également 25.000 Belges à manquer l’école régulièrement. Quel en est l’impact ? Les risques sont nombreux, comme avoir de moins bons résultats scolaires, s’isoler de ses amis, ne plus participer à des activités sociales, sportives, musicales, etc.

De nombreuses étudiantes sont particulièrement concernées par la précarité menstruelle. Certaines par exemple doivent utiliser les produits menstruels plus longtemps qu’il ne le faut parce qu’elles n’en ont pas assez. D’autres encore doivent, parfois, faire des choix qui ne sont pas évidents. « Je dois choisir en fait : soit je mange, soit je saigne. Je n’ai tellement pas les moyens d’acheter les produits menstruels que je dois prendre la pilule toute l’année. Comme j’ai moins de 26 ans, la pilule est gratuite. Contrairement aux produits menstruels qui ne sont pas gratuits. La seule façon que j’ai trouvée pour lutter contre la précarité menstruelle indépendamment des trousses ou des produits menstruels que je reçois gratuitement de BruZelle – est de prendre la pilule toute l’année pour ne jamais devoir acheter des produits menstruels. Ce n’est pas une solution, mais c’est tout ce que j’ai trouvé. »

Peut-on prendre la mesure de ce que représente la précarité menstruelle en termes de charge mentale ? Faute de moyens financiers suffisants, peut-on imaginer les stratégies que les personnes menstruées doivent mettre en place pour s’en procurer ou se débrouiller ? BruZelle est née à la suite d’une rencontre que Veronica Martinez, la directrice, a faite avec une femme sans toit dans un métro bruxellois. Cette dernière l’a interpellée pour lui demander une protection hygiénique. Veronica Martinez qui n’avait pas bien compris cette demande a invité cette personne à en parler autour d’un café. Le récit qu’elle a fait de ce qu’elle devait mettre en place pour se procurer des produits menstruels a bouleversé Veronica Martinez et enclenché une profonde réflexion qui a finalement abouti à la création de BruZelle.

Les missions de BruZelle

Depuis 2016, l’association lutte activement contre la précarité menstruelle et le tabou autour des règles sur tout le territoire belge. Notamment, autour de trois pôles d’activité. Primo, elle collecte et distribue des produits menstruels pour les personnes menstruées en situation de précarité. Les produits menstruels sont distribués dans des trousses en tissu confectionnées par des bénévoles. Secundo, elle sensibilise, informe et éduque tout public sur les thématiques en lien avec la santé et la précarité menstruelles pour libérer la parole et déconstruire le tabou autour des règles. Tertio, elle partage des conseils et son expertise dans les différents domaines qui touchent directement ou indirectement à la précarité menstruelle et aux règles en général.

La précarité menstruelle ne peut pas être réduite à l’absence de moyens (suffisants) pour s’acheter des produits menstruels. Le manque d’information et d’éducation par rapport aux menstruations en constitue un autre aspect. Le manque d’un espace propre, adapté et sécurisé pour se changer en toute sécurité renforce le sentiment de précarité menstruelle. Les personnes menstruées qui vivent en rue ou sans toit sont parfois obligées de se changer entre deux voitures stationnées…

Par rapport à sa mission d’information et d’éducation relative aux règles, entre autres projets, BruZelle a développé « Règles de 3 », un programme destiné aux jeunes à partir de 12 ans en milieu scolaire et parascolaire. L’objectif est de sensibiliser les jeunes à la santé et à la précarité menstruelles et de déconstruire ensemble le tabou autour des règles. Au-delà des écoles, le programme s’adresse également aux mouvements de jeunesse, aux accueils en milieu ouvert (AMO), aux centres et clubs sportifs, etc.

Les fruits de la lutte menée

En sept ans d’existence, même s’il reste encore beaucoup à faire, un énorme travail a déjà été abattu par l’asbl. Elle a notamment distribué un nombre incalculable de trousses à des associations qui travaillent avec des publics précarisés. Ou encore elle a collaboré avec des associations actives auprès des femmes détenues. Impossible de reprendre en quelques lignes tous les projets menés en son sein. On peut cependant ajouter que le travail mené autour du tabou des règles porte ses fruits. Des structures, qu’elles appartiennent aux secteurs privé ou associatif, font appel à BruZelle quand elles mènent, par exemple, des projets de rénovation de leurs sanitaires, avec cette question : « De quoi les personnes menstruées auraient-elles besoin dans ces espaces ? » Les CPAS ne sont pas en reste, certaines se demandent comment les assistants sociaux peuvent aborder cette question très intime avec les usagères qui en auraient besoin. Chez BruZelle, on se réjouit que la direction d’un CPAS bruxellois ait accepté de modifier sa grille tarifaire pour qu’elle soit désormais une grille tarifaire genrée (relative à l’aide octroyée). Ainsi l’aide apportée à un ménage qui compte plusieurs personnes menstruées ne peut pas être identique à celle d’une famille qui n’en compte qu’une seule.

« Quand on a la chance de disposer de moyens pour acheter les produits menstruels, c’est très bien. Qu’on les achète durables ou jetables, est une question intime : chacune fait ce qu’elle veut. Idéalement, je souhaiterais la gratuité pour les produits menstruels, car personne ne choisit d’avoir ses règles, qu’on soit ou pas dans la précarité, explique Veronica Martinez. Mais politiquement, ce message ne passe pas. Demander cependant l’équité menstruelle me paraît politiquement plus porteur. Là, il est possible d’agir, d’entreprendre quelque chose. »

L’équité menstruelle fait référence à un accès égal et complet aux produits menstruels, ainsi qu’à l’accès à l’éducation concernant la santé et les droits sexuels et reproductifs.3

Anoutcha Lualaba Lekede

EN SAVOIR PLUS

 


  1. Bruzelle.
  2. Enquête en ligne réalisée par l’agence de recherche iVOX pour le compte d’Always entre le 19 et le 28 novembre 2021 auprès de 1.000 femmes belges âgées entre 12 et 49 ans ayant déjà eu leurs règles.
  3. « Projet pilote du Fonds d’équité menstruelle », sur https://femmes-egalite-genres.canada.ca/fr/financement/fonds-equite-menstruelle.html.

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