DossierPolitiques de santé
15.05.2023
Numero: 14

Quelle place et quelle visibilité pour les démarches communautaires en santé ?

Durant la crise sanitaire du Covid-19, les démarches en santé communautaire ont été peu mises en avant, alors qu’elles auraient sans doute permis une adhésion plus grande aux dispositifs mis en place. Au lieu de cela, l’impact sur les populations fragilisées a été plus important et a renforcé les inégalités de santé. D’où la nécessité de réaffirmer l’importance de cette implication des populations dans la prise en charge de leur santé globale. Un des objectifs du nouveau Plan de promotion de la santé.

One Single Line Drawing Of Young Startup Founders Brainstorming

La question de l’importance des démarches communautaires en santé a resurgi à l’occasion de la crise sanitaire du Covid-19 et de sa gestion. Cette situation a gravement impacté la santé globale de la population, et plus encore celle des populations défavorisées et marginalisées. Parallèlement, elle a aussi renforcé les inégalités sociales de santé. Les mesures prises ont montré leurs limites, révélant ainsi une connaissance et une prise en compte insuffisantes par les pouvoirs publics des besoins et des spécificités de ces populations. L’impact de ces mesures aurait probablement été moins important si l’expertise du secteur de la promotion de la santé avait été sollicitée plus tôt, particulièrement celle du travail de terrain avec les publics les plus vulnérables. C’est en cela que les démarches communautaires en santé, une stratégie parmi d’autres de promotion de la santé définie par l’OMS pour réduire les inégalités sociales en santé, sont des outils pertinents pour améliorer et maintenir la santé des populations.

Pour rappel, les démarches communautaires en santé (DCS) s’inscrivent dans le cadre de la promotion de la santé qui considère l’état de santé des communautés comme résultant principalement des déterminants sociaux de la santé, tels que le revenu, les conditions de travail, les conditions de logement, les milieux de vie, la qualité des interactions sociales ou encore les facteurs environnementaux. L’inégalité en termes de revenu, de conditions de vie, etc., conditionne donc une inégalité face à la santé, et notamment face au Covid et sa gestion.

Pour répondre à ces enjeux de santé, les DCS agissent sur les milieux de vie, en associant les publics concernés dans la mise en place et la mise en œuvre de projets tentant de lutter contre cette inégalité : les projets partent de constats établis avec les personnes concernées pour établir des réponses collectives à des problématiques collectives. Ce sont autant de liens tissés qui donnent l’occasion d’aborder des préoccupations sociétales, telles que l’a aussi été la pandémie liée au Covid.

Une méthodologie spécifique

La méthodologie communautaire repose sur les aspects suivants :

  • les projets sont établis, réalisés, évalués avec et par les personnes concernées, sur base des besoins spécifiques d’un groupe de personnes partageant des caractéristiques communes. Ces caractéristiques peuvent être un mode de vie, une réalité partagée (par exemple une maladie commune comme le diabète ou le VIH), une discrimination commune ou encore un intérêt commun (voir l’autre article de ce dossier « Travailler ensemble à être des acteurs de santé ») ;
  • les projets renforcent le pouvoir d’agir des individus et des communautés afin de développer leur propre expertise sur les enjeux de santé (pour exemple, voir l’article « Une brochure qui sent bon le pain », sur https://questionsante.org/articles-bxl-sante/une-brochure-qui-sent-bon-le-pain/) ;
  •  l’intersectorialité et l’interdisciplinarité répondent à la complexité des problématiques de santé et agissent sur les milieux de vie et les déterminants sociaux de santé (voir l’article « Travailler ensemble à être des acteurs de santé ») ;
  • la participation des citoyens est un moyen d’action avec les communautés, mais aussi une fin en soi pour agir sur les déterminants de la santé grâce à l’action sur les compétences psycho-sociales. Elle est également un moyen de partage du pouvoir dans le processus politique (voir les projets de démarches communautaires en santé menés par les associations Les Pissenlits, Forest Quartier Santé, Dune, le Réseau Santé Diabète Bruxelles, etc.).

 

Comment faire connaître les démarches communautaires en santé ?

Au niveau de la Fédération bruxelloise de promotion de la santé (FBPS), une concertation rassemblant les institutions membres de cette fédération, s’est réunie afin de générer une parole concertée sur les spécificités des démarches communautaires dans le champ de la promotion de la santé. La principale ambition de cette note était de clarifier les spécificités et apports des démarches communautaires dans le champ de la promotion de la santé et de diffuser ces approches au sein des autres politiques de santé, plus particulièrement dans le cadre de la crise sanitaire liée à la pandémie du Covid. La concertation a été menée pendant deux ans, entre 2021 et 2023.

La concertation a passé en revue ce qui se faisait au niveau des DCS en Région bruxelloise et a produit une synthèse des résultats publiée sur son site1. Outre les éléments de la méthodologie communautaire rappelés ci-dessus, la concertation a aussi émis un certain nombre de recommandations afin, d’une part, de plaidoyer pour le renforcement des démarches communautaires en santé en général et particulièrement celles du secteur de la promotion de la santé lors de la gestion de la crise sanitaire, et, d’autre part, d’anticiper des crises à venir.

Il y a huit recommandations2, parmi lesquelles on retrouve par exemple :

  • Les démarches communautaires en santé doivent être inscrites explicitement dans le Plan promotion de la santé et constituer une stratégie possible d’intervention en promotion de la santé.
  • Les institutions développant des démarches communautaires en santé doivent bénéficier d’un soutien financier plus large et structurel.
  • Les acteurs recommandent une prise en compte de la pluralité des approches des DCS dans le Plan de promotion de la santé. Pour une réelle prise en compte de cette pluralité, cela veut dire une plus forte implication des acteurs dans la construction du futur Plan de promotion de la santé.
  • Les acteurs recommandent également le financement d’un service support « démarches communautaires en santé » dans le futur Plan de promotion de la santé afin de diffuser l’expertise du secteur de la promotion de la santé sur la méthodologie communautaire aux acteurs de terrain des secteurs social-santé.

Des politiques soutenantes

La demande du secteur concernant un développement des DCS a en tout cas été entendue par les politiques, comme le démontre le nouveau Plan de Promotion de la santé 2023-2027 et l’appel à candidatures d’un nouveau service support en démarches communautaires en santé. Dans un entretien accordé à Bxl santé en automne dernier, Barbara Trachte, ministre en charge de la promotion de la santé, justifiait la création d’un service support en démarches communautaires en santé « qui pourrait ainsi s’adresser à l’ensemble des services social-santé et apporter cette méthodologie de la santé communautaire auprès d’acteurs du social ou de services de première ligne. Cela permettrait de faire percoler cette méthodologie au-delà de la promotion de la santé, comme ça a été le cas pendant la crise Covid…3 ».

Dans le Plan bruxellois de promotion de la santé 2023, repris dans le Plan Social Santé intégré plus large, les DCS sont reprises comme un des principes structurant le PPSI4. Leur pertinence pour intervenir au niveau local auprès de certains publics est ainsi reconnue et énoncée comme telle : « Certains espaces, comme des quartiers, ou des types de milieux de vie, comme l’école, accueillent davantage que d’autres, des populations qui cumulent les vulnérabilités ou s’avèrent être des terrains d’interventions efficaces. Les indicateurs épidémiologiques et socio-économiques des personnes par quartier et par espace et milieux de vie permettent d’identifier des actions globales et démarches communautaires à cibler. Par ailleurs, au niveau des quartiers, dans certains milieux de vie ou autour de certaines communautés, on retrouve un tissu associatif riche avec lequel il est possible d’élaborer un travail intersectoriel concerné.5 »

À la suite de l’appel à candidatures, ce sont finalement quarante-sept projets de terrain en promotion de la santé qui ont été soutenus pour un montant total d’environ six millions d’euros. Malheureusement, les projets rentrés pour les services supports démarches communautaires en santé et genre ne figurent pas parmi les heureux élus. Les structures intéressées auront la possibilité de rentrer de nouveau un dossier à l’occasion du lancement d’un deuxième appel à projets…

Du côté de la FBPS, on travaille sur une brochure d’une quarantaine de pages sur les démarches communautaires en santé qui devrait paraître prochainement. Il y sera question de concepts, de repères méthodologiques et de ce qui a été mis en œuvre entre 2021 et 2023.

Par rapport à la reconnaissance de la pertinence de la méthodologie communautaire, des signaux, tels que l’intérêt pour l’approche par d’autres acteurs des secteurs social-santé, ainsi que ceux donnés par les politiques, sont plutôt encourageants. Le secteur attend néanmoins la mise en place d’un service support en démarches communautaires en santé devenu incontournable. Il reste une interrogation par rapport aux moyens et ressources qui lui seront attribués. Seront-ils réellement à la hauteur des ambitions, à savoir améliorer la santé et le bien-être des Bruxellois, particulièrement ceux des populations défavorisées et marginalisées ? A voir comment cela évoluera dans les prochaines semaines.

Anoutcha Lualaba Lekede


  1. https://www.fbpsante.brussels/synthese-des-resultats-de-la-concertation-demarches-communautaires-en-sante/.
  2. Ibidem.
  3. Cobbaut N., « La promotion de la santé, à l’aube d’un nouveau mandat de cinq ans » (12.10.2022), sur https://questionsante.org/articles-bxl-sante/la-promotion-de-la-sante-a-laube-dun-nouveau-mandat-de-cinq-ans/.
  4. Lire aussi : Cobbaut N., « PSSI : Bruxelles veut prendre soin de ses habitants » (12.10.2022), sur https://questionsante.org/articles-bxl-sante/pssi-bruxelles-veut-prendre-soin-de-ses-habitants/.
  5. Plan bruxellois de promotion de la santé 2023, Service public francophone bruxellois.

Sur la même thématique

Numero: 17
20240313 Bruxelles Santé 17 Dossierart1
Dossier Politiques de santé

PSSI, à tous les étages

En octobre 2022, Alain Maron, ministre bruxellois de l’Action sociale et de la Santé, présentait le Plan Social-Santé Intégré (PSSI) […]

Numero: 5
Emag Echos politiques
Échos des politiques Politiques de santé Travail

Les indépendants ont le moral en berne

Les élus au Parlement de la Commission communautaire française (COCOF) s’expriment au sujet d’actualités relatives à la santé et au […]