AssuétudesDossierNuméro
10.09.2025
Numero: 23

La réduction des risques, pour veiller à la santé et la sécurité de tous et pacifier Bruxelles

Depuis le Covid, les publics déjà précarisés l’ont été davantage et le recours aux drogues, telles que la cocaïne et le crack, a fortement augmenté. Les services d’aide de première ligne et bas seuil sont complètement saturés et peinent à absorber toutes les sollicitations. A Bruxelles, l’absence de gouvernement met en péril un certain nombre de dispositifs existants. Pourtant les acteurs de terrain font un travail d’accueil, de soins, mais aussi de réduction des risques et de prévention considérable. C’est le cas de l’asbl Transit, en charge de la salle de consommation Gate parmi bien d’autres missions.

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Jeudi 14 août. Rue Stephenson à Schaerbeek. Dans la cour de l’ancienne école dans laquelle est installée l’asbl Transit qui existe depuis 35 ans, Sophie attend. Visiblement anxieuse, elle tire nerveusement sur sa cigarette dans l’attente de la réponse qui tombera à la fin de la réunion d’équipe et qui décidera si elle peut prolonger son séjour au centre. Ouvert sept jours sur sept, ce centre de crise à bas seuil[1] comprend un centre de jour, ouvert entre 9h et 16h, où les personnes usagères de drogues peuvent prendre une douche, un repas chaud, un café et y rencontrer un infirmier, un assistant social ou encore un psychologue.

Transit dispose aussi d’un centre d’hébergement d’urgence qui accueille le public pour une durée limitée de treize jours, en principe. Les personnes admises peuvent s’y reposer, remettre de l’ordre dans leur situation socio-administrative ou encore amorcer un projet d’insertion ou de cure. « Il s’agit d’un accueil et d’un hébergement qui permettent une prise en charge des personnes et une pacification de l’espace public, explique Kris Meurant, directeur du pôle psychosocial de Transit. Mais depuis la sortie du Covid, les demandes ne cessent d’augmenter, les personnes précaires de plus en plus fragilisées recourent davantage aux drogues, notamment pour tenir le coup en rue, ce qui génère des difficultés de plus en plus visibles dans l’espace public. Les demandes d’aide vers les services de première ligne sont toujours plus fortes et ceux-ci sont débordés, doivent refuser des prises en charge. C’est aussi le cas à Transit. Dans le cadre d’un travail plus approfondi, les délais pour obtenir une cure par exemple sont de plus en plus longs : il y a vingt ans, on pouvait espérer une réponse en quinze jours ; aujourd’hui il faut quatre mois pour être intégré dans un programme. Comment espérer qu’une personne complètement désinsérée attende un tel délai pour une prise en charge ?  ».

La réduction des risques en point de mire

Autre service proposé par Transit : le comptoir LAIRR pour Lieu d’Accueil, d’Information et de Réduction des Risques. Egalement accessible sept jours sur sept et cette fois 24 heures sur 24, ce service vise à réduire les risques liés à la consommation de drogues, en distribuant du matériel stérile d’injection, du matériel d’inhalation ou de sniff, ainsi que des préservatifs, mais aussi des conseils et des brochures. Ce type de dispositif a pour objectif de minimiser les conséquences négatives liées à la consommation de substances psychoactives, licites ou illicites. Il en existe d’autres dans la capitale, que ce soit chez Dune, au Pilier, dans les antennes du projet Lama ou encore dans le cadre du Médibus, géré par Dune et Médecins du Monde.

Cette démarche de réduction des risques (RdR) a émergé au milieu des années 80, notamment en Suisse, pour répondre à la crise liée à la consommation d’héroïne dans les années 80 et 90, mais aussi dans le contexte de l’épidémie de VIH qui a débuté au cours de la même période. La RdR adopte une approche pragmatique en reconnaissant que l’abstinence n’est pas toujours possible et se concentre sur des actions afin de réduire les risques sanitaires, sociaux et économiques. Elle est aujourd’hui saluée tous les 7 mai par une Journée internationale de la RdR liée à l’usage des drogues

Parmi les mesures et interventions organisées dans cette optique, il y a également les salles de consommation à moindre risque (SCMR). Si ce type de dispositif permettant aux usager·e·s de drogues de consommer dans un endroit sécurisé a fait son apparition en Europe depuis une trentaine d’années et compte près de 100 SCMR , il a fallu attendre mai 2022 qu’une salle de ce type s’ouvre à Bruxelles. Elle avait été précédée d’une première expérience en Belgique, sur la ville de Liège, la salle « Saf ti » ( « Protège-toi » en wallon liégeois), qui a connu des difficultés, mais s’est vue refinancée par le gouvernement wallon pour l’année 2025.

Gate et très bientôt LINKup

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La SCMR bruxelloise Gate existe donc depuis un peu plus de trois ans. Gérée par l’asbl Transit et la MASS (Maison d’Accueil Socio-sanitaire), elle est située dans le quartier Lemonnier sur le territoire de Bruxelles-ville et offre une alternative à la consommation de rue, en proposant un espace d’accueil, de consommation et d’accompagnement.

Elle a été installée autour des scènes ouvertes de consommation préexistantes, soit la Gare du Midi, Anneessens, Lemonnier, Stalingrad et se situe à la croisée de trois communes, Bruxelles-ville, Saint-Gilles et Anderlecht. « Ce qui a permis que ce projet aboutisse à l’ouverture de cette SCMR, c’est le travail qu’on a fait en amont. On a dû travailler sur l’effet NIMBY (Not in my backyard/Pas dans mon arrière-cour – NDLR) pendant deux années. On a pris du temps pour rencontrer les riverains, entendre leurs plaintes, leurs critiques. Sans l’appui des autorités communales qui ont assumé leur rôle, ce projet n’aurait jamais pu voir le jour, ni en termes de subsidiation, ni auprès de la population et de certains politiques. Le représentant de la police locale a également participé à un apaisement en termes d’acceptation du projet. »

Gate quelques chiffres

Plus qu’une salle de shoot, Gate permet une prise en charge des personnes majeures dépendantes aux drogues, souhaitant pouvoir consommer dans un endroit sécurisé et bénéficiant d’un encadrement paramédical et social, dans une trajectoire de soins et d’inclusion sociale.

En 2024,  ce sont un peu moins de 1.000 personnes différentes qui ont fréquenté l’espace de consommation, ce qui représente 91% du public de Gate, soit une augmentation de 26% par rapport à 2023. Ces 992 personnes ont effectué 15.623 passages (+17%) et 16.095 actes de consommation (+15%) sur l’année 2024 qui ont pu se pratiquer dans un cadre sécurisé et entourés d’une équipe pluridisciplinaire, qui ne sont donc pas déroulés sur la voie publique. Aucune overdose n’a été déplorée depuis l’ouverture du centre.

Pour plus de chiffres et d’informations : consulter le rapport d’activité 2024 de Transit – http://fr.transitasbl.be/wp-content/uploads/2025/06/RA-2024-Transit-FR-Version-compressee-1.pdf.

Une nouvelle salle qui s’appellera LINKup est appelée à voir le jour, à l’automne prochain, dans le quartier Ribaucourt sur la commune de Molenbeek, avec une salle de consommation et une trajectoire de soins similaires à ceux de Gate. A terme un abri va être installé à l’étage pour répondre aux besoins de base des usagers. Pour cette salle, aussi, il y a certes eu certains obstacles, des annonces de décalage en termes de travaux, des positionnements politiques et des contacts avec les riverains parfois difficiles, mais on arrive en fin de boucle. « Il faut encore que soit finalisé le protocole qui porte sur les instructions du procureur du Roi à la police de ne pas poursuivre dans un certain périmètre autour de la salle les usagers qui viendraient consommer dans ce lieu, de les inviter à le faire dans la salle s’ils consomment aux alentours et en même temps d’appliquer une tolérance zéro pour les deals de drogues dans ce même périmètre. Il faut savoir que toutes les avancées autour des drogues, comme la distribution de méthadone, de matériel de shoot ou l’organisation de salles de consommation, l’ont toujours été avec des projets-pilotes dans un premier temps, voire dans une certaine illégalité, qui ont ensuite permis de faire évoluer les mentalités et de faire bouger le cadre légal. »

En l’absence de gouvernement

Chez Transit, d’autres avancées encore ont été engrangées, comme la mise sur pied d’un espace ouvert à toutes les femmes (ex)consommatrices de drogues durant un après-midi par semaine, Transit-Rue qui effectue des maraudes et organise des suivis individuels  en rue ou encore le projet prison qui vise l’accueil d’(ex)détenu·e·s et leur prise en charge pendant les congés pénitentiaires, les permissions ou à leur libération. L’asbl Transit a également été reconnue comme Opérateur Régional Bruxellois Assuétudes (ORBA), initialement dans le cadre du Plan global de sécurité et de prévention afin de coordonner et opérationnaliser les mesures prises en Région de Bruxelles-Capitale, auprès des communes bruxelloises et comme formatrice auprès des forces de l’ordre et d’autres professions comme les pompiers, les ambulanciers… Elle participe également au dispositif SUBLINK, mis en place pour une meilleure prise en charge des personnes usagères de drogues dans les transports en commun, avec les équipes mobiles du projet Lama, Diogène et le SAMU social.

Certains projets semblent pourtant gelés, comme le centre intégré à très bas seuil visant une combinaison de services et d’approches et autour duquel s’étaient fédérés Transit, Lama et Médecins du Monde. Il y a aussi des besoins à combler en matière de réduction des risques en prison, d’où la mise sur pied du réseau bruxellois de RdR en détention et la pétition UNLOCK lancée en avril dernier[2], mais aussi dans la prise en charge des jeunes adultes ou encore à l’égard des personnes vieillissantes usager·e·s de drogues… qui restent à couvrir.

Aujourd’hui, les acteur·trice·s de terrain sont très inquiet·e·s de la situation politique à Bruxelles, étant donné la saturation des services d’aide et l’accent mis sur le sécuritaire et le tout à la prison. Comme le soulève Kris Meurant, « On est dans un contexte où on n’a jamais eu autant besoin des services d’aide, mais où on n’a pas d’interlocuteurs sur le plan politique et ce qu’on entend,  potentiellement, ce sont des économies partout. Normalement au sein de la Feda Bxl qui est notre fédération et à l’occasion des assemblées générales des services, on évoque des nouveaux projets, des nouvelles perspectives. Mais cette année, on a surtout défendu le fait de préserver l’existant. Or, dans une capitale comme Bruxelles, comment est-ce possible de se replier à ce point sur la défense des acquis et non sur le développement de nouvelles réponses ? On est dans un contexte délétère et les petites sorties dans la presse et sur les réseaux sociaux n’aident pas à apaiser une opinion publique qui, elle-aussi, est mise sous tension. »

Pour autant, le travail continue avec les partenaires qui sont nombreux sur le terrain, comme Dune, Diogène, le projet Lama, la MASS… : le travail est le plus holistique possible, avec une ouverture aux acteurs du social-santé. Selon Kris Meurant, « C’est précieux dans un contexte compliqué sur le plan budgétaire de savoir qu’il existe une solidarité au sein du secteur et un travail en réseau. Pourtant la pénibilité du travail fait son œuvre : on connaît, chez Transit et dans le secteur de manière générale, un turn over de personnel qui s’accélère avec la saturation des services. Certains services ont perdu des subsides. Autre difficulté spécifique à Bruxelles, c’est l’accès au logement qui a fait basculer toute une catégorie de personnes qui se retrouvent à la rue et qui consomment. Le logement, c’est une grosse épine dans le pied de tous les acteurs qui travaillent avec des publics précarisés. Une société qui va bien, c’est celle qui mise sur le social-santé. Pas sûr qu’avec le gouvernement fédéral, on soit encore sur la même planète…»

 N. Cobbaut


[1] Service ou établissement qui réduit au maximum les obstacles à l’accès, que ce soit par des exigences minimales, une absence de formalités, des coûts bas ou une accessibilité physique facilitée, afin d’accueillir des personnes souvent marginalisées ou en difficulté.
[2] Pour en savoir plus sur UNLOCK : http://fr.transitasbl.be/2025/06/26/elementor-5465/.

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