Accès aux soinsDossier
03.09.2023
Numero: 15

Les patient·e·s, peu au fait des données numériques de santé

Selon une enquête réalisée entre le 15 juin et le 13 août 2021 à la demande de la Fondation Roi Baudouin (FRB) auprès de 2.002 personnes vivant en Belgique, près d’un·e Belge sur deux ne sait pas ce qu’on entend par données numériques de santé et n’a jamais entendu parler du dossier médical électronique. Pourtant il s’agit d’un outil qui peut permettre une amélioration de la prise en charge médicale, surtout lorsque ce dossier est partagé. Pour autant, il s’agit de ne pas laisser au bord du chemin tous·tes les patient·e·s qui ne seraient pas en capacité d’utiliser cet outil.

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Cela fait des années que la numérisation de la société est en marche et, parmi les services essentiels, la santé est largement impactée par cette évolution. Avec la pandémie de Covid, ce domaine de la santé a vu l’utilisation du numérique s’accélérer, notamment pour la transmission des résultats des tests PCR, la vaccination ou encore les certificats de rétablissement (ce qui n’a d’ailleurs pas manqué de soulever certaines polémiques).

Des plans fédéraux d’action ont été successivement adoptés en 2013-2015, 2016-2018, 2019-2021 dans le domaine de l’e-Santé. Le dernier en date, qui porte sur la période 2022-2024, met entre autres l’accent sur l’empowerment des citoyen·ne·s et l’accès aux données et services de santé. Une nécessité qu’a mise en lumière l’enquête réalisée à la demande de la FRB par le bureau Incidence 1. En effet, cette enquête montre que la définition même des données de santé n’est pas claire pour la moitié des personnes interrogées, en particulier pour les répondant·e·s issu·e·s de la Région bruxelloise et pour les plus de 64 ans. Qui plus est, 48% des personnes sondées n’ont jamais entendu parler du dossier médical électronique (dossier médical propre à chaque citoyen·ne, disponible sur masante.be). Parmi celles qui le connaissent de nom, 39% ne savent pas bien de quoi il s’agit. 26% des répondant·e·s ont déjà consulté leur dossier médical électronique et 24% d’entre eux·elles ont trouvé ce qu’ils cherchaient. Il semble que le Covid ait boosté cet accès à ces données.

La définition même des données de santé n’est pas claire pour la moitié des personnes interrogées.

Malgré un chiffre de consultations relativement bas, plus de trois quarts des personnes interrogées sont disposées à partager leurs données personnelles de santé, à condition que celles-ci restent dans le secteur médical (hôpitaux, centres de recherches scientifiques, mutuelles). 89% sont d’accord pour les communiquer à un·e professionnel·le de santé afin d’améliorer la qualité des soins. C’est le·la médecin généraliste qui inspire le plus confiance (88%), devant les hôpitaux (74%) et les pharmaciens (74%).

Et à Bruxelles ?

Pour en savoir plus sur la situation des Bruxellois·e·s quant à leurs données numériques de santé, il est intéressant de consulter le Réseau Santé Bruxellois qui permet le partage électronique de données de santé en Région bruxelloise. Ce réseau (aussi appelé Abrumet) permet aux citoyen·ne·s d’accéder à leur dossier médical électronique et relie les professionnel·le·s de la santé (médecins généralistes, infirmier·e·s, kinésithérapeutes, dentistes…) et les hôpitaux, si le.la patient·e a donné son consentement à ce partage de données.

Ce dossier santé partagé est une pièce de l’édifice de l’e-Santé, qui a pour vocation d’améliorer la prise en charge médicale en permettant aux professionnel·le·s de la santé de consulter le dossier médical d’un patient. De cette manière ils peuvent connaître les antécédents médicaux de la personne, les examens déjà effectués, comme les résultats de prises de sang ou une radiographie, les rapports de consultation et d’hospitalisation, les vaccinations en cours… Comme l’explique Cécile Palies, responsable de la communication du Réseau Santé Bruxellois : « Il est important de faire savoir qu’il existe des garanties dans le chef du citoyen : en effet, ce partage de données médicales est avant tout subordonné au consentement éclairé du·de la patient·e. Un consentement libre, gratuit et valable partout en Belgique, qui peut être donné via les médecins, les pharmacien·ne·s, les hôpitaux, les mutuelles ou encore sur le site du Réseau. Il peut aussi être retiré à tout moment. Autre garantie : l’accès sécurisé via la carte d’identité électronique ou l’application ItsMe. On peut aussi signaler le fait que le patient peut décider qui a accès à ses données. Déjà cet accès est réglementé : une relation thérapeutique est limitée dans le temps (15 mois pour un médecin généraliste, trois mois pour les kinés et les infirmier·e ·s, un mois dans le cadre des urgences). Selon leur métier, les soignant·e·s pourront consulter tout ou partie de vos documents. Le·la patient·e peut aussi décider de restreindre l’accès à l’information d’un ou plusieurs soignant·e·s ou éliminer certaines informations de son dossier médical. Enfin les citoyen·ne·s peuvent vérifier qui a accédé à quel document ou encore désigner une personne de confiance.»

Côté chiffres, au 1er juillet 2023, le nombre de consentements au dossier santé partagé pour Bruxelles est de 1.078.092, soit 90% de la population bruxelloise, ce qui ne veut pas dire pour autant que les Bruxellois·e·s consultent effectivement ce dossier (voir l’enquête citée plus haut). Toujours sur Bruxelles et à la même date, les documents enregistrés sur la plateforme sont au nombre de 74.078.792 et comprennent désormais tous les documents émis par les établissements hospitaliers bruxellois. Le nombre de professionnels qui ont publié au moins un document est de 23.868. Selon Cécile Paliès, « les chiffres de consentement pour la création d’un dossier médical partagé sont élevés, mais cela ne veut pas forcément dire que le·la patient·e est informé·e de l’existence de ce dossier. Dans un certain nombre de cas, le consentement a été donné sans la moindre explication. Il est donc important de communiquer à ce sujet. C’est pourquoi le Réseau propose des séances d’information d’une heure trente qui expliquent aux citoyens ce qu’est un dossier médical partagé et comment y accéder. Mais cette possibilité est encore sous-utilisée. On cherche donc à atteindre la population autrement, via d’autres canaux, en organisant par exemple ces séances dans des associations de terrain ou des maisons médicales. » (voir le deuxième article du dossier)

La formation des soignant·e·s est également prévue par le Réseau Santé Bruxellois afin de les inciter à se saisir de cet outil et à implémenter les données de santé de leurs patient·e·s.

Penser aux personnes en fracture numérique

Du côté de la LUSS, qui est la Fédération francophone des associations de patients et de proches, les questions autour de l’information des usager·e·s et de l’accès aux droits sont considérées comme très importantes.

Pour Sophie Wellens et Sophie Gillerot en charge de ces matières pour la LUSS, « les instances politiques ont la volonté de mettre les patients au cœur des soins via le numérique, avec le souci de créer de l’empowerment dans le chef des usager·e·s, une prise en main de leur parcours de santé, mais cela semble illusoire si l’information de la population n’est pas suffisante. Certes, cela dépend des publics : il est clair que les malades chroniques sont généralement plus avertis sur ces questions du dossier santé partagé car plus impliqués de facto dans la gestion de leur maladie. Mais pour les citoyen·ne·s lambda et plus encore pour les usager·e·s en vulnérabilité numérique, il est important d’aller plus loin dans la sensibilisation à l’égard des données numériques de santé et bien plus largement concernant le développement de leurs compétences dans la maîtrise de l’outil numérique. C’est pourquoi la LUSS plaide pour une pérennisation financière et un élargissement du champ d’action des Espaces publics numériques (EPN) pour permettre cette appropriation de base de l’outil informatique. Il faut dire aussi que les prestataires de soins jouent diversement le jeu : certain·e·s sont assez réfractaires, soit parce qu’ils·elles sont éloigné·e·s du numérique, soit parce qu’ils·elles craignent de perdre la maîtrise de leurs données. Les soins intégrés, la collaboration et le partage des données ne vont pas forcément de soi dans un secteur où la concurrence peut jouer. Il faut également former les professionnel·le·s à cette nouvelle culture du partage. »

La sécurité des données, gage de confiance

En matière de protection des données numériques de santé, les deux chargées de projets de la LUSS estiment qu’il existe des conditions d’accès liées à la qualité du prestataire, lesquelles sont reprises dans la matrice d’accès. Cette dernière explicite qui a accès à quelles données et présuppose l’existence d’une relation thérapeutique en cours, ainsi qu’une reconnaissance et une identification élevée à l’entrée qui permettent également la traçabilité des consultations du dossier. « Tout cela est de nature à donner confiance aux patient·e·s envers le dispositif, confiance évidemment primordiale, tout comme le consentement libre et éclairé. » Mais si l’accès au site Masante.be ou au Réseau Santé Bruxellois est largement sécurisé, cela semble moins vrai pour les systèmes informatiques des établissements hospitaliers, avec un risque réel et malheureusement vérifié dans certains cas de voir des milliers de dossiers de patient·e·s hackés et utilisés à des fins mercantiles ou frauduleuses.

Selon la LUSS, il est également très important de bien prendre la mesure des inégalités numériques et de leur impact sur l’accès aux soins de santé et aux droits sociaux. C’est pourquoi la LUSS a rédigé un plaidoyer en ce sens, publié en juin dernier. Plaidoyer qui dépasse le cadre du dossier santé partagé, étant donné l’utilisation du numérique à différents stades de la relation de soin. Cela concerne l’accès aux soins, avec la prise de rendez-vous qui se fait de plus en plus fréquemment via des sites Internet, des bornes numériques qui ont remplacé l’accueil humain à l’hôpital, pendant la consultation, lorsque celle-ci se pratique à distance, via des visioconférences. C’est aussi le cas lorsque le médecin utilise des outils comme l’ePrescription, l’outil BelRAI2 ou encore le dossier médical partagé. Le numérique est également présent après la consultation, notamment pour l’obtention du remboursement de soins auprès des mutuelles ou pour l’obtention de statut BIM, vu la diminution des permanences physiques dans ces institutions. L’accès à l’information en santé via Internet ou encore au dossier santé partagé suppose un matériel et des compétences adéquates pour trouver l’information et l’utiliser à bon escient. Autre difficulté : l’accès aux droits sociaux qui passe de plus en plus par l’informatique et qui oblige de nombreux services sociaux à se transformer en guichets d’aide pour les démarches administratives de ceux qui ne maîtrisent pas l’outil informatique.

Dans son plaidoyer, la LUSS recommande de permettre un accès aux services et soins de santé pour tous, en assurant la présence d’alternatives au numérique via des guichets physiques ou des permanences téléphoniques, en soutenant la formation des citoyen·ne·s dans ce changement de paradigme, en automatisant le recours aux droits et en simplifiant les procédures administratives. L’accent est mis sur la nécessité d’informer via des messages de prévention, des campagnes de sensibilisation, l’organisation de tests des procédures d’accès aux données numériques avec les usagers. La LUSS insiste également sur l’élaboration d’un plan interministériel incluant le financement des services et alternatives pour pallier les difficultés liées à l’accès aux soins et services de santé.

Nathalie Cobbaut

Voir aussi l’article « De la santé vers l’e-santé : encore du chemin », paru dans l’e-Mag Bruxelles Santé n°11 et consultable sur le site de Question Santé.


  1. Une brochure a été publiée par la FRB à la suite de cette enquête, avec pour objectif le fait de répondre aux questions des citoyens à propos des données (numériques) de santé. Pour la télécharger.
  2. L’outil BelRAI a pour vocation annoncée d’aider les professionnels et les organisations de soins à évaluer et surveiller les besoins d’aide et de soins et le fonctionnement des personnes vulnérables ou en situation de soins complexes.

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