PolitiquesTechnologies
09.09.2024
Numero: 19

En route vers plus d’inclusion numérique ?

Faut-il rappeler que même si la transition numérique est considérée comme LE moteur de modernisation ainsi que du progrès économique, social et culturel pour nos sociétés, elle a aussi ses limites ? Des limites que l’on a peut-être mieux perçues lors de la crise sanitaire liée au Covid-19, période où la numérisation s’est accélérée et où une grande partie de la société a découvert le nombre important de citoyens en difficulté face à cette utilisation accrue des technologies numériques. Cette année, la Fondation Roi Baudouin a sorti la troisième édition du Baromètre de l’inclusion numérique, un outil précieux qui suit l’évolution des inégalités numériques en Belgique.

En route vers plus d’inclusion numérique ?

A travers le baromètre, la Fondation Roi Baudouin souhaite contribuer à une société numériquement inclusive, en travaillant de manière complémentaire aux efforts de nombreuses organisations de terrain, des gouvernements et des partenaires privés. Que révèle cette nouvelle édition ?

La prise de conscience et les efforts des acteurs sociaux, privés et publics, pour renforcer les compétences numériques et faciliter l’accès au monde numérique ont conduit à de légères améliorations des différents indicateurs d’inclusion numérique. Comme l’accès à Internet et aux technologies numériques, les compétences et l’utilisation des services en ligne essentiels qui progressent. Cependant, malgré une baisse de la vulnérabilité numérique au sein de la population générale, le pourcentage des personnes touchées reste important, en particulier chez les personnes en situation de vulnérabilité.

Comparativement aux personnes à faible revenu et à faible niveau d’éducation, celles qui sont plus favorisées sur le plan socioéconomique profitent davantage de la numérisation : elles disposent de meilleurs équipements, d’un meilleur accès internet et aux services numériques et possèdent plus de compétences numériques. Dans un monde de plus en plus digitalisé, il leur est donc plus facile de participer pleinement à la société et d’exercer leurs droits. Parmi les difficultés que les plus vulnérables rencontrent, on retrouve celles liées aux technologies et aux usages, celles attachées à la lecture et à l’écriture, la volonté de privilégier l’environnement hors ligne.

Trois points d’attention

Dans le premier chapitre du dernier baromètre, il est ainsi indiqué qu’au fil de la généralisation du taux d’équipement et de connexion, les inégalités d’accès aux technologies numériques se sont transformées et déplacées vers des formes moins visibles. Le niveau de revenu, l’isolement et l’âge restent par exemple des facteurs discriminants prégnants malgré la progression généralisée de la connexion à Internet. Les personnes vivant seules, d’autant plus lorsque celles-ci sont plus âgées ou en situation de précarité, sont des publics plus exposés que d’autres aux conséquences négatives de la non-connexion à Internet sur le plan de la participation sociale, notamment de l’accès aux services essentiels.

Dans le deuxième chapitre consacré à une vulnérabilité numérique persistante face à un environnement numérique exigeant, on peut ainsi voir qu’en 2023, 4 personnes sur 10 de 16 à 74 ans en Belgique (40%) demeurent en situation de vulnérabilité numérique, soit parce qu’elles n’utilisent pas Internet (5%), soit par ce qu’elles possèdent de faibles compétences numériques générales (35%). C’est à Bruxelles que les inégalités face à la vulnérabilité numérique sont les plus élevées : 7 personnes sur 10 (70%) ayant un niveau de diplôme peu élevé sont vulnérables face à l’environnement en ligne, contre 16% seulement de leurs homologues diplômés de l’enseignement supérieur. Le taux de vulnérabilité numérique selon l’âge indiquait, qu’en 2023, près d’un tiers de jeunes de 16 à 24 ans (32%), toutes catégories sociales confondues, demeure en situation de vulnérabilité numérique. L’évolution depuis 2021 est quasi nulle puisque cette proportion n’a baissé que de 1 point de % en 2 ans (33% en 2021).

Dans le troisième et dernier chapitre qui traite de l’usage des services essentiels numériques, les chercheurs se sont intéressés aux publics et ont aussi voulu savoir si les personnes les utilisaient seules ou avec l’aide d’un tiers. Il apparaît ainsi que les taux d’utilisation des services essentiels numérisés sont toujours plus élevés parmi les internautes multiconnectés, comparativement à ceux de la population des internautes en moyenne. En revanche, ces taux bien plus bas parmi les internautes se connectant à Internet par le seul biais du smartphone révèlent, en creux, l’importance du non-recours à ces services pour ce public.

Le baromètre révèle ainsi que près de la moitié (46%) des usagers « monoconnectés » n’utilise pas les services en ligne.  C’est près du triple que parmi leurs homologues multiconnectés (16%). De même la part des non-utilisateurs de l’e-banque est quatre fois plus élevée parmi les usagers n’ayant que leur smartphone comme moyen de connexion (40%) que parmi les usagers multiconnectés (10%).  Les auteurs du baromètre indiquent aussi que près de 6 usagers sur 10 (56%) n’ayant que leur smartphone comme moyen de connexion n’utilisent pas l’e-santé ; ils sont deux fois plus nombreux à être dans ce cas que leurs homologues multiconnectés. Il importe également de souligner combien la position minoritaire qu’occupent désormais ces usagers « monoconnectés » ne doit pas faire oublier leur grande vulnérabilité face à la norme actuelle de la multiconnexion.

Anoutcha Lualaba Lekede,
avec Le Baromètre de l’inclusion numérique, Fondation Roi Baudouin, édition 2024.

Inclusion numérique à Bruxelles, où en est-on ?

L’ordonnance Bruxelles numérique a été définitivement approuvée par le Parlement bruxellois en début janvier dernier. Elle vise à encadrer le développement des services publics bruxellois en ligne. L’objectif est de permettre aux Bruxellois qui le souhaitent d’effectuer leurs démarches en ligne et garantir l’accès des services publics à tous. La mobilisation citoyenne a mis en lumière l’importance du contact humain entre les services d’intérêt général et leurs usagers. Toute la question est de savoir si la législation adoptée par le Parlement garantit, comme le souhaitait la mobilisation citoyenne, les guichets physiques.

L’ordonnance consacre le principe de « l’humain » d’abord, via les guichets physiques et des services téléphoniques dans les administrations locales et régionales. Cependant, le texte pose quand même des problèmes. Les associations qui ont mené campagne contre l’ordonnance notent que les autorités devront maintenir un accueil physique (humain), un service téléphonique (humain) et un service postal. Le texte, plutôt que de garantir clairement et explicitement les guichets, s’en remet à des interprétations. Et celles-ci posent trois difficultés. Les deux premières « démontrent que c’est une version bien pâle, au rabais, du principe de “l’humain par défaut” qui est offerte aux citoyens. Le troisième est encore plus sérieux, puisqu’il est susceptible de remettre en cause les guichets physiques »[1]. Les associations qui suivent le texte depuis ses débuts demandent que des modifications soient apportées sous peine d’introduire un recours contre le texte devant la Cour constitutionnelle. Si le monde associatif n’est pas écouté, il sera difficile de dire autre chose que les avancées ne sont pas à la hauteur de ce qui aurait pu être fait pour aller vers une société numérique plus inclusive. Les personnes les plus vulnérables et les plus éloignées de ces innovations technologiques resteront hors du chemin de la modernisation.


[1] « L’ordonnance Bxl numérique est votée. Garantit-elle les guichets ? » (16.01.2024), sur L’ordonnance Bruxelles numérique est votée. Garantit-elle les guichets (…) – Lire et Écrire (lire-et-ecrire.be)

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