CitoyennetéDossierNuméro
02.12.2025
Numero: 24

Des citoyen·ne·s aux côtés des professionnel·le·s, pour former à la démarche communautaire

Désignée Service Support en démarche communautaire par la Cocof en février 2024, l’association Les Pissenlits travaille depuis presque 30 ans les démarches communautaires en santé. Les nombreux projets locaux qu’elle mène s’appuient effectivement sur ces dernières et le groupe « Personnes-relais », créé en 2021 concomitamment aux formations à destination des maisons médicales sur cette question, y contribue.

e-Mag Bxl santé N°24 - Dossier action communautaire : former à la démarche communautaire

Il n’est pas encore 9h30 ce mardi 28 octobre quand nous franchissons la porte d’une des salles de réunion des Pissenlits. Ce matin-là se tient une réunion du groupe de travail « Personnes-relais ». Quelques personnes sont déjà là en compagnie de deux travailleuses de l’association, assises autour d’une grande table et devisant calmement devant une tasse de thé ou de café. L’accueil est chaleureux, sur une table un peu plus loin, des thermos de boissons chaudes, un bol de fruits secs et une assiette où s’empilent des fruits de saisons. Une dizaine de minutes plus tard, presque tout le monde est arrivé, la réunion démarre avec quelques informations générales. Il y a là quelques personnes sourdes ou malentendantes et une travailleuse des Pissenlits qui va traduire les échanges en langue des signes. L’inclusivité est une réalité revendiquée depuis longtemps aux Pissenlits. Ce jour-là, le groupe de travail (GT) prépare une de ses prochaines interventions, notamment une formation en démarche communautaire en santé à destination des professionnel·le·s du social-santé. Forte d’une expérience de plusieurs années dans ce domaine, l’asbl Les Pissenlits a démarré en 2021 une formation sur le sujet à destination des travailleur·se·s des maisons médicales. Un service que l’association a élargi aux professionnel·le·s du social-santé en 2023, puis à celleux de la promotion de la santé en 2024.

Ces formations sont de deux types : l’une, plus introductive à la démarche communautaire et à la participation, et étalée sur quatre jours, s’adresse à des professionnel·le·s qui ne sont pas encore habitué·e·s à mener des projets participatifs et, l’autre, répartie sur deux journées, est à destination des structures ou équipes ayant déjà une très grande expérience des concepts de participation et de démarche communautaire. Ces formations sont données par les travailleur·se·s des Pissenlits qui sont accompagné·e·s par des personnes-relais. Ces dernières ne participent pas à toute la formation, mais à une partie de celle-ci. Aux côtés des professionnel·le·s, les personnes-relais interviennent également lors d’autres événements, tels que des formations de futurs professionnel·le·s de la santé (infirmier·e·s, médecins, kinésithérapeutes, etc.) ou à des réunions comme celles du Partenariat intersectoriel du Village-santé[1].

Personnes-relais : de citoyen·ne·s usager·e·s à citoyen·ne·s expert·e·s

Le groupe des personnes-relais est composé d’habitant·e·s, usager·e·s, citoyen·ne·s… (ce qui donne l’acronyme HUC+), qui ont pris ou prennent part aux différentes activités des Pissenlits depuis longtemps et à qui l’association a fini par faire une proposition : souhaiteraient-elles partager leur vécu et transmettre leurs savoirs, aux côtés des formateur.trice.s des Pissenlits ? La réponse a été positive, comme le racontent les personnes du GT ce matin-là. Iels participent aux activités de l’association depuis dix, vingt ans, voire vingt-six ans pour une des plus anciennes participantes. Chacun.e relate son histoire, sa rencontre avec une personne (lors d’une consultation à une maison médicale) ou un événement (une journée de sensibilisation sur le diabète sur le marché des Abattoirs par exemple), etc., qui l’a amené.e aux Pissenlits. Iels ont commencé par venir voir, s’informer et, rapidement, ont pris part à une activité, puis à une seconde et à bien d’autres encore. Autour de la table, iels sont ainsi nombreux.ses à faire partie du groupe de personnes diabétiques (échange, soutien, questions, difficultés et astuces sur le diabète), du groupe « Corps et Santé » (pour en apprendre plus sur le corps et le lien avec la santé) ou du groupe de paroles « FHS » (Femmes, hormones et sociétés) dont les rencontres ont abouti à la rédaction du livre Journal intime d’un groupe de femmes.

Qu’y a-t-il derrière la participation des personnes-relais ? Leur implication grandissante dans le projet de l’association, explique-t-on aux Pissenlits, révèle la continuité du processus d’autonomisation et d’appropriation de la démarche communautaire. Ces personnes, qui de « participantes » sont devenues « personnes-relais », ont pris conscience de leurs apports et de leur complémentarité avec les professionnel·le·s et agent·e·s des services communaux (par exemple, la participation citoyenne aux réunions du Partenariat intersectoriel du Village-santé) et de leur rôle d’« accompagnement » de nouveaux·elles participant·e·s.

Cependant, au-delà des acquis en termes de compétences psychosociales réalisés via la participation à diverses actions et activités pendant de nombreuses années, ces personnes ont besoin et sont demandeuses d’une certaine formalisation de leurs expériences variées de la démarche communautaire en santé, afin de transférer leur expertise de la démarche et l’intérêt de la participation des citoyen·ne·s auprès de leurs pairs, des professionnel·le·s intersectoriel·le·s et futurs professionnel·le·s.

Ce qu’iels disent de la participation, de l’action communautaire

Michèle a commencé à participer aux activités des Pissenlits il y a dix ans et elle a débuté par le groupe de personnes diabétiques. Avec un père diabétique, elle voulait en savoir plus sur cette maladie chronique car, bien qu’étant infirmière spécialisée, elle n’en savait pas grand-chose : « C’est une affection que j’avais peu rencontrée chez mes patients, raconte-t-elle. J’ai appris énormément avec ce groupe, par exemple sur ce que les personnes diabétiques pouvaient manger. Quand on ne sait pas grand-chose là-dessus, on se dit, par exemple, que ce sera compliqué à la maison de préparer des repas différents pour les membres de la famille. Ici, j’ai appris qu’on pouvait faire la même cuisine pour tous, mais l’adapter. Finalement les personnes diabétiques peuvent manger beaucoup de choses, en évitant toutefois le gras, les sucres, etc. ».

Simon, un ancien pédiatre qui a aussi fait des études en santé publique, est arrivé aux Pissenlits à la suite d’une action de sensibilisation sur le diabète au marché des Abattoirs. Ce que ce médecin avait appris durant ses études en santé publique – comment faire pour que la communauté se prenne en main pour résoudre des problèmes de santé récurrents sur un territoire ? –, il le retrouvait aux Pissenlits. Sa rencontre avec une participante sourde, particulièrement active dans l’association, et sa volonté de construire davantage de ponts entre les personnes entendantes et les personnes sourdes et malentendantes, ont fini par le convaincre de prendre part aux activités de cette association qui travaille à l’amélioration de la santé des citoyen·ne·s.

Le maître mot : faire ensemble

Les formations en démarche communautaire des Pissenlits sont soigneusement préparées, chacune faisant l’objet de deux réunions de préparation, voire trois si nécessaire. Un moment d’évaluation est également prévu, comme celui qui s’est tenu en juin dernier et qui est revenu sur les formations données au cours du premier semestre. En octobre dernier, le GT se retrouvait pour sa deuxième réunion et a continué à se préparer en vue de la prochaine formation : qui est disponible pour prendre part à celle-ci ? Autour de quelles questions travailler avec les professionnel·le·s participant à la formation ?… Toutes ces formations se donnent sous forme de « World café », avec trois tables autour desquelles les participant·e·s prennent place et sont invité·e·s à changer de table au bout de 20 minutes. Trois questions y sont abordées, qui tournent autour de la mixité inclusive, de la participation des citoyen·ne·s et professionnel·le·s dans les projets communautaires et de la posture professionnelle qui aidera au mieux la réalisation d’un projet en santé communautaire.

Lors de l’évaluation qui avait été faite en juin dernier, le GT avait émis plusieurs suggestions pour améliorer les formations et l’une d’entre elles était de faire une synthèse visuelle de cette évaluation pour aider les personnes-relais lors des formations. Une collaboratrice a commencé à travailler sur une proposition qui sera finalement discutée lors de la troisième réunion de préparation. Une partie de la réunion s’est ensuite focalisée sur le souhait du groupe d’avoir un retour sur les formations. Les formateur·trice·s recueillent bien un petit feed-back des participant·e·s à l’issue de chaque formation, mais les personnes-relais souhaitent en savoir plus sur ce que ces formations apportent aux professionnel·le·s qui les ont suivies : qu’ont-iels compris de la démarche communautaire ? Qu’y ont-iels gagné ? La formation a-t-elle été partagée avec des collègues, le reste de l’équipe ?…

Noémie Hubin, responsable de projets aux Pissenlits, et sa collègue, Noa Michel, coordinatrice pour la formation des maisons médicales et responsable du projet Service Support, discutent avec le groupe, regardent ce qu’il est possible de faire, malgré le manque de ressources pour mener à bien une telle démarche : « Ce serait super chouette si nous pouvions le faire, explique Noa Michel. Mais cela demande toute une logistique et un travail que nous ne pouvons pas effectuer. Les formations données et leur préparation prennent tout le temps pour lequel nous sommes financés… ». Le groupe réfléchit et, parce que la démarche communautaire est une approche importante qui fait sens pour ses membres, persiste dans cette idée et soumet quelques pistes pour tenter de contourner la difficulté. Finalement, c’est la proposition de Noémie Hubin d’envoyer un mail avec quelques questions à celleux qui ont participé qui est acceptée. La suite ? A la prochaine réunion.

Quel impact sur la réduction des inégalités sociales de santé ?

Bien avant que Les Pissenlits ne démarrent leur projet de formations, l’association s’était déjà penchée sur ses actions en démarche communautaire et avait noté que la formalisation de l’expérience du vécu qui peut être diffusée renforce les savoirs et les compétences des publics citoyens et a un impact sur les pratiques et représentations des partenaires intersectoriels. Les différents témoignages montrent en effet que ces formations renforcent les compétences et des savoirs des HUC+ « Personnes-relais ». Iels se sont approprié le vocabulaire de la promotion de la santé et les balises méthodologiques de la démarche communautaire en santé, et ont développé une posture permettant la transmission de ces contenus (prise de parole, abstraction, analyse, écoute active…). Les participant·e·s ont élaboré un savoir collectif co-construit à partir de l’expertise du vécu sur la démarche communautaire et sa mise en œuvre, exprimée par chacun·e des participant·e·s.

Grâce aux retours très positifs (personnes en formation ou rencontrées, nouveaux·elles HUC+ accompagné·e·s), les personnes-relais estiment leur légitimité et leur pertinence renforcées. Ceci est consolidé par la valorisation de leur implication via des conventions de volontariat, accompagnées d’une indemnité financière, qui permettent aussi de rééquilibrer les relations entre les différents acteur·trice·s en dépassant la distinction classique entre professionnel·le·s et participant·e·s.

Anoutcha Lualaba Lekede

[1] Le Partenariat Village-santé est une action de sensibilisation au diabète et à l’obésité auprès d’autres partenaires du quartier et a lieu une fois par an au Marché des Abattoirs.

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