InitiativesJeunes
15.05.2023
Numero: 14

Santé mentale et décrochage scolaire : des ados en perdition ?

L’an dernier, le CAL (Centre d’Action Laïque), en partenariat avec la Fapeo (Fédération des associations de parents de l’école officielle), produisait un documentaire sur la souffrance d’une jeunesse toujours marquée par deux ans de confinement. Présenté lors d’un Jeudi de l’hémicycle du Parlement francophone bruxellois, en février 2023, depuis, le film continue ses pérégrinations pour faire prendre conscience de la détresse des jeunes.

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« Désolée d’être pleurnicheuse, d’être lamentable, d’être pathétique, d’être grosse, d’être faible, d’être nulle, d’être ridicule… Désolée d’être moi. Pourquoi ? Parce que je ne me trouve pas assez bien. » Tout au long des 52 minutes du documentaire « Tout va s’arranger … ou pas », la parole est donnée à des jeunes en décrochage scolaire et qui ont souffert durant la pandémie. Pierre Schonbrodt, vidéaste pour le CAL, a recueilli leurs témoignages, aidé par Véronique de Thier, responsable politique de la Fapeo.

Ils ont tous été abîmés par les confinements successifs, au point de ne plus suivre à l’école, de décrocher, d’entrer en dépression, d’avoir des idées noires… Céline, patiente à l’Unité pour adolescents du Centre hospitalier Le Domaine – ULB, décrit cette période : « Je passais beaucoup de temps avec moi-même, à ruminer, à penser, alors que ce dont j’avais le plus besoin, c’était de sortir, d’essayer d’aller vers les gens. Le confinement a fait que ça a empiré la situation. J’ai été diagnostiquée avec une grosse dépression et après, un trouble anxieux et des troubles du comportement alimentaire. » Pour Luce qui, elle-aussi, témoigne de sa situation de décrochage scolaire, l’entrée en secondaire semble avoir déclenché quelque- chose : « Dès les premières évaluations, j’ai commencé à stresser et je me souviens d’un jeudi en dernière heure de cours, où j’étais stressée. En sortant des cours, j’ai pleuré jusqu’à chez moi, jusqu’au soir, dans mon lit, dans le noir. J’ai totalement perdu la notion de plaisir de l’apprentissage que j’avais en primaire. Maintenant, l’école n’est plus qu’un endroit où on nous évalue. On apprend seulement pour réussir l’interrogation et les examens. »

En parler, être écouté

Avec l’enseignement hybride, le sentiment d’échec et de décrochage s’est encore amplifié.  « On nous a lâchés parfois pendant des mois, on nous a demandé de suivre les cours à distance et on nous a tout mis sur le dos. » La perte de sens est énorme : pour Annabelle, étudiante dans le supérieur, « avec l’annonce du premier confinement, j’ai eu la sensation que le futur pour moi n’était plus possible. Je n’arrivais plus du tout à me projeter et je ne savais pas ce que le monde allait devenir. Une sensation d’inconnu, très difficile à gérer. Pour la première fois de ma vie, j’ai eu des crises d’angoisse… ».

Si les études montrent que le nombre de prescriptions de médicaments pour troubles de santé mentale a augmenté entre 2021 et 2022, tout comme le nombre de prescriptions d’antipsychotiques à des jeunes durant la même période, il a fallu du temps pour que la souffrance mentale de la population durant la pandémie, et plus encore celle des enfants et des jeunes, soit prise en compte. Le documentaire montre également la prise de conscience de ce mal-être dans les institutions qui prennent ces jeunes en charge.

C’est ce qui a été discuté lors d’un Jeudi de l’hémicycle du Parlement francophone bruxellois, en février dernier, organisé pour parler de la santé mentale des jeunes avec les parlementaires. Au programme : la projection du film de Pierre Schonbrodt, suivi de nombreux témoignages de jeunes et de prises de paroles sur cette situation. À épingler, l’intervention de Sophie Maes, pédopsychiatre et responsable de l’Unité pour ados du Domaine-ULB : « On me demande souvent comment vont les jeunes aujourd’hui. Bonne nouvelle : les services hospitaliers ne sont plus saturés. Mauvaise nouvelle : les jeunes continuent d’aller extrêmement mal depuis la pandémie et c’est dans les établissements scolaires que cette souffrance s’exprime. Le taux de décrochage scolaire explose et les écoles sont confrontées à la multiplication des épisodes d’angoisse, de crises, d’attaques de panique… » Plutôt que d’augmenter les moyens en matière de santé mentale, la pédopsychiatre insiste sur la nécessité d’arrêter de rendre les jeunes malades. Et de pointer la responsabilité (certes pas exclusive) de l’école, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui : « Il va falloir du courage aux politiques pour remettre en question la qualité de la relation à l’autre à l’école, véritable socle de l’apprentissage. Enseigner autrement, avec humanité, sortir d’un enseignement néo-libéral où il s’agit d’avoir des résultats et qui engendre un individualisme forcené, cela ne coûte rien, mais cela demande du courage politique. »

Tout va s’arranger… ou pas ?

Depuis la pandémie, les chiffres du décrochage scolaire sont éloquents : dans une réponse à une interpellation parlementaire, Caroline Désir, ministre de l’Éducation en FWB, annonçait qu’en décembre 2022, déjà plus de 23.000 élèves, dont la moitié dans l’enseignement secondaire ordinaire, présentaient au moins neuf demi-jours d’absence scolaire entre août et décembre, soit 32,5% de plus qu’en 2021 sur la même période et 90,5% de plus qu’en 2019. Ces élèves ont donc été signalés au Service du droit à l’instruction, puisque considérés en situation d’absentéisme. Par ailleurs, même s’il est en baisse, le pourcentage des jeunes adultes entre 18 et 24 ans sans diplôme de l’enseignement secondaire et ne suivant plus aucune formation atteint les 6,4 % (Statbel, mars 2023).

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Pour tenter de mieux répondre aux difficultés de ces jeunes, des initiatives sont lancées,  comme celle confiée à la Ligue bruxelloise de santé mentale, l’asbl Question Santé, Collectiva et 21 solutions par le Collège de la COCOF1. Il s’agit de mettre le focus sur les thèmes du bien-être et de la santé mentale chez les jeunes de 16 à 25 ans, particulièrement marqués par la pandémie et qui continuent à vivre des difficultés liées à cette période. Un appel à participation a été lancé et des panels sont actuellement organisés pour recueillir la parole des jeunes sous forme d’avis, de revendications et de recommandations, selon des méthodes participatives. L’objectif : produire des outils pour favoriser une meilleur écoute des jeunes, une meilleure prise en charge de leurs difficultés en santé mentale et un renforcement des secteurs et des professionnels qui s’adressent à ce public.

Il s’agit là d’un projet parmi d’autres pour permettre à la situation de s’arranger : les dispositifs d’accrochage scolaire déjà existants ont pour vocation de reconnecter les jeunes avec l’école. Mais la prise en compte de la santé mentale des jeunes depuis la crise Covid et la perte de sens et de la volonté d’apprendre dans le système scolaire traditionnel sont également à questionner.

Prochaine projection : le 24/05/2023 à 19h, à la Maison de la laïcité de Morlanwez

EN SAVOIR PLUS

Nathalie Cobbaut


  1. Pour plus d’infos: https://lbsm.be/secteur-sante-mentale/actualites/appel-a-participation-projet-jeunes-et-sante-mentale.html?lang=fr 

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