AssuétudesPolitiques de santé
12.06.2024
Numero: 18

Une génération sans tabac en 2040 ? Encore du travail…

Generation sans tabac 2

Le 14 mars dernier, l’Alliance pour une Société sans tabac organisait un Forum des décideurs afin d’y présenter son mémorandum et les positions des partis politiques concernant la lutte contre le tabagisme. Des interventions de spécialistes, notamment sur la protection des jeunes à l’égard du tabac ou sur les programmes afin d’arrêter de fumer, ont aussi permis d’y voir plus clair sur les stratégies des uns et des autres.

Selon Sciensano, le nombre de fumeur·euse·s quotidiens a diminué de 40% entre 1997 et 2018. Pourtant, la consommation de tabac en Belgique cause toujours environ 15.000 décès par an et en 2018, les fumeur·euse·s quotidien.ne.s représentaient encore 15% de la population. C’est pourquoi l’Alliance pour une société sans tabac continue à œuvrer pour « une société où plus personne ne souffre ou ne décède des conséquences du tabagisme et du tabagisme passif. » Cette Alliance, créée en 2017 par la Fondation contre le cancer et Kom op tegen kanker, s’est associée avec une série d’associations, dont le Fares, l’Observatoire de la santé du Hainaut ou encore la Ligue cardiologique belge. Son travail a notamment aidé à l’adoption de la Stratégie interfédérale 2022 – 2028 pour une génération sans tabac.

Generation sans tabac 1

Lors de la matinée de réflexion, le ministre fédéral de la Santé publique, Frank Vandenbroucke, a rappelé les mesures prises dans le cadre de cette Stratégie, comme le fait pour un·e commerçant·e de demander sa carte d’identité à toute personne paraissant moins de 25 ans, afin de s’assurer qu’il respecte bien la limite d’âge pour l’achat de tabac (18 ans), l’interdiction d’étalage des produits du tabac à partir de 2025 et de vente dans le cadre des festivals, via des automates ou dans les supermarchés de plus de 400 m2, ainsi que celle de fumer dans les parcs d’attraction, les zoos, les plaines de jeux, les fermes pour enfants, ainsi qu’à proximité (moins de 10 m) des établissements sportifs, des hôpitaux, des établissements scolaires ou des bibliothèques.

Autre mesure dissuasive : l’augmentation du prix du tabac via les taxes et accises. Une veille concernant les cigarettes électroniques ainsi que l’interdiction des cigarettes électroniques jetables par la Belgique à partir de 2025, ainsi qu’un monitoring plus général de la consommation des produits du tabac, sont prévus. En matière de mesures de prévention individuelles, des nouvelles thérapies de substitution nicotinique seront prises en charge et un effort sera effectué pour assurer des soins psychosociaux, en ciblant davantage les personnes moins favorisées.

Des industriels plus qu’inventifs

Dans le cadre des interventions d’experts lors de cette matinée, on peut épingler celle de Karine Gallopel-Morvan, professeure à l’École des hautes études en santé publique de Rennes où elle enseigne le marketing social. Elle a pointé les effets délétères de ces pratiques marketing à l’égard des jeunes en matière de tabac qui se sont modifiées depuis les années ’90. « A l’époque ils étaient clairement visés comme étant les clients réguliers de demain et un marketing agressif leur était destiné via des affichages, des spots, des campagnes dans les médias, des événements sponsorisés. Aujourd’hui, avec les réglementations et les interdictions, les industriels s’adaptent, proposent des produits très travaillés pour modifier le goût des cigarettes, comme c’est le cas avec des capsules à clipper sur le filtre ou à insérer dans les paquets. Du placement de produit s’effectue toujours dans les films blockbusters à destination des jeunes. Sur les réseaux sociaux, des influenceur·euse·s sont rétribué·e·s pour faire la publicité de comportements tabagiques. De nouveaux produits comme le vapotage sont soit-disant proposés comme des solutions alternatives, mais en réalité, chez les jeunes, il s’agit d’incitants. On peut donc dire que l’industrie du tabac n’a pas changé, elle s’adapte. »

Autre intervenant : Artur Furtado, chef du département Prévention des maladies et Promotion de la santé de la Commission européenne, a lui-aussi mis en avant « la volonté pour les industriels du tabac de contourner les législations mises en place, notamment avec la cigarette électronique dont la prévalence a cru très rapidement, notamment chez les jeunes. Il est donc important de se tenir au courant et de lutter contre ces produits. » Il a rappelé le rôle crucial de l’UE qui a pris le leadership lors de la dixième session de la Convention de Panama, laquelle a rappelé l’existence d’un conflit fondamental et irréconciliable entre l’industrie du tabac et les objectifs de santé publique.

Elaine Buckley, coordinatrice du programme National  Stop Smoking Services en Irlande, a mis l’accent sur le plan ambitieux qui a été développé pour aider les citoyen·ne·s irlandais, et parmi eux, les plus défavorisé·e·s, « avec des programmes d’accompagnement de la population, une harmonisation des approches en matière de santé avec des recommandations cliniques, du soutien en ligne ou en présentiel, via des groupes modérés par des spécialistes, la gratuité des produits de substitution jusqu’à 200 livres et la mise sur pied d’un système national de collectes de données pour appréhender ce qui se passe sur le terrain. »

« De nouveaux produits comme le vapotage sont soit-disant proposés comme des solutions alternatives, mais en réalité, chez les jeunes, il s’agit d’incitants. On peut donc dire que l’industrie du tabac n’a pas changé, elle s’adapte. »

Karine Gallopel-Morvan, professeure

Des réactions des politiques

Lors de son intervention, le ministre Vandenbrouke a également évoqué des mesures comme celle adoptée en Nouvelle-Zélande, mais annulée depuis, consistant à introduire une interdiction de fumer pour les personnes nées après 2008, avec le bémol de créer une disparité au sein de la population entre ceux interdits de fumer et ceux ayant encore la permission… Cette proposition a été soumise, comme d’autres, à une série de représentant·e·s politiques présent·e·s lors de cette matinée : pour Georges-Louis Bouchez, président du MR, « Interdire ne me parait pas probant : il faut donner la bonne information et donner le choix aux gens, mais leur laisser la liberté, sans quoi cela risque de capoter, comme ça a été le cas en Nouvelle-Zélande. C’est aussi le cas pour l’augmentation des prix des produits du tabac : si l’on peut traverser la frontière et trouver des produits moins chers dans le pays voisin, ça n’a aucun sens. » Tout autre point de vue, celui de Catherine Fonck (Les Engagés) : « Si les cigarettiers déposaient un dossier pour commercialiser leur produit aujourd’hui, ce serait non. Donc, étant donné la vulnérabilité des jeunes et l’impact sur leur santé, il serait bon d’oser franchir ce cap. » Selon le CD&V, « il faut surtout faire appliquer et contrôler le respect des réglementations adoptées, sans quoi cela ne sert à rien. » Pour Laurent Heyvaert d’Écolo, « il faut consacrer plus de budget à la prévention et à la promotion de la santé et mettre en place des stratégies pour aller chercher les personnes éloignées de leur propre santé. Pour ce faire, il faut reterritorialiser les soins dans les communes, les quartiers. » Enfin, Laurence Zanchetta estime qu’il faut porter un message fort : « On dit que si tu fumes, tu vas mourir, mais avant cela, étant donné les 70 substances cancérigènes différentes de la cigarette, on peut aussi dire que pendant les quinze dernières années de ta vie, tu vas pourrir. Il faut des formules choc. »

Une série d’autres mesures ont été soumises aux formations politiques en amont de cette matinée : un tableau reprend les réponses des différents partis.

tableau positions politiques Generation sans tabac 2

 Lors de cette matinée, l’Alliance pour une société sans tabac a également rappelé son mémorandum comprenant huit recommandations prioritaires, dont le fait d’investir durablement dans le sevrage tabagique, en particulier envers les populations vulnérables. Mais quoi qu’il en soit, comme l’a énoncé Sciensano, si l’on veut atteindre l’objectif de 0% de nouveau fumeur d’ici 2040, de sérieux efforts devront être effectués. D’où la piqure de rappel pour les prochains gouvernements…

N. Cobbaut

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