DossierPrévention
15.05.2023
Numero: 14

Travailler ensemble à être des acteurs de santé

Les manières de travailler la santé collectivement diffèrent et, à travers sa longue histoire, le magazine Bxl santé a toujours voulu mettre en avant les initiatives et les projets portés par les groupes dont l’objectif est d’améliorer la santé des citoyens. Dans ce nouveau dossier consacré aux démarches communautaires en santé1, Bxl santé a souhaité mettre sous les feux des projecteurs des usagères et ex-usagères de drogues passées devant la caméra, le temps d’un documentaire, et des citoyens pratiquant la marche nordique, une activité sportive pratiquée au départ par des athlètes de haut niveau.

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Le 16 mars dernier était projeté « Le cri des coquelicots », un documentaire d’une trentaine de minutes consacré à des femmes consommatrices ou anciennes consommatrices de drogues en situation de grande précarité à Bruxelles. La particularité de cette production est qu’elle a été faite en co-construction avec ces femmes, contrairement à nombre d’autres réalisations qui parlent d’elles – ou de certains autres groupes de la population – sans jamais les consulter.

Le film parle de citoyennes (ex-)usagères de drogues, parfois mères, travailleuses du sexe ou (ex-) détenues. Elles abordent leur consommation, les représentations et jugements à leur sujet, leur famille, leur passage en prison. Elles témoignent des violences fondées sur le genre qu’elles vivent, mais aussi des violences institutionnelles comme cette mère qui s’est vue du jour au lendemain enlever ses enfants. Il lui faudra un nombre incalculable d’appels téléphoniques (et de cartes prépayées) pour retrouver leurs traces dans les structures où ils ont été placés. Mais ces femmes parlent aussi de ce qu’elles souhaitent pour leur avenir, de l’aide et du soutien que la société et les politiques pourraient leur apporter. L’objectif est également de sortir des clichés et du misérabilisme pour mettre en lumière leur force, leur résilience et leur solidarité.

Un documentaire coconstruit avec le public concerné

« Le cri des coquelicots » est un projet indépendant et autofinancé. Il a été co-réalisé par Elisa VDK (vidéaste bruxelloise féministe qui a également réalisé « Les Nouvelles Guérillères »2) et Sophie Godenne et Melissa Laurent, travailleuses sociales à l’asbl DUNE. Ce recueil de témoignages a été possible grâce à la confiance des femmes rencontrées dans leur travail et au soutien de DUNE, un dispositif holistique de réduction des risques liés aux usages de drogues en situation de précarité. L’idée du film est partie du constat, il y a un peu plus d’un an, qu’il y avait très peu de documentaires qui donnent réellement la parole aux femmes (ex-) consommatrices de drogues et qui vivent des situations de précarité en Belgique. Depuis longtemps, DUNE place la participation des personnes concernées au centre de ses projets. Et s’il y avait un souhait de faire un documentaire, il a d’abord fallu commencer par leur en parler, pour ensuite le réaliser avec les femmes qui le souhaitaient.

Les différentes étapes du projet se sont enchaînées. Elisa VDK a été contactée au mois de juin 2022 et le travail a démarré presque directement. Il y a d’abord eu des discussions sans fil rouge et, au fil des semaines, des points communs sont apparus. Ce qui a aussi aidé, comme le soulignaient Sophie Godenne et Melissa Laurent lors de la projection, c’est qu’Elisa soit venue sans caméra les premières fois. Un geste apprécié par les femmes et qui a permis d’établir la confiance avec la réalisatrice, d’échanger plus librement cette fois-là et par après. En juillet, le tournage a débuté, suivi par le montage au mois d’octobre. La première projection a eu lieu début novembre lors du festival « Féministe toi-même ! ». Une dizaine de projections ont suivi entre fin 2022 et début 2023.

Donner la parole, booster l’estime de soi, partager

Que dire de ce documentaire si ce n’est qu’il est magnifique et que les femmes qui se livrent là sont terriblement émouvantes ? Elles sont quelques-unes du groupe à avoir accepté de témoigner à visage découvert dans le film. Lors de la présentation, Sophie Godenne et Melissa Laurent ont indiqué qu’elles ont tenté de présenter une diversité de profils et de vécus, mais ce sont très majoritairement des femmes blanches qui ont accepté de participer et de prendre la parole. Ce qui implique que le contenu aurait sans doute été différent si les actrices étaient plus diversifiées en termes d’origine, d’ethnicité, d’orientation sexuelle, etc. Cela ne dit-il pas combien le poids des représentations négatives demeure présent dans toutes les communautés du pays ? Des représentations qui poussent sans doute des femmes au croisement de plusieurs oppressions et discriminations à ne pas oser prendre la parole, de peur d’être jugées et stigmatisées.

Quel intérêt pour elles de faire un tel documentaire ? Il y en a plusieurs : leur donner la parole et de la visibilité, rebooster l’estime de soi, retrouver la confiance en leurs capacités, partager leur histoire pour aider d’autres personnes et échanger avec d’autres lors de la projection du documentaire dans divers lieux, etc. Elles sont les seules à pouvoir dire l’impact d’un tel documentaire sur elles. Le 16 mars dernier, elles n’étaient en effet pas présentes : c’était trop tôt en matinée pour ces femmes qui sont souvent sans domicile fixe, confrontées à une multitude de difficultés et dont les besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits.

Plusieurs projections seront encore programmées. Des informations supplémentaires seront données prochainement sur la page Facebook : Le cri des coquelicots.

Prêts pour la marche nordique ?

Autre initiative de terrain : le projet « Marche nordique » qui a été initié par le Réseau Santé Diabète Bruxelles en 2012-2013 dans les Marolles.

« La marche nordique est une marche où on va utiliser des bâtons, explique Sébastien d’Alguerre, promoteur/coach de l’activité physique au Réseau Santé Diabète Bruxelles. Il s’agit d’une activité qui a été inventée dans les années 1990 en Finlande, principalement pour les athlètes de ski de fond. En fin de saison, ces derniers continuaient généralement à s’entraîner pour garder un cardio performant. Leur est venue l’idée de pratiquer une activité qui fasse travailler les mêmes chaînes musculaires que lors des compétitions. » C’est ainsi que le ski à roulettes et la marche avec des bâtons ont été inventés.

« Quand on marche sans bâton, on utilise 50% des muscles, principalement les cuisses, les ischio-jambiers, poursuit Sébastien d’Alguerre. En marche nordique, pour peu qu’on applique correctement la technique qui est particulière, on arrive à utiliser entre 70 et 80% de ses muscles. On va également développer les chaînes musculaires supérieures, le cœur aussi va travailler un peu plus. » Un cœur plus musclé permet en effet de pratiquer une activité physique plus longtemps et d’avoir une récupération plus rapide. On est moins vite essoufflé en cas d’effort.

Le lien entre activité physique et démarches communautaires en santé

La marche nordique figure parmi les nombreuses activités proposées par le Réseau Santé Diabète Bruxelles3 (voir encadré). Celui-ci a été créé en 2004 à l’initiative des médecins de la Maison Médicale des Marolles, dans un quartier où d’autres intervenants médico-sociaux étaient de plus en plus préoccupés par le diabète de type II qu’ils rencontraient chez de nombreux patients.

Le diabète de type II est une maladie grave qui touche à de multiples facettes de la vie quotidienne comme l’alimentation, l’activité physique, et la prise en charge médicale. Elle touche également aux modes de vie et nécessite donc un suivi pluridisciplinaire, la participation du patient et de son entourage et une éducation élargie à la santé dans son ensemble. La maladie s’inscrit dans un quartier précarisé qui complexifie la prise en charge4.

Un réseau au service des habitants

Face à la récurrence de la maladie, les intervenants médico-sociaux ont considéré qu’il était pertinent de créer un réseau rassemblant différents professionnels du centre de Bruxelles qui travaillent en synergie5. Le réseau regroupe actuellement onze partenaires, principalement actifs dans les Marolles, mais pas uniquement6.

Le réseau axe ses efforts sur deux volets. Un volet ambulatoire via des consultations sur les aspects diététiques (l’alimentation) dans les maisons médicales partenaires.  Il y a également des séances de coaching proposées par les médecins des maisons médicales partenaires. En 2012, grâce au réseau, le principe de « Sport sur ordonnance » a vu le jour. Le réseau travaille également avec le CHU Saint-Pierre, notamment avec le Service d’endocrinologie. Par une convention, le CHU met également à disposition du réseau une salle de remise en forme sur le site César de Paepe. Le second volet est la promotion de la santé : ateliers cuisine, formations, groupes de paroles, activités physiques (marches, yoga, vélo, natation, gym, etc.)(Voir l’Agenda Santé). A travers ses projets, le réseau poursuit plusieurs objectifs : l’amélioration de la santé qui passe par la prévention, une alimentation équilibrée et la pratique d’une activité physique régulière. Comme autres objectifs, on peut aussi citer la participation, l’autonomie, la création du lien social

Comme l’indique le coach de l’activité physique : « Nous travaillons autant le volet ambulatoire que le volet promotion de la santé. Les deux sont vraiment imbriqués et s’associent extrêmement bien, l’un amenant l’autre. Nous sommes face à une population extrêmement précarisée, qui n’a pas forcément les moyens d’avoir un accès à l’activité physique ou de s’inscrire dans une salle de sport ». Le coaching proposé se traduit en un travail sur des objectifs avec des questions de ce type : « En quoi est-ce important pour vous de pratiquer une activité physique ? Dans six, sept mois, si vous avez récupéré une bonne condition physique, que pourriez-vous faire que vous ne pouvez pas faire actuellement ? ».

En pratique

La marche nordique a lieu tous les jeudis matin et se pratique habituellement dans le parc Duden (Forest), un lieu assez vallonné qui se prête particulièrement bien à cette activité. Le groupe est généralement composé de sept à huit personnes. Il est mixte, avec peut-être une sur-représentation féminine. La moyenne d’âge est d’environ 45 ans, mais il n’est pas rare d’y voir aussi des seniors (65 ans +) et des jeunes de l’association Le 8ème jour (18-22 ans).

Comme toutes les activités proposées par le réseau, la marche nordique est gratuite. Des bâtons pour la marche sont disponibles auprès du réseau et pour ce qui est de l’équipement de bonnes chaussures de marche et des vêtements confortables font l’affaire, pas besoin de plus. Un patient d’une maison médicale, autrefois suivi en coaching, est devenu une personne relais qui prend en charge le groupe quand le coach Sébastien d’Alguerre n’est pas présent.

« La marche nordique est une activité qui a un impact réel sur la santé, tant au niveau physique que cognitif. »

Pour plus d’infos :

– « Le cri des coquelicots »
DUNE asbl
Sophie Godenne et Melissa Laurent
Av. Henri Jaspar, 124 – 1060 Saint-Gilles
Téléphone : 02/503 29 71
Facebook : Le cri des coquelicots

– « La marche nordique »
Le Réseau Santé Diabète Bruxelles
Sébastien d’Alguerre, promoteur/coach de l’activité physique
Rue des Capucins, 30 – 1000 Bruxelles
Téléphone : 0475 44 67 92

Anoutcha Lualaba Lekede


  1. Voir le dossier « La démarche communautaire : un choix sociétal ? », Bruxelles Santé n° 86 (Avril – Mai – Juin 2017), pp. 6-11.
  2. Documentaire qui met en lumière les collectifs féministes bruxellois et leurs luttes quotidiennes pour rendre Bruxelles et son espace urbain plus égalitaire, moins sexiste et mois raciste. Plus d’infos sur https://ket.brussels/fr/2022/04/25/elisa-vdk-capturing-brussels-from-a-feminist-queer-perspective/.
  3. Un Agenda Santé reprenant toutes les activités et projets proposés par les partenaires du réseau est publié tous les mois. Il est aussi disponible en ligne, sur http://reseausantediabete.be/agenda-sante/.
  4. « Origines – Un peu d’histoire… », sur http://reseausantediabete.be/rsd/origines/.
  5. Idem.
  6. Les partenaires du Réseau Santé Diabète Bruxelles sont : l’Epicerie Sociale Les Capucines, le Centre de Santé du Miroir, CARIA, le Comité de La Samaritaine, Cultures&Santé, L’Entr’Aide des Marolles, la Fédération des Services Sociaux, la Maison Médicale Enseignement, la Maison Médicale des Marolles, Nativitas, Les Pissenlits.

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