DossierPolitiques de santé
18.03.2024
Numero: 17

PSSI, à tous les étages

En octobre 2022, Alain Maron, ministre bruxellois de l’Action sociale et de la Santé, présentait le Plan Social-Santé Intégré (PSSI) aux acteurs de terrain. En décembre et janvier derniers, les Parlements bruxellois ont voté le décret et l’ordonnance conjoints de la COCOF et de la COCOM y afférents. Autre texte attendu : celui relatif aux services ambulatoires, également adopté en janvier dernier, dont le but est de resserrer le maillage de ces services, au plus près des besoins des Bruxellois·e·s. Des votes qui entérinent une nouvelle organisation du Social-Santé à Bruxelles, basée sur une approche territoriale.

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Cela fait de nombreuses années que des constats problématiques relatifs à l’offre d’aide et de soins à Bruxelles sont effectués. Comme Jacques Moriau et Marion Bottero le soulignent d’entrée de jeu dans le numéro 40 de Pauvérité (le trimestriel du Forum – Bruxelles contre les inégalités) sur la territorialisation et l’intégration des politiques Social-Santé[1], « La situation est connue : trop de Bruxellois·e·s éprouvent des difficultés à accéder à l’aide sociale et aux soins de santé – que cela s’exprime dans des phénomènes de non-recours ou des problèmes structurels de mise à disposition de l’offre – ou à profiter de ceux-ci tout au long de leur vie et des aléas qui la parsèment. Le système d’aide et de soins se révèle fréquemment incapable d’assurer une continuité de suivi au gré des âges de la vie. A cela s’ajoute une tendance à la complexification des situations vécues par une part croissante de la population qui est amenée à affronter en même temps problèmes administratifs, d’emploi, de logement, de relations familiales, de santé physique et mentale…

Ces constats s’enracinent dans un contexte économique particulier. (…) Cette réalité s’inscrit physiquement dans le tissu urbain à travers de grandes disparités entre quartiers en termes de richesses, d’accès aux ressources – espaces verts, loisirs –, de santé, de conditions de vie – logement, exposition aux risques –, etc. Ces inégalités se renforcent en outre du fait d’une inégale répartition de l’offre social-santé sur l’ensemble du territoire. »

L’accent sur l’organisation territoriale

Déjà en 2014, dans le livre vert sur l’accès aux soins[2] auquel ont participé une trentaine d’acteurs de la santé et du social, toute une série de situations étaient pointées comme générant de nombreuses disparités et déficits en termes de prévention ou de couverture de soins parmi les publics les plus fragilisés. La question de la réorganisation de l’offre de services d’aide et de soins a donc été soulevée et envisagée comme un levier majeur pour permettre une intégration plus poussée de cette offre.

Dans les projets de décret et d’ordonnance déposés par les collèges de la COCOF et de la COCOM en 2022, c’est la dimension territoriale qui a été mise en avant, afin de décloisonner les secteurs et permettre une meilleure offre de services et une meilleure coordination des acteurs autour de l’usager. Cette réflexion basée sur la territorialité de l’offre se retrouve également à d’autres niveaux de pouvoir, avec le décret Proxisanté en Wallonie, le Plan interfédéral sur les soins intégrés ou encore les « eerstelijnzones » (ou zones de première ligne) en Flandre.

Pour ce qui est du PSSI, l’échelle à laquelle les dispositifs sont d’ores et déjà développés se situe à plusieurs niveaux : outre la Région et la commune, qui sont deux échelons institutionnels traditionnels pour la mise en œuvre des politiques, deux nouveaux paliers ont vu le jour : les bassins d’aide et de soins, au nombre de cinq, qui constituent des territoires de 200.000 à 300.000 personnes et qui rassemblent plusieurs communes ou parties de communes, et les quartiers, au nombre de 56, qui se rapportent à une dimension infra-communale et concernent environ 25.000 habitants. Les Centres Social-Santé Intégrés (CSSI) viennent compléter ce puzzle à une échelle locale, en proposant une offre de services intégrée (voir le second article de ce dossier).

Du travail dans les bassins

Alors même que les textes ont été votés définitivement en ce début d’année et publiés au Moniteur belge, le travail sur les modalités organisationnelles nouvelles a débuté en amont, notamment à travers les ateliers du changement (ADC). Ceux-ci ont été conçus comme un espace de rencontre et de réflexions entre professionnels du Social-Santé, bénéficiaires, patients et aidants, autour de la notion de bassin et de ses missions.

Dès 2022, plusieurs événements ont été proposés au cœur des cinq bassins (des rencontres portes ouvertes, des focus groups, une enquête) ayant mené à l’élaboration d’un rapport opérationnel reprenant des actions concrètes, les moyens nécessaires pour les réaliser et la planification de leur mise en œuvre. Connaissance, réseau, coordination et prévention et promotion de la santé sont les maîtres-mots à la base des actions que les bassins vont être amenés à jouer. Comme le précisait un message vidéofilmé à l’attention des professionnels bruxellois du Social-Santé, les invitant à participer à l’enquête organisée il y a quelques mois, « le bassin est un niveau intermédiaire qui doit être entièrement créé et qui doit trouver du sens pour ne pas être une couche supplémentaire qui serait superflue. »

Cette interrogation sur le sens de cette nouvelle organisation territoriale, on l’a sentie présente lors de l’atelier du changement organisé le 1er février dernier et portant sur l’organisation du Bassin sud, soit les communes de Forest, Ixelles, Saint-Gilles, Uccle, Watermael-Boisfort et une partie de Bruxelles-Ville. Lors de cette matinée de rencontre où une centaine de participants étaient présents, ce qui contraste avec les réunions plus confidentielles des ADC précédents, l’équipe de coordination du bassin sud s’est présentée, ainsi que les membres du Groupe d’appui au bassin ayant des actions et des missions à cette échelle territoriale. Déjà en 2023, une liste des initiatives actives dans le Bassin sud avec neuf actions prioritaires avait été dressée. Cette fois, c’est une feuille de route pour les bassins qui a été présentée par Gaëtanne Thirion, de Brusano, l’institution qui gère la coordination de ces entités. « Parmi les objectifs repris dans la feuille de route, il s’agit de faire un état des lieux du bassin et de ses caractéristiques géographiques, de la population concernée, des besoins et de l’offre existante en social-santé. Autre outil désormais activé : un help desk spécifique par bassin afin d’aider les travailleurs de terrain dans la prise en charge de situations complexes, multifactorielles et intersectorielles. Figure également sur cette feuille de route une semaine portes ouvertes visant la rencontre des services et institutions de chaque bassin pour apprendre à mieux se connaître et collaborer. Enfin quatre groupes de travail (GT) devraient être créés dans chaque bassin autour des thématiques suivantes : la santé mentale, la crise sanitaire, la prévention et la promotion de la santé, et la liaison hôpital/secteur ambulatoire. Concernant les conseils d’aide et de soins qui seront les organes de gouvernance des bassins, ceux-ci devraient être mis en place pour 2025. »

Des réunions similaires pour les autres bassins (Nord, Nord-Est, Sud-Est et Centre-Ouest) ont eu lieu en février et les prochains ADC se profilent au mois de juin.

Pour plus d’infos : https://verander-atelier-changement.brussels/

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A l’échelle du quartier

L’approche territorialisée s’appuie sur plusieurs niveaux d’intégration et de concertation. L’échelle des quartiers, avec un découpage du territoire bruxellois en 56 quartiers de plus ou moins 25.000 habitants, constitue le niveau infra-communal qui va permettre de mieux prendre en compte les réalités locales.

A ce niveau, ce sont les coordinations sociales des CPAS, sous l’égide du conseil de l’aide sociale, qui sont (ou seront) amenées à envisager les actions à entreprendre au niveau des quartiers. Pour mieux appréhender les besoins de ces territoires, un diagnostic communautaire doit être réalisé, ainsi qu’un plan d’action qui vise à développer des stratégies concertées et des objectifs partagés. Il s’agit de créer une nouvelle méthodologie de travail intersectoriel autour de la promotion de la santé, de contribuer à la programmation d’une nouvelle offre Social-Santé en fonction des besoins, d’améliorer l’accès aux soins et aux services et de mieux articuler politiques régionales et locales en matière de santé, de bien-être et de lutte contre la pauvreté. Une fonction de référent de quartier et des subsides sont prévus pour réaliser ce travail de diagnostic et de maillage entre les services. Des budgets sont également octroyés aux coordinations sociales pour mener à bien les objectifs à l’échelle des quartiers.

La programmation des actions se réalise à travers des Contrats Locaux Social-Santé (CLSS) sur une durée de cinq ans. Une première vague de neuf projets-pilotes a été lancée dès 2021 et une seconde vague a suivi, portant ainsi le nombre à 18 CLSS qui ont déjà produit des effets à l’échelle locale, alors même que les décret et ordonnance relatifs au PSSI n’avaient pas encore été votés.

Parmi les quartiers activés et les CLSS déjà sur les rails, on peut par exemple citer ceux des quartiers Marolles et Anneessens (Bruxelles-ville) qui ont mené au lancement d’appels et à la sélection de projets, sur deux axes prioritaires : favoriser l’accès aux services sociaux et sanitaires existants et renforcer la prévention de la perte de logement et des expulsions. Nouvel axe dans l’appel à projets 2023 : diminuer les pertes de logement dans les quartiers. Le CLSS du bas de Forest qui concerne les quartiers Charroi, Primeurs, Saint Antoine, Pont de Luttre et Montenegro, a pour sa part développé une équipe mobile ASSAP (Action Sociale Santé à Proximité), constituée de cinq travailleurs qui interviennent là où se trouvent les usagers fragilisés du quartier, en effectuant des permanences dans différents lieux de vie. Ils accompagnent ces usagers vers un service d’aide et/ou de soins, mais répondent aussi à des questions d’ordre général, à celles relatives à des expulsions de logement ou encore liées à des dettes. A Molenbeek, ce sont les quartiers « Molenbeek historique » et « Gare de l’Ouest » qui ont été visés au travers de CLSS ciblés et d’appels à projets.

Des interrogations persistantes

Si cette programmation territoriale est souhaitée et souhaitable en ce qu’elle met l’accent sur une organisation permettant une meilleure intégration de l’aide et des soins et ce, afin de mieux atteindre tous les publics, en ce compris les plus éloignés de ces prestations, elle soulève néanmoins une série de questions, tout d’abord quant à la faisabilité et au coût d’une telle organisation.

Lors de la réunion du bassin Sud, les acteurs de terrain présents s’interrogeaient notamment sur le caractère énergivore et la multiplication des lieux de concertation, aux différents échelons du PSSI. Alors même que les moyens financiers et humains, ainsi que le temps semblent faire défaut dans bien des organisations, les budgets consacrés à l’organisation des bassins et des quartiers, le personnel y afférent et les projets qui en découlent laissent certains acteurs songeurs, avec la crainte de voir apparaître de nouvelles couches dans la lasagne institutionnelle bruxelloise. D’autres éléments comme le fait de voir s’entrechoquer des logiques plus municipalistes avec des visions issues d’une politique régionale soulèvent aussi des points d’attention. Par ailleurs, le PSSI permettra-t-il de jouer ce rôle de levier de réduction des inégalités sociales ou se pourrait-il qu’il puisse renforcer celles-ci, là où la concertation et l’intégration seraient moins efficaces ? On peut se le demander, tout comme le fait que les nouveaux échelons mis en lumière ne seront pas forcément en mesure de résoudre des problèmes qui les dépassent largement, comme c’est le cas de l’épineux dossier du logement à Bruxelles. La question de la participation des publics et des bénéficiaires se pose aussi clairement et semble pour l’heure relativement absente des processus.

Quant aux organismes actifs dans le secteur de la promotion de la santé (PS), ils s’interrogent sur la place donnée à cette dernière dans les dispositifs Social-Santé qui émergeront de cette organisation territoriale. Même si la PS a été épinglée parmi les principes structurants de ce PSSI, le risque de saupoudrage de cette préoccupation sur l’ensemble des politiques sans réelle appropriation de ses enjeux spécifiques est réel, ce qui fait dire à la Fédération bruxelloise de la promotion de la santé dans son Plaidoyer qu’il faut renforcer la place du secteur dans le paysage social-santé bruxellois et cette approche au sein de la première ligne, afin de mieux articuler PS, prévention et soin.

Alors même que les textes du PSSI ont été votés définitivement en ce début d’année et publiés au Moniteur belge, le travail sur les modalités organisationnelles nouvelles a débuté en amont, notamment à travers les ateliers du changement (ADC).

Nathalie Cobbaut


  1. Marion Bottero, Jacques Moriau, Territorialisation et intégration des politiques social-santé : quelle place pour la question sociale ?, Pauvérité, n°40, 2023.
  2. Pour télécharger les livres blanc et vert sur l’accès aux soins : www.inami.fgov.be

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