Situé au cœur du quartier du Béguinage à Bruxelles-ville, le club Antonin Artaud (CAA) est une ASBL qui accueille, depuis 1962, des personnes adultes souffrant de troubles psychiques et qui ont le souhait de retrouver des liens sociaux, un rythme de vie et celui de reprendre une place autonome au sein de la société. Mis sur pied par un groupe de patients de l’hôpital Brugmann dans le sillage de l’antipsychiatrie[1], il y a plus de soixante ans, le CAA se base depuis toujours sur l’activité artistique pour permettre à ses membres de se reconstruire. Des artistes ont été associés au projet, dès l’origine. L’art y est central comme vecteur de réhabilitation des personnes accueillies. Reconnu comme centre de jour et de réadaptation fonctionnelle, le CAA dispose d’une équipe médico-psycho-sociale pluridisciplinaire, composée d’une psychiatre, de psychologues, d’assistants sociaux, kiné, ergothérapeutes, secrétaires et animateurs artistiques.
Des ateliers multiples – artistiques bien sûr (arts plastiques, musique, chant, écriture, théâtre, danse…), mais aussi centrés sur le corps (méditation, yoga, relaxation, corps et rythme…) et autour du quotidien (cuisine, sorties culturelles, repas communautaires…), ainsi qu’un groupe de parole – y sont proposés. Les membres y participent selon le principe de « fréquentation modulée », soit un programme de participation personnalisé et évolutif, après une période d’essai des différents ateliers. Comme l’expliquait Frédéric Rolland, qui fut médecin directeur du CAA, dans une communication faite en 2015 lors d’un colloque organisé par la Plateforme bruxelloise pour la santé mentale, « Les ateliers et espaces de création dans les institutions de santé mentale visent à se décaler des préoccupations quotidiennes pour se retrouver dans une sorte de bulle, permettant un moment de « faire » et d’« être » hors de la parole, et hors problème. Ces espaces, ces moments de création permettent une mise en mouvement personnelle, un temps de bien-être, de plaisir, organisé autour d’une production issue de soi. »[2] A l’instar d’autres structures comme L’Autre Lieu ou de la compagnie « L’Appétit des indigestes », déjà abordés dans Bruxelles santé[3].
« Juste présente dans les interstices »
C’est de toutes ces activités artistiques dispensées dans une perspective de promotion du bien-être dont Stéphanie Fortunato a voulu rendre compte dans une création qui nous éclaire sur le parti pris de ce lieu de soins alternatif. Belgo-italienne, formée à l’architecture et ensuite élève de l’école française réputée pour sa formation en cinéma, la Fémis[4], elle réalise des films depuis une quinzaine d’années, dans lesquels elle explore le vécu et l’histoire de communautés vivant dans des espaces urbains et traversés par les dimensions de transmission, d’histoire, d’idéal et d’utopie. Elle s’est également impliquée dans des projets sociaux, comme le centre d’hébergement d’urgence Mouzaïa à Paris, avec des groupes de femmes dans le cadre de Vie Féminine, à Bruxelles ou encore dans le cadre de TV Forest, un projet intergénérationnel et citoyen mené dans cette commune, avec le Service Senior, le magazine Amour et Sagesse et le centre Ten Weyngaert[5].
C’est avant tout la poésie que l’on retient du film documentaire « Constellations » pour lequel la réalisatrice s’est plongée dans l’univers du CAA pendant des mois. Stéphanie Fortunato explique sa démarche: « Pour appréhender (cette poésie), j’ai intégré les ateliers comme n’importe quelle patiente nouvellement inscrite. Ce qui m’a touché dans les rencontres que j’ai faites, c’est la pudeur des souffrances. Chaque personne prend soin du lieu et des autres et aussi de soi. La souffrance est cachée dans la délicatesse. Le temps est nécessaire pour que tout le monde soit à l’aise, y compris moi. Petit à petit j’ai fait partie du lieu à mon tour. Il a fallu des mois avant que je ne vienne avec un micro, une caméra. J’étais d’abord juste présente dans les interstices. Le CAA est un refuge pour ces personnes, il ne fallait pas que ma démarche vienne perturber le cours des choses. L’éthique dans le travail et le recueil du consentement ont été essentiels. De nombreux visionnages des prises de vue et des montages successifs en ont été la garantie. »