CitoyennetéDossierNuméro
02.12.2025
Numero: 24

Une journée intersectorielle, pour questionner l’action communautaire

De nombreux organismes travaillent avec un public. Mais comment le font-ils ? Comment sont pensés leurs projets et activités ? Sont-ils construits selon une approche top-down (descendante) ou privilégient-ils au contraire une approche bottom-up (ascendante) ? La seconde option est celle qui est plébiscitée dans le secteur de la promotion de la santé, et aussi dans celui du social-santé. Si de nombreux organismes co-construisent des projets avec leurs publics respectifs, ou envisagent de le faire, il apparaît cependant que les échanges entre secteurs restent limités. Dans un contexte où les fondements du travail social sont de plus en plus mis à mal, plusieurs structures se sont dit qu’il devenait essentiel de décloisonner les pratiques et de faire collectif. C’est avec cet objectif qu’elles ont organisé le 25 septembre dernier une journée intitulée « L’action communautaire en question : croisons nos regards et nos pratiques ! »

e-Mag Bxl santé N°24 - Dossier action communautaire : une journée intersectorielle, pour questionner l’action communautaire

Dans un dossier thématique sur l’action communautaire, publié cet automne par l’asbl Cultures&Santé, en partenariat avec l’asbl Les Pissenlits, agréée comme Service Support en démarche communautaire par la Cocof, les démarches ou actions communautaires en santé sont définies comme « une pluralité de méthodologies qui associent une ou plusieurs communautés ‛pour travailler l’objectif commun, par exemple résoudre une problématique commune, dans une perspective d’action globale et structurelle, pouvant s’étendre à l’ensemble de la société’[1] ». Elles sont notamment portées par les valeurs de justice sociale, d’autonomie et de solidarité et sont fondées sur la conviction que les habitant·e·s, les usager·e·s, les citoyen·ne·s sont capables, dans une dynamique collective et coopérative, d’influencer leur cadre de vie et leur santé[2].

« La participation est une des clés de voûte de ces démarches. Elle y est vue comme le processus qui permet à la communauté (un groupe qui partage un sentiment d’appartenance commun) de s’engager dans des décisions et des actions qui la concernent. La participation peut s’organiser en diverses formes, articulées autour de quatre catégories principales : informations, consultations, participation et autonomisation, chacune présentant des multiples possibilités, dans une visée de redonner du pouvoir aux communautés.[3] »

Si l’action ou la démarche communautaire en santé vise à réduire les inégalités sociales de santé, elle se distingue par un certain nombre d’objectifs (par exemple, une action sur ce qui détermine la santé), de repères méthodologiques (par exemple, la mutualisation des savoirs et des ressources de chacun.e) et de principes (par exemple, une approche globale de la santé). Sa mise en œuvre concrète et les formes qu’elle peut prendre sont diverses et variées. « C’est la raison pour laquelle, quand on se réfère à ces principes généraux, on peut parler d’action communautaire mais aussi d’actions ou de démarches communautaires – au pluriel –  quand on veut mettre l’accent sur la multiplicité des processus et projets entrant dans ce cadre[4] ».

Quand le collectif se saisit de l’action communautaire

Plus de 180 participant·e·s, 92 associations bruxelloises de secteurs différents représentées, 54 ateliers et espaces d’échanges sont les quelques chiffres qu’il faut retenir de la journée sur l’action ou la démarche communautaire, organisée le 25 septembre dernier par l’ULB et sa Faculté d’Architecture La Cambre Horta (projet SACHA), la Fédération des Services Sociaux, la Fédération Bruxelloise Unie pour le Logement, une série de services sociaux, les asbl Les Pissenlits, Le Grain, Co-Incidences et le Forum Bruxelles contre les inégalités. Si les chiffres sont assez révélateurs de l’intérêt et de la mobilisation autour du sujet, peut-être faut-il s’étonner qu’autant d’ateliers aient eu lieu.

La journée avait commencé par une présentation d’un soit-disant chercheur québécois du nom de Stéphane Daruelle, incarné en réalité par Sébastien Gratoir du Forum Bruxelles contre les inégalités. Cette présentation assez loufoque s’est terminée par une invitation faite au public d’installer une application sur les smartphones pour faire du travail communautaire. Des huées de la salle ont salué ce clin d’œil des organisateurs, soulignant qu’il n’est pas souhaitable que l’action communautaire, généralement un processus co-construit patiemment avec son public, prenne un tel chemin technologique.

Après cette entrée en matière plutôt déjantée, les participant·e·s, sur l’invitation des organisateurs, se sont réunis en petits groupes pour décider des thèmes et autres questions autour de l’action ou démarche communautaire dont ils souhaitaient discuter. De ce premier échange, il est ressorti des dizaines de sujets qui ont été répartis dans les 54 ateliers de la journée : « Comment renforcer le pouvoir d’agir des personnes vulnérables ? », « Pourquoi doit-on entrer ou rester dans les logiques d’évaluation des pouvoirs subsidiants ? Comment en sortir ? », « Est-ce que l’action communautaire doit viser l’autonomie des personnes ? », « Comment rendre la parole à celleux qu’on n’entend pas ? », « Et nous, en tant que citoyen·ne·s à quelles actions communautaires prenons-nous part ? Et pourquoi attend-on ça des personnes issues des quartiers populaires ? », « Le communautaire : une charge mentale de plus pour les femmes ? », etc.

Les groupes ont intensément discuté autour des questions proposées. Dans celui qui a traité par exemple de la question de savoir si l’action communautaire représente une charge mentale supplémentaire pour les femmes, les participant·e·s ont souligné combien les femmes étaient surreprésentées dans leurs groupes d’action communautaire. Ce que certain·e ·s ont expliqué par l’hyperresponsabilisation des femmes et par le fait qu’elles doivent, « encore une fois », participer. A contrario, d’autres participant·e·s ont fait savoir qu’iels travaillaient avec des femmes isolées et que pour ces dernières, participer au groupe d’action communautaire était un plaisir et ne représentait pas une charge mentale. Qui sont ces femmes qui s’investissent dans ces espaces ? Viennent-elles des milieux plus défavorisés ? Qu’en est-il des hommes ? Comment les faire s’impliquer davantage dans les projets communautaires ? Cependant, peu importe l’implication des personnes, il a été relevé qu’il faut cependant accepter que ces dernières participent en fonction de leurs capacités.

Politiques et pouvoirs subsidiants, une préoccupation ?

La question de l’attention permanente aux pouvoirs publics et subsidiants peut être posée au regard des intitulés des ateliers qui se sont déroulés au cours de cette rencontre intersectorielle d’automne. Les incertitudes budgétaires au niveau régional inquiètent : de nombreuses associations rencontrent en effet des difficultés budgétaires, tout comme les publics. Des travailleur·euse·s sociaux·ale·s (par ex., du Plan de cohésion sociale) rappelaient ainsi que leur mission est de travailler avec et pour les habitant·e·s. Iels notent par exemple que, parmi les premiers besoins exprimés par la population, il y a celui d’avoir un logement non seulement abordable, mais aussi décent. Or les travailleur·e·s sociaux·ale·s n’ont pas toujours les moyens d’agir sur cette réalité. La relation de confiance entre travailleur·euse·s sociaux·ale·s et les publics s’en trouve fragilisée. « Puisque nous ne répondons pas toujours à leurs besoins réels, une partie des habitants estime que notre action est inutile, expliquait ainsi un participant ». « Par ailleurs, soulignait une autre participante, le travail social dépend fortement des priorités politiques et des subsides disponibles : une année, on met l’accent sur l’inclusion ou le non-recours aux droits ; l’année suivante, une coupe de subsides met fin aux projets, parfois brutalement. Cette logique ne nous laisse pas toujours le temps d’aller consulter les habitant·e·s pour consolider le diagnostic initial. »

D’autres participant·e·s avaient d’autres sujets de préoccupation, comme l’essor des pratiques communautaires encouragées par les politiques publiques. Certes, si cette évolution est à saluer, elle fait aussi craindre que l’action communautaire ne soit détournée de son objectif initial qui est un moyen pour améliorer la vie des citoyen.nes : « On va faire du communautaire pour faire du communautaire, a soufflé une participante ». Il arrive aussi qu’au niveau des quartiers, les groupes de démarche communautaire expérimentent l’interpellation des pouvoirs publics locaux. Ces groupes arrivent parfois avec des propositions et des solutions aux problèmes rencontrés sur le territoire. « Cependant, comme le soulignait un discutant, les communes ou autres institutions concernées ont le pouvoir de ne pas en tenir compte. Après plusieurs échecs ou freins, les habitant.e·s ne veulent plus se mobiliser. Il y a un réel danger pour les habitant.e·s de ne plus y croire, d’être trop souvent déçu.e·s ».

Le pouvoir du collectif

Au terme de cette journée, les uns et les autres ont paru plutôt satisfaits. Les participant·e·s ont beaucoup discuté, mais aussi proposé des pistes pour améliorer des pratiques, des trucs et astuces, des conseils. On retiendra que l’action ou démarche communautaire prend du temps à construire, que le travail avec les publics demande patience, négociation, collaboration. Il faut faire avec celleux qui se rendent aux activités, selon leurs capacités. Est-ce que tous·tes les participant·e·s étaient d’accord avec tout au cours de cette journée ? Non, mais les gens ont pu échanger sereinement. Il y a certes des attentes qui ont été déçues, comme le souhait d’avoir plus… Plus de quoi ? Certain·e·s ont eu l’impression de partir de zéro. Mais cette journée de septembre était une première. Les organisateur·trice·s ont laissé entendre qu’il y en aurait probablement d’autres.  En tout cas, cela a été une belle réussite d’un point de vue d’une rencontre intersectorielle à propos de démarches communautaires qui sont multiformes. Le 25 septembre dernier, le collectif associatif était au rendez-vous.

Anoutcha Lualaba Lekede

Pour en savoir plus

L’asbl Cultures&Santé et l’asbl Les Pissenlits ont réalisé un dossier thématique qui présente, d’une part, les principaux ouvrages et documents de référence en matière d’action communautaire en santé, ainsi que des ressources illustrant l’histoire militante à l’origine des démarches communautaires et, d’autres part, des documents mettant en exergue le lien entre celles-ci et la promotion de la santé : il s’agit du Dossier thématique Action communautaire en santé et participation, réalisé par Cultures&Santé asbl en partenariat avec l’asbl Les Pissenlits  (Octobre 2008, mis à jour octobre 2025).

Pour télécharger ce document : https://www.cultures-sante.be/outils-ressources/action-communautaire-en-sante-et-participation/

[1] Dossier thématique Action communautaire en santé et participation (mis à jour octobre 2025), Cultures&Santé asbl en partenariat avec Les Pissenlits asbl, p. 1.

[2] Idem.

[3] Id.

[4] Id.

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